Mathilde Saliou est journaliste et membre de l’association Prenons la Une, un collectif de femmes journalistes engagées pour une juste représentation des femmes dans les médias et au sein des rédactions. L’association a reçu le 1er octobre 2020 le grand prix du jury aux Assises du journalisme de Tours.

Pouvez-vous nous présenter l’association Prenons la Une ?
Prenons la une est un collectif que nous avons lancé en 2014 avec une tribune qui s’appelait « Femmes à la une », publiée dans Libération, et qui demandait une meilleure représentation des femmes dans les médias et la parité dans les rédactions. Nous avons plusieurs missions : d’abord, accueillir les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles au travail. Nous faisons également beaucoup de formations en école de journalisme et dans les rédactions. Nous rédigeons régulièrement des communiqués de presse et des tribunes quand l’actualité le demande.
Votre association lutte t-elle également contre d’autres inégalités dans les médias qui ne sont pas liées au genre ?
Nous nous définissons comme une association intersectionnelle, c’est pourquoi le raisonnement que nous avons appliqué en 2014 concernant les femmes est aussi valable pour toutes les autres inégalités dans la société. Au moment du mouvement Blacks Lives Matter et de la question des violences policières, cela devenait flagrant que le manque de diversité dans les rédactions avait engendré un traitement de l’information biaisé.
C’est une faute déontologique selon vous ?
Si vous voulez faire un bon traitement médiatique, il faut que les médias reflètent la société et représentent la diversité des points de vue. Une fois que ce constat est dit, à priori nous pensons qu’il est assez simple de montrer que les médias pourraient être plus proches de la réalité. En faisant ce travail, cela permettrait alors de faire émerger d’autres débats dans l’actualité.
Un chiffre est sorti récemment : seulement 20% des experts interrogés par les médias pendant la période du confinement était en fait des expertes. En période de crise, les médias s’en sont remis aux hommes. Comment avez-vous reçu ce chiffre ? Est ce qu’il est venu anéantir tout espoir de changement ou au contraire le fait qu’il ait été rendu public et visible va permettre, selon vous, de faire bouger les lignes ?
C’est triste et cela prouve bien, en tout cas pour les médias, que la grande phrase de Simone de Beauvoir qui dit qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question, est vraie. Au niveau de la représentation des femmes dans les médias, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Au « front », c’était très souvent des métiers féminins, et des métiers du care. Pourtant sur les plateaux, ce n’est pas leur parole que l’on a entendu mais, à 70%, une parole d’autorité émise le plus souvent par des experts hommes. Que la parole des femmes sur le front ne soit pas traduite dans les médias, c’est un problème. C’est bien de voir ce chiffre car nommer les choses permet de commencer à remédier au problème. Maintenant, il faut qu’on arrive à s’armer pour que si une nouvelle crise a lieu, nous ne revivions pas ce recul. A Prenons la Une, nous soutenons des initiatives comme le site « expertes » qui est un annuaire gratuit en ligne de toutes les femmes expertes françaises et francophones, et nous avons mis en place un recensement des listes déjà existantes.

Quelles sont vos prochaines actions ?
L’association est actuellement en pleine structuration car nous avons vu nos adhérents augmenter de façon considérable récemment. Les Etats généraux que nous avons organisé en 2019 ont permis de mettre en lumière un constat important sur la représentation des femmes au sein des médias. Depuis, toutes nos actions visent à soulever des solutions afin d’avoir un meilleur traitement journalistique, plus neutre et moins imparfait dans la diversité des points de vue. Nous cherchons à développer notre pôle formation ainsi qu’à atteindre plus de rédactions. Nous travaillons également pour améliorer le statut des pigistes, des journalistes free lance qui, en période de crise, se retrouvent en grande difficulté financière. Enfin, nous militons pour qu’il existe plus de femmes aux postes de direction dans les rédactions. Les derniers chiffres que nous avions c’était 34% de rédactrices en cheffe, 19% de directrices de rédaction. Il faut pousser pour que ces chiffres augmentent.
Qu’est ce que cela change concrètement d’avoir plus de femmes dans les rédactions et notamment aux postes décisionnels, sur la parité et le traitement médiatique ?
Comme les femmes sont, à priori, plus sensibilisées aux sujets qui touchent la parité, les violences sexistes et sexuelles, les inégalités femmes-hommes, avoir des femmes à ces postes permet de faire émerger un certain nombre de solutions. Elles pourront décider de lancer des décomptes pour voir comment les femmes sont représentées dans leur médias. Elles pourront également mieux protéger les femmes dans leur rédaction en mettant en place des processus RH (Ressources Humaines) pour éviter les problèmes de violences sexistes et sexuelles ou en engageant, comme l’a fait le New York Times récemment, un job de gender editor, dont le rôle est de surveiller que le traitement médiatique de la rédaction soit paritaire. C’est aussi une question d’argent : si il y’a plus de directrices et de rédactrices en cheffe, à priori, elles seront mieux payées ce qui permettra de faire remonter la moyenne d’écart de salaire entre les journalistes hommes et les femmes journalistes qui sont payées en moyenne 300 euros en moins que leurs confrères masculins. Pour que cela change, nous avons aussi besoin de l’aide du gouvernement qui peut mener des mesures concrètes. Par exemple, missionner les aides que l’Etat accorde à la presse, au respect de la parité dans la rédaction. Tout cela ne fait pas tout, mais c’est une partie de la solution qui permet probablement de pousser toutes les autres solutions qu’on pense importantes.