Farah Alibay est ingénieure en aérospatiale, elle travaille sur la mission Mars2020 de la NASA. Chez Potiches, on la trouve super badass, avec ses cheveux rouges et sa passion pour l’espace. Rencontre avec une scientifique dynamique qui œuvre pour la diversité et l’inclusion.

Le 18 février dernier, le monde entier faisait la connaissance de Persévérance, un petit véhicule déposé sur mars durant une opération de parachutage ultra-périlleuse. Petit, enfin pas tant que ça : représentez-vous un engin de plus de 2 mètres de haut, 3 mètres de long, pesant environ une tonne. Après un voyage de 472 millions de kilomètres depuis Cap Canaveral, en Floride, cette petite sœur de Curiosity est chargée de récolter tout un tas d’informations et d’échantillons sur le sol martien. L’astromobile n’est d’ailleurs pas venue seule : elle s’apprête à déployer un petit hélicoptère nommé Ingenuity, premier drone autonome à tenter de voler sur la planète rouge.
Derrière ces prouesses technologiques inédites, des équipes incroyables de la NASA qui travaillent d’arrache-pied depuis des années, et sont sur le pont jour et nuit pour cette nouvelle phase de la mission. Et parmi elles, Farah Alibay. Cette ingénieure en aérospatiale travaille au Jet Propulsion Laboratory, un centre de recherche spatiale de la NASA géré par le California Institute of Technology, situé à Pasadena, près de Los Angeles. Si le nom vous est familier, c’est peut-être que vous avez déjà regardé des épisodes du Big Bang Theory !
“Ingénieure, c’est un métier d’hommes”
Mais revenons à nos moutons. Farah Alibay est canadienne, elle a grandi dans la ville de Joliette, au Québec, et pour l’enfant passionnée par l’espace qu’elle était, travailler à la NASA était de l’ordre du rêve, inaccessible. Pourtant, Farah Alibay l’a réalisé, ce rêve. Intégrant le Jet Propulsion Laboratory de la NASA en tant que stagiaire en 2012, elle y est ensuite embauchée en 2014. Elle travaille d’abord sur la mission InSight, puis sur la mission Mars2020, qui inclut le déploiement de Persévérance. Raconté de la sorte, cela semblerait presque facile. Et pourtant, poursuivre ce chemin n’a pas été si simple.
Dès le départ, on la dissuade de poursuivre des études en ingénierie : « Au secondaire, une de mes professeures m’a dit :
Ingénieure c’est un métier d’hommes, tu vas être entourée d’hommes, est-ce que tu peux vraiment faire ça ?
Elle s’inquiétait pour moi, elle voulait dire que ça allait être difficile mais c’était décourageant, formulé de la sorte. » Déstabilisée par ces paroles qui lui resteront en tête, la jeune Farah se lance malgré tout dans des études d’ingénierie et technologie spatiale.
Un début de parcours empreint de doutes
Mais ses débuts à l’université de Cambridge, en Angleterre, sont difficiles : « On était environ 20% de femmes, en plus j’étais une femme de couleur, et je venais aussi de l’école publique, là où la plupart venaient du privé et avaient reçu beaucoup d’aide avant d’intégrer l’université, car venant de familles plus riches. Alors ma première année d’université a été extrêmement difficile : je ne trouvais pas ma place et en plus de ça j’étais en retard sur les autres. J’échouais aux examens et je me demandais si j’étais vraiment à ma place. Certains jours j’étais vraiment découragée et je me disais que peut-être ce n’était pas pour moi, que j’avais fait une erreur. Mais j’avais cette passion pour l’aérospatiale et c’est ce qui m’a aidée à continuer. »
Alors Farah s’accroche, et réussit ses études. Elle est acceptée au célèbre Massachusetts Institute of Technology (voir notre portrait d’Aurélie Jean, autre femme scientifique au parcours impressionnant), où elle obtient un doctorat en ingénierie des systèmes spatiaux en 2014. Au MIT, elles sont un peu plus de femmes, environ 30%, tout comme à la NASA par la suite. On est encore loin de l’égalité !
Bonne nouvelle, les choses bougent à la NASA

Mais neuf ans après son arrivée à la NASA, l’ingénieure en aérospatiale observe une évolution en matière de diversité. