Interview : Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France

Scientifiques, militantes, entrepreneures, personnalités politiques. Meufer a rencontré nombre de femmes qui réfléchissent et façonnent le monde de demain. Parmi elles, Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France. Avec Paul Watson, fondateur de la célèbre ONG de protection des écosystèmes marins, c’est elle qui a créé l’antenne française en 2006. Durant cet entretien réalisé le 19 septembre et à l’occasion du lancement annuel de l’opération Dolphin ByCatch, celle qui est aussi vice-présidente du parti antispéciste Révolution écologique pour le Vivant nous a présenté ses combats, celui de Sea Shepherd, et au-delà, celui des femmes marinières.

Lamya Essemlali présidente de Sea Sheperd France
Photo : @SeaSheperdFrance

Bonjour Lamya Essemlali. Présente-nous rapidement l’ONG Sea Shepherd France ?

C’est une antenne nationale de l’ONG Sea Shepherd, qui signifie “bergers de la mer.” L’objectif est de lutter contre le braconnage, les atteintes illégales à la vie marine. C’est une ONG qui s’est fait connaître par des actions coup de poing, comme par exemple couler des baleiniers, éperonner des navires. Maintenant nous nous sommes développées avec le temps, on fait beaucoup de sensibilisations, notamment dans les écoles. On y dénonce les actions légales, mais qui n’ont aucune éthique dont la surpêche, qui devrait être interdite. Des espèces sont protégées sur le papier, mais dans les faits elles sont massacrées car la loi n’est pas suffisamment rigoureuse. Donc nous effectuons un travail d’alerte de l’opinion publique et des médias pour faire pression sur le politique et faire évoluer les lois.

Avez-vous des missions prévues prochainement sur le sol français ?

L’hiver on fait une grosse campagne au large de la Vendée-Charente-Maritime, l’opération “Dolphin by catch”. En ce moment on mène la même mission en Bretagne. Donc la problématique est la même : les bateaux de pêche capturent de très nombreux dauphins qui finissent échoués et mutilés sur la plage. L’objectif est de montrer ces captures, les filmer pour alerter l’opinion publique.

Reportage Ça Nous Regarde, « Ils sont Sea Shepherd »

L’épidémie de Covid-19 a-t-elle porté un coup à votre action ?

Le Covid nous a ralenti c’est sûr, on avait une mission prévue en Afrique dès le mois de mars, on n’a pu y aller qu’en juillet. Donc les braconniers s’en sont donné à cœur joie. Chaque fois que nous ne sommes pas là c’est un carnage au niveau des plages, c’est très frustrant. S’il y a eu un petit répit sur la pêche, au final le bilan n’est pas vraiment positif. Ce fut une période frustrante.

Malgré cette période délicate, l’envie de repartir de plus belle est toujours là ?

On est de retour sur le terrain depuis juillet. Début octobre nous sommes censées aller à Mayotte pour l’opération Nyamba, puis les missions reprendront quasi normalement.

L’équipe de bénévoles de Sea Shepherd durant l’opération Nyamba à Mayotte
L’équipe de bénévoles de Sea Shepherd durant l’opération Nyamba à Mayotte. Photo : @SeaShepherd

Les missions sont-elles complexes à mettre en place, en termes de logistique, de recherche de bénévoles ?

Maintenant ce sont des campagnes qui sont récurrentes, on est très efficaces quand on est sur le terrain. On sait bien que quand nous ne sommes pas là, les braconniers ou certains pêcheurs peu scrupuleux attendent le moment où on n’est pas là pour agir. Donc l’objectif est d’étendre sur la durée ces missions. C’est sur le plan financier et matériel que c’est souvent complexe, nous n’avons pas 36 bateaux, donc quand on en a un, on ne peut le laisser indéfiniment sur une zone, car on aura besoin de lui ailleurs.

Je suis venue à l’écologie et à la justice sociale par la cause animale

Comment en es-tu venue à t’engager pour Sea Shepherd ? Etait-ce une vocation ou est-ce venu progressivement ?

