Découvre le début de carrière trépidant de Mae West dans la première partie.
Le code Hays

En 1934, la grande dépression bat son plein aux États-Unis et on observe un retour à des valeurs familiales, prônant l’autorité des hommes en leur foyer et la stabilité. Les femmes commençant à accéder à des emplois jusque-là réservés aux hommes, la sexualité des femmes est scrutée de plus près, comme un retour de bâton à l’émancipation des femmes après la première vague du féminisme.
Dans ce contexte, l’influence de Mae West sur les jeunes filles est fortement critiquée. Face à l’idée générale qu’Hollywood insuffle la violence et l’immoralité à la jeunesse américaine, un code de production du cinéma américain établi par le sénateur William Hays est mis en application en Juillet 1934. Ce code a pour but de réguler la production cinématographique, et l’un des premiers rôles de cette censure est de contrôler la sexualité jugée débridée des femmes. C’est évidemment un problème pour Mae West, qui multiplie les allusions sexuelles humoristiques du début à la fin de ses films. Les personnages qu’elle crée allant à l’encontre de l’image de la femme passive, son discours représente une menace pour le patriarcat. Ses scripts sont donc passés à la loupe, et elle doit multiplier les subterfuges pour continuer à faire des films comme elle l’entend, comme pousser les provocations à l’extrême afin que les studios finissent par retenir celles auxquelles elle tient réellement. Dans ce bras de fer, la censure gagne de plus en plus de terrain, et son dernier lieu d’expression finit par se situer dans son jeu d’actrice : elle parvient à faire passer ses messages par le langage corporel.
Poussée vers la sortie
En 1934, une autre superstar explose à Hollywood. Il s’agit de la jeune Shirley Temple, enfant star qui fait un carton au box-office et ne présente aucun danger en matière de morale et de censure. Entre elle et Mae West, le calcul est rapide pour les studios. Mae West accepte à ce moment-là un nouveau film « Klondike Annie », dans lequel elle joue une religieuse. Abandonnant la provocation, elle joue ce rôle au premier degré, ce qui déroute son public. De plus, l’interprétation d’une religieuse par une actrice aussi sulfureuse est perçue comme blasphématoire.
Scandale de plus, elle enregistre une parodie d’Adam et Ève pour l’émission de Don Ameche sur NBC, « The Chase and Sanborn Hour first », dans laquelle elle et Ameche rejouent la scène du jardin d’Éden, dans une version qui colle bien évidemment au style de Mae West : Ève y cherche à se débarrasser de sa virginité et séduit le serpent pour obtenir le fruit défendu. Cette intervention radiophonique est jugée particulièrement offensante, en particulier car diffusée un Dimanche. A propos de ce nouveau cas de censure, elle dit :
Je crois en la censure. Après tout, j’en ai fait ma fortune
En résumé, il devient de plus en plus difficile pour Mae West de conserver sa place à Hollywood. Elle approche des 50 ans, ne peut plus accéder aux mêmes rôles de sex symbol, et ne colle pas à l’image qu’on se fait d’une mère ou d’une grand-mère. Elle décide alors de quitter Hollywood et se rend à Las Vegas.
Vegas, et le retour en grâce
A Vegas, Mae West réalise rapidement qu’il n’existe aucun espace dédié aux femmes, en raison de l’omniprésence des stripteaseuses. Qu’à cela ne tienne, elle décide de monter un show impliquant des hommes musclés et dénudés, pour les femmes, et dont elle est la meneuse de revue. Ce spectacle est un énorme succès, et c’est pour elle une sorte de retour à son premier amour, le vaudeville. Le show se joue pendant trois ans, puis elle décide de se retirer de la scène sur cette victoire.
Elle écrit ensuite quelques livres, fait des apparitions télévisées, puis un retour remarqué à Hollywood alors qu’elle a plus de 70 ans pour le film « Myra Breckenridge » (1968), avec Raquel Welch dans le rôle-titre d’une transsexuelle. Ce film est un échec commercial et qualifié par la critique d’un des plus mauvais jamais tournés, en raison notamment de son caractère explicitement sexuel et outrageux, mais devient rapidement culte dans la communauté queer. En 1976, elle tourne son dernier film « Sextette », où elle joue le rôle d’une jeune starlette alors qu’elle a 83 ans. Son message est :
En tant que femme âgée je peux toujours être attirante, je peux toujours avoir une vie sexuelle.
Elle décède en 1980, à l’âge de 87 ans. Elle sera élue quinzième plus grande actrice du cinéma classique américain par l’institut du film américain, à titre posthume.
Une vie hors du commun
Il serait impossible de terminer ce portrait de Mae West sans parler de sa relation avec les hommes. Sa mère l’avertissait que les hommes la distrairaient de sa profession et lui feraient quitter la scène ; elle lui conseillait de multiplier les conquêtes plutôt que de se contenter d’une seule relation. Suivant ces mises en garde, Mae West a développé une image de prédatrice, un appétit jugé insatiable pour des amants aussi bien blancs que noirs. Mariée très jeune et rapidement divorcée pour reprendre sa liberté – un mariage qu’elle cachera d’ailleurs au grand public, elle est incontestablement une figure du féminisme, grâce aux messages d’émancipation qu’elle adresse à son public féminin tout au cours de sa vie. Parmi les hommes de sa vie, c’est en fin de compte avec celui qu’elle rencontre à 61 ans, de trente ans son cadet, qu’elle aura la relation la plus longue (ils resteront ensemble jusqu’à la fin de ses jours).
Mais les apparences sont trompeuses. Mae West est un bourreau de travail, ne boit pas, ne fume pas et se tient à l’écart des soirées hollywoodiennes, préférant assister à des matchs de boxes pour se distraire. Elle ne s’autorise pas à exprimer ses émotions, et il est en réalité difficile de distinguer la personne qu’elle est réellement derrière son personnage public. Son rôle dans l’industrie cinématographique l’isole des autres femmes, elle a peu d’amies, trouvant leurs vies trop différentes.
Jugée égotique, trop confiante, provocante et débridée, Mae West a été censurée dans toutes les formes de divertissement auxquelles elle a pu participer au cours de sa vie. Mais elle a été une inspiration pour les femmes, qui voulaient lui ressembler, ne serait-ce que physiquement : son corps « en forme de bouteille de coca-cola » et sa démarche en ont fait une icône, et notamment une icône gay. Se déplaçant sur des chaussures plateformes de 20 cm, sa démarche caricaturale est devenue légendaire à Hollywood et a été imitée dans des dessins animés, ainsi que par de nombreuses drag queens. Surjouant les codes de la féminité, elle a d’ailleurs parfois été suspectée d’être en réalité un homme.
Je terminerai le portrait de cette femme incroyable par une dernière citation, ma préférée :
On ne vit qu’une seule fois, mais si on le fait correctement, une seule fois suffit.
Les citations présentes dans l’article sont une traduction libre de leur version originale anglaise.
Sources :
« Mae West: Dirty Blonde », documentaire de Sally Rosenthal et Julia Marchesi (2020)
Biographie de Mae West