Le devoir conjugal : se forcer à faire l’amour avec son-sa partenaire n’est pas une bonne idée

Cette vieille tradition, toujours inscrite dans certains textes de lois, est encore bien ancrée dans les mentalités. Elle concerne une personne en couple (bien souvent les femmes) qui se sent obligée de satisfaire sexuellement son conjoint . Vu par certains hommes (et parfois aussi certaines femmes) comme un dû, le devoir conjugal occupe une place bien plus importante qu’elle n’y paraît. Pour beaucoup de personnes, ce devoir se traduit par des actes non consentis, ce qui, légalement, s’appelle du viol. Mais le devoir conjugal, c’est quoi finalement ?

Illustration @mat_eey

Légalement, ce que disent les articles du Code civil français

« Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »

— Article 212 du Code civil

« Le choix de la résidence de la famille appartient au mari ; la femme est obligée d’habiter avec lui, et il est tenu de la recevoir. »

— Article 215 ancien du Code civil

Après  la loi du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale, la terminologie change et l’obligation de cohabitation devient une obligation de communauté de vie :

« Les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie. »

— Article 215 du Code civil

La séparation entre les sphères juridiques publiques et privées, tout comme la contrainte validée par un droit civil encadrant le mariage, ont donc durablement occulté les violences conjugales.

Derrière les articles 212 et 215 du Code civil, qui précisent que les époux s’obligent mutuellement à une «communauté de vie», et donc, implicitement, à une «communauté de lit» on peut imaginer largement le vide juridique qui subside, la plupart du temps, concernant ces cas. Et le plus incroyable, c’est que dans certains procès, le devoir conjugal a déjà été invoqué comme motif de divorce pour faute.

« Cela reste très théorique, puisqu’il est pratiquement impossible de prouver le refus de relations sexuelles, précise Me Xavier de La Chaise, avocat au barreau de Paris et spécialiste du droit du divorce. Sur le plan pénal, le devoir conjugal n’induit en aucun cas une obligation physique. Aucun mari ne peut forcer sa femme à avoir des relations sexuelles avec lui.»Le devoir conjugal n’est donc pas quelque chose d’obligatoire aux yeux de la loi en tant que tel, mais refuser des rapports sexuels peut être un motif de divorce pour faute, bien que cela reste très difficile à prouver. Jusqu’en 1992, la jurisprudence était plus fermée sur ce sujet et considérait qu’il fallait des relations sexuelles dans un mariage, mais heureusement aujourd’hui avec l’ère Metoo et la médiatisation du viol conjugal, les cas sont plus rares, mais tout aussi délicats à prouver. On a tendance à plus parler du rapport de force et de domination.

Et dans la société, c’est vu comment ?

Voici des extraits d’un manuel scolaire catholique d’économie domestique pour les femmes, publié en 1960 (“How to be a good wife, a home economics high school textbook, 1954”). Et attention, spoiler alert, c’est un faux ! En réalité, il s’agit d’un manuel écrit aux Etats-Unis en 1958 sur les tâches domestiques et non sur la vie sexuelle des époux. Il a ensuite été traduit et adapté au théâtre en Suisse (« L’abbé Bovet Superstar », crée en 2006) dans les années 2000.

  • Si votre mari suggère l’accouplement : 

Acceptez alors avec humilité tout en gardant à l’esprit que le plaisir d’un homme est plus important que celui d’une femme. Lorsqu’il atteint l’orgasme, un petit gémissement de votre part l’encouragera et sera tout à fait suffisant pour indiquer toute forme de plaisir que vous ayez pu avoir.

  • Si votre mari suggère une quelconque des pratiques moins courantes :

Montrez-vous obéissante et résignée, mais indiquez votre éventuel manque d’enthousiasme en gardant le silence. Il est probable que votre mari s’endormira alors rapidement ; ajustez vos vêtements, rafraîchissez-vous et appliquez votre crème de nuit et vos produits de soin pour les cheveux.

Vous l’aurez compris dans ce manuel qui fait clairement l’apologie d’une femme soumise, violée par son conjoint et qui doit rester propre, belle en toute circonstance, nous pouvons prendre conscience de la bêtise et l’horreur de tels propos.

Cette parodie reflète ce qu’une partie de la société pense et applique encore aujourd’hui dans la définition du devoir conjugal. Plusieurs questions se posent alors, car socialement, il est assez compliqué d’assumer cette part de responsabilité face aux regards de la société. 
Finalement, est-on réellement libre de dire « non » quand il y a des sentiments ? La fréquence de nos rapports sexuels, doit-elle être dictée par une norme sociale ? À partir de quand peut-on dire que c’est un viol conjugal ? Les réponses sont totalement subjectives aux yeux de la société comme de la justice. Car chacune a son idée sur la question comme pour beaucoup de sujets, sauf qu’il n’existe aucune norme.

