Le nom de Mae West vous est-il connu ? Non ? Rassurez-vous, c’est normal. Et pourtant, si je vous disais qu’elle a été l’une des femmes les plus influentes d’Hollywood ? D’ailleurs, je parierais que l’une de ses répliques vous est familière : « C’est un pistolet dans votre poche, ou vous êtes juste content de me voir ? ». Car oui, c’est bien une femme qui est à l’origine de ce trait d’humour provocateur. Revenons sur le parcours de celle que Dita Von Teese qualifie de « gangster sexuelle».
Quand je suis sage, c‘est bien. Mais quand je ne suis pas sage, c‘est encore mieux

Des débuts précoces
Mary Jane West, surnommée Mae (prononcez “May”), naît en 1892 à Brooklyn. Sa mère, immigrée allemande et mannequin pour corsets, est passionnée de Vaudeville et rêve pour elle de show business. Elle l’expose d’ailleurs très tôt à des divertissements peu appropriés pour son âge, sexuellement explicites.
Mae baigne dans la culture populaire de toutes sortes : le vaudeville, le burlesque, les théâtres ethniques des quartiers d’immigration, les performances de rue. Elle monte sur les planches à 5 ans pour la première fois, et gagne ensuite de nombreux concours de talents. Favorite parmi ses frères et sœurs, elle apprend vite à n’obéir qu’à ses propres règles, et quitte d’ailleurs l’école dès ses premiers succès sur scène.
Broadway et Vaudeville
Mae West rejoint à quatorze ans une compagnie de vaudeville sous le nom de « baby Mae », et s’essaye à différent types de personnage, y compris masculins. Elle fait ensuite ses premiers pas à Broadway dans la revue « A La Broadway ». Cette courte exposition lui vaut d’être repérée par le NY times. Encore mineure mais intrépide, elle fait également quelques passages par le burlesque.
En 1918, après quelques années d’opérettes et de comédies musicales, elle décroche enfin un rôle majeur dans la revue « Sometimes » et popularise le Shimmy, danse souvent jugée obscène. Anticipant que cette danse passera de mode et ne parvenant pas à réellement percer dans le vaudeville – les critiques estiment qu’elle appartient au monde du burlesque, ce cousin débauché du vaudeville – elle commence à écrire ses propres pièces pour obtenir des rôles à sa mesure.
Premiers écrits
La première pièce que Mae West réussit à amener devant un public est « Sexe » : l’histoire d’une prostituée ambitieuse de Montréal. Elle y examine les liens entre sexualité et commerce, les différents aspects que peut prendre la prostitution. Nous sommes en 1926, et Mae West dénonce déjà le « double standard » en matière de désir et de sexualité. Sans surprise, les critiques se déchaînent contre la pièce, qu’ils jugent pornographique et outrageante, ce qui en réalité attire en masse les spectateurs.
La vertu a ses propres récompenses mais ne fait pas de ventes au box-office
Réalisant la fascination des spectateurs hétérosexuels pour l’univers gay et drag queen, elle monte rapidement une nouvelle pièce nommée « The Drag ». Elle connaît très bien le milieu qu’elle décrit, et s’est d’ailleurs beaucoup inspirée de la célèbre drag queen Bert Savoy pour construire son propre personnage public. Elle recrute une cinquantaine de drag queens à Greenwich Village dans les speakeasies – bars et clubs clandestins vendant de l’alcool durant la prohibition. Son action n’est pas spécialement militante, elle cherche avant tout à attirer l’attention du public, mais cela a le mérite de placer les projecteurs sur de nombreux artistes de la communauté.