J’ai toujours eu de l’amour et de l’empathie pour les animaux depuis toute petite. C’est dans ce fil que je me suis rendu compte des catastrophes écologiques. Je suis venue à l’écologie par la cause animale, et ensuite ça m’a menée aux questions de justice sociale. J’ai fait de la défense animale mon cheval de bataille, car c’est ce qui parle le plus à mon âme d’enfant, les premières injustices que j’ai ressenties par rapport au sort horrible réservé aux animaux. A côté de ça, il y a une indifférence démente que je n’ai jamais comprise. On justifie toute cette souffrance simplement parce que ces êtres vivants, sensibles, ne font pas partie de notre espèce. C’est la racine de toutes les injustices, de toutes les inégalités.

Nous sommes ici au festival Empow’her, qui promeut toutes les femmes qui agissent, notamment dans l’action climatique. Quel sentiment prédomine chez toi par rapport à ta présence et l’engouement lié à cet événement ?

Je trouve ça chouette de mettre en avant l’engagement féminin ; surtout dans des secteurs où les femmes ne sont pas très présentes, comme le monde maritime. Sea Shepherd fait partie des exceptions. Sur les bateaux on a un tiers de femmes, et puis à terre on est quasiment kif-kif. Moi, par exemple, je suis directrice nationale, je suis aussi co-directrice internationale, chargée de missions, donc j’ai des responsabilités importantes, et sur les bateaux on trouve des femmes capitaines, chef-mécanos, vraiment à tous les postes auxquels on ne les attendrait pas forcément. Mais en général, que ce soit dans la marine marchande ou dans la pêche, il y a encore une trop grande proportion d’hommes. Je ne fais pas d’amalgames hommes-mauvais pêcheurs, moi je souhaite simplement qu’il y ait moins de pêcheurs. Lors d’une opération que nous menions, il n’y avait que des femmes qui filmaient. Quand elles sont arrivées sur le bateau, les pêcheurs les ont vraiment prises de haut en leur disant “qu’est-ce que c’est que ces cocottes ? La place des femmes, c’est à la maison !” Donc ils ne s’attendaient pas à ce qu’elles prennent des images aussi impactantes. J’ai trouvé ça très chouette que ce soit un équipage 100% féminin qui ait sorti les images les plus fortes.

Depuis que je suis devenue maman, mon militantisme monte en force, car je vois l’effondrement vers lequel on se dirige

Au-delà de cette place de la mixité dans le monde maritime, en quoi la place des femmes dans cette lutte climatique te paraît fondamentale ?

Déjà on est la moitié de l’humanité, donc on a quand même un poids et une responsabilité importante. Les femmes, ce sont elles qui portent les enfants. Depuis que je suis devenue maman, mon militantisme monte en force, car je vois l’effondrement vers lequel on se dirige, l’enfer que va être le monde de demain. Evidemment, mon enfant c’est ce que j’ai de plus cher au monde, et je n’ai pas envie qu’elle connaisse ça. Tout parent, toute mère a une motivation viscérale d’éviter le pire à ses enfants. La question écologique est l’épée de Damoclès la plus importante qui plane sur nous toutes, en tant qu’espèce. Non pas qu’il faille être maman pour ça, moi je n’ai pas attendu d’être mère pour être engagée. Juste que ça a apporté une dimension supérieure. Je vois des femmes qui ont cette empathie pour les enfants, cette douceur qu’on peut ressentir. On peut avoir un sentiment maternel sans être maman soi-même.

Jean L.
Jean L.

Etudiant en Master Histoire à Bordeaux, je bifurque actuellement vers le journalisme. Si je fus quelque peu macho à une époque, j’essaie de me déconstruire au quotidien, d’où mon enthousiasme de participer à l’aventure de Potiches.

Parallèlement à tout ça, je pratique le vélo comme une seconde peau (mais mal bronzée). J’aime refaire le monde avec mes amis autour d’une bonne bière (belge bien sûr), je dis pain au chocolat et je place une réplique d’OSS 117 toutes les deux phrases.
Ah et aussi je ne peux pas supporter le Chou blanc, donc ! Auf wiedersehen à tou.tes ! :)

Les derniers articles

Inscris-toi à la newsletter !

Sur le même sujet...