Autrice, psychiatre, féministe militante… Nawal El Saadawi est l’une des grandes figures de la lutte pour les droits des femmes dans le monde arabe. Le 21 mars 2021, celle décrite par The Guardian comme “la féministe la plus radicale d’Egypte” s’est éteinte à l’âge de 89 ans. Retour sur une vie de lutte.
“C’est le lien entre la médecine, la littérature, la politique, l’économie, la psychologie et l’histoire. Le féminisme c’est tout ça.” Si Nawal El Saadawi a écrit plus 50 livres allant de l’essai à la fiction, en passant par le théâtre, c’est bien la pensée féministe qui lie son œuvre. Cette même pensée féministe qui animera une vie de lutte contre les oppressions patriarcales, et ce depuis sa plus tendre enfance.
Un éveil féministe dès l’enfance
Née en 1931 à Kafr Tahla, un village au nord du Caire, Nawal El Saadawi a grandi dans une famille de la classe moyenne. Fait rare pour l’époque, ses parents ont tenu à ce que leurs neuf enfants reçoivent une éducation, pas seulement les garçons. Face à son désir d’apprendre, ses parents se laissent convaincre de la laisser entrer à l’université. En 1955, elle est diplômée en médecine de l’Université du Caire et poursuit ses études à l’Université de Columbia, à New-York. En 2010, elle confie à The Guardian, que ses études de médecine ont largement contribué à former sa pensée radicale :
Quand j’ai disséqué le corps humain, ça m’a ouvert les yeux […] Je pense aussi que j’ai hérité du gène de ma grand-mère, qui était une rebelle. Mes sœurs et frères ont hérité d’un autre gène.
C’est d’ailleurs le souvenir d’une conversation avec sa grand-mère qu’elle identifie comme sa première prise de conscience des différences de traitement entre filles et garçons. Dans sa première autobiographie, Une fille d’Isis, elle raconte notamment qu’elle a subi une mutilation génitale : elle a été excisée à l’âge de 6 ans. En 1969, elle publiera d’ailleurs Les femmes et le sexe, un essai dans lequel elle aborde la mutilation génitale des femmes.
Un ouvrage controversé qui lui vaudra d’être renvoyée du ministère de la santé d’Egypte, où elle tenait le poste de directrice de la santé publique. Elle se battra pendant 50 ans contre les mutilations génitales qui seront finalement interdites par la loi en 2008. La controverse, c’est quelque chose qui l’accompagnera tout au long de sa vie.
Une critique de l’oppression des femmes et du fondamentalisme religieux
Nawal El Saadawi n’a jamais eu peur de prendre position sur des sujets qui dérangent ni de défendre ses opinions. En 1981, sa critique du gouvernement de Anwar Sadat, alors président d’Egypte, lui vaudra d’ailleurs d’être arrêtée aux côtés d’autres dissident·es. Elle passera 3 mois en prison, durant lesquels elle écrira ses mémoires sur du papier toilette, qui seront publiés deux ans plus tard sous le titre Mémoires de la prison des femmes.
Ouvertement opposée à la polygamie, au port du voile, aux inégalités de succession entre hommes et femmes, au mariage des jeunes filles et à l’excision… Nawal El Saadawi dérange. Elle sera plusieurs fois censurée, attaquée en justice et recevra même des menaces de mort de la part de fondamentalistes religieux qui la pousseront à s’exiler aux Etats-Unis en 1988. Elle y passera 8 ans à enseigner dans de prestigieuses universités avant de retourner vivre en Egypte, en 1996.
En 2005, à l’âge de 73 ans, elle envisage de se présenter à l’élection présidentielle d’Egypte mais se verra obligée de retirer sa candidature, à cause de restrictions trop strictes imposées aux nouvelleaux candidat·es.

“Je deviens de plus en plus radicale avec l’âge” dit-elle dans une interview à The Guardian de 2010. En 2011, à 79 ans, elle est sur la place Tahir, au cœur du cortège féministe lors des manifestations appelant au départ du président Hosni Moubarak, à la mise en place d’élections équitables et au retrait des lois patriarcales encore présentes dans la constitution égyptienne.
Loin de s’assagir avec le temps, elle continuera de défendre avec force ses opinions jusqu’à la fin de sa vie. N’hésitant pas à critiquer aussi bien le fondamentalisme religieux de l’Egypte que le colonialisme et “l’hypocrisie occidentale”, Nawal El Saadawi n’a jamais compté se taire. « Je devrais être plus directe. Je devrais être plus agressive, parce que le monde est de plus en plus agressif. Nous avons besoin que des gens s’expriment haut et fort contre les injustices. Je parle fort parce que je suis en colère. » dit-elle au micro de la BBC en 2018.
Que l’on soit en accord avec sa politique ou pas, l’autrice a marqué et inspiré des générations entières de femmes et d’activistes. Traduite dans plus de 40 langues, de nombreuses fois récompensée pour ses écrits et son engagement et avec plus de 50 ouvrages à son actif, Nawal El Saadawi laisse derrière elle le parcours inspirant d’une femme qui a toujours refusé de se taire.