La censure
Entendant parler de la pièce qui se rôde dans le New Jersey, les détracteurs de Mae West sont prêts à tout pour empêcher cette nouvelle pièce d’arriver à Broadway, et finissent par faire inculper Mae West pour “obscénité” et “corruption de la jeunesse”. Elle est arrêtée avec l’ensemble de sa troupe en sortie de représentation de « Sexe ». Au journaliste qui lui demande ce qui va lui arriver, elle répond : « I expect this will be the making of me »(« Je suppose que ceci va m’apporter le succès »). Elle est condamnée à une peine de huit jours de prison :
La seule chose ennuyeuse est d’avoir dû porter des sous-vêtements en coton
Cette courte incarcération lui vaut encore davantage de couverture médiatique, et les représentations reprennent de plus belle. Mae West remarque cependant que la majorité de son public est masculine et se demande comment attirer les spectatrices. En 1928, Mae West présente « Diamond Lil », la pièce qui la rendra réellement célèbre. Sur scène, elle change délibérément de style : elle devient glamour, se pare de magnifiques déshabillés, corsets, dentelles et autres coiffes, jamais vulgaires. L’opération est un succès, elle parvient à attirer les femmes à ses représentations ainsi que les spectateurs respectables qui boudaient ses pièces précédentes. Mae West fait peu à peu évoluer son propre personnage : elle joue la femme sexy et sensuelle avec second degré. C’est une formule unique qui fonctionne, et qu’elle transposera au cinéma.
L’aventure Hollywoodienne
Durant la Grande Dépression, au début des années 30, Hollywood traverse une période difficile. La société de production Paramount, au bord de la faillite, pense à Mae West pour relancer le box-office. Sa réputation sulfureuse inquiète, mais elle est bankable. Approchée par le producteur Adolph Zukor, elle négocie trois points : pouvoir écrire son propre texte, créer ses costumes, et gagner beaucoup d’argent. Au producteur qui lui demande combien elle souhaite toucher, elle répond :
Combien gagnez-vous ? Eh bien je veux un dollar de plus
C’est ainsi qu’elle commence sa carrière Hollywoodienne à l’aube de la quarantaine, pour y jouer des personnages de sex symbol, chose impensable pour une femme de son âge à cette époque (et toujours peu courante un siècle plus tard). Elle devient rapidement très puissante à Hollywood, contrôle tout ce qui la concerne et bien au-delà. Elle repère d’ailleurs le potentiel d’un certain Cary Grant, alors absolument novice, et le fait embaucher pour tenir le premier rôle masculin dans le film « She Done Him Wrong » (« Lady Lou » en VF), adaptation de sa pièce « Diamond Lil ».
Une businesswoman avant tout
Intraitable en affaires, elle touche la moitié des recettes du film grâce au contrat qu’elle a négocié, et devient l’actrice la mieux rémunérée de la décennie. En 1935, on raconte même qu’elle est la seconde personne la mieux payée des États-Unis après le magnat de la presse William Randolph Hearst.
Avec « She Done Him Wrong », elle accède au rang de superstar, incarne le glamour d’Hollywood aux côtés de Greta Garbo ou Marlène Dietrich. Elle n’est pas jugée aussi belle que ces autres actrices, mais c’est sa confiance en elle qui la rend aussi attirante aux yeux du public, ainsi que le message d’émancipation qu’elle envoie aux femmes : elle les incite à être audacieuses et fortes. Contrairement aux actrices de l’époque, Mae West n’est pas uniquement interprète, elle définit ses rôles, supervise toute la production, réécrit les dialogues, et fait passer des idées assez révolutionnaires pour son temps.
En avance sur son temps
Fière de ses origines modestes, elle n’essaiera jamais de s’élever sur l’échelle sociale, et conservera son accent de Brooklyn. Elle veut rappeler d’où elle vient. Pour cette raison, elle s’efforce d’inclure des femmes noires dans ses films et les crédite au générique. Ce sont des rôles stéréotypés de servantes, Hollywood oblige, mais ces femmes et elles ont de réelles conversations à l’écran, une connivence d’ordre amical, ce qui contraste avec les standards de l’époque. Pour le film « Belle of the Nineties » (« Ce n’est pas un péché » en VF), elle insiste également auprès des studios pour engager Duke Ellington et son orchestre. A l’inverse, elle malmène les personnages de la haute société.
Découvre la suite de la vie trépidante de Mae West, dans la deuxième partie !
Les citations présentes dans l’article sont une traduction libre de leur version originale anglaise.
Sources :
« Mae West: Dirty Blonde », documentaire de Sally Rosenthal et Julia Marchesi (2020)
Biographie de Mae West