Le devoir conjugal aussi imposé aux hommes

Un scandale a éclaté en mai 2011 à Aix-en-Provence, un homme est condamné pour avoir manqué à ses « devoirs » conjugaux pendant plusieurs années causant ainsi un « dommage » à réparer. La cour d’appel a accordé à cette femme, mariée depuis 1986 et mère de deux enfants, 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour « absence de relations sexuelles pendant plusieurs années ». Une condamnation qui ne passe pas inaperçue et qui vient rendre un verdict qui s’inscrit dans cette aberration qu’est le devoir conjugal. Encore bien présent dans les mentalités, il est certes, moins visible et représenté chez les hommes pour différentes raisons, notamment la pression sociale qui se veut être très marquée pour les hommes dans ce domaine. Pour un homme c’est moins tolérable de notifier ce devoir conjugal en société, c’est moins bien vu et la pression exercée est différente.

La pression conjugale

Le collectif Nous Toutes a relevé, le 3 mars dernier, qu’une femme sur deux a déjà subi des violences s’apparentant à un viol de la part du partenaire. Et 90 % des femmes disent avoir déjà subi des pressions pour avoir un rapport sexuel, sachant que pour 88 % des cas, cela est arrivé à plusieurs reprises. Des chiffres exorbitants et pourtant pas si surprenants au vu de la pression existante.

Ces résultats ont été obtenus grâce aux réponses de plus de 100 000 personnes (dont 96 600 femmes) à un questionnaire diffusé sur les réseaux sociaux par le collectif entre le 6 et le 17 février. À noter également que les jeunes générations semblent être les plus concernées : 75 % des répondantes ont entre 15 et 35 ans. Et c’est bien le reflet d’une société qui, malgré une certaine évolution de par la médiatisation des violences sexuelles, se heurte encore bel et bien à cet enjeu, notamment chez les plus jeunes. 

Le mouvement Nous Toutes a aussi alerté le gouvernement sur ces questions, afin qu’elles soient intégrées dans notre système d’éducation. 

Pour soutenir leur mouvement, il existe d’ailleurs le #JaiPasDitOui sur les réseaux sociaux pour encourager les femmes à parler.

noustoutes.org

Benoît Le Dévédec, juriste au Centre ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS) met l’accent sur un point particulièrement intéressant, “l’obligation (anciennement) légale d’avoir des relations sexuelles est désormais surtout sociale. En effet, les époux se retrouvent piégés par des injonctions contradictoires : on n’est pas forcé, mais on « se » force soi-même, l’amour est enfant de Bohème, mais soumis aux lois, le sexe est un plaisir, mais aussi un sacrifice… Nos émancipations toutes fraîches se heurtent aux schémas les plus traditionnels, et à l’intériorisation de stéréotypes sur le désir des hommes et des femmes.”  

Le devoir conjugal reste donc essentiellement symbolique aujourd’hui. Mais dans la sexualité de chacune, le symbole est assez présent pour que la question soit étudiée. De plus en plus, la parole est prise sur la question du viol conjugal : où il commence, comment et pourquoi il arrive. L’idée qu’il faille ”se forcer” pour correspondre à cette soi-disante norme est encore un fait et un problème de société : la sexualité dans un couple a besoin de conversations, pas de sanctions, qu’elles soient légales ou morales.

Pour aller plus loin, on peut d’ailleurs lire un article sur le désir féminin (il en existe énormément), qui se heurte à cette vision du devoir conjugal et qui vient accentuer l’aberration de cette norme qui tend plus de l’injonction sociale et parfois légale. Le désir des femmes, entre flamme et flemme”, Le Monde, 2020

Mathilde T.
Mathilde T.

Après une licence en communication en France ainsi qu’un master en animation socioculturelle et éducation permanente en Belgique, j’ai décidé de poser mes valises au Québec pendant 2 ans, j’ai travaillé dans mon domaine de prédilection, les ONG.
De retour en Europe, j’ai voulu me pencher un peu plus sur la question de la place des femmes dans nos sociétés et c’est comme ça que j’ai débarqué chez Potiches.

Sinon j’adore le chocolat (genre passionnément), mon animal totem c’est la loutre et ma saison pref c’est l’hiver, comme ça tu sais (presque) tout.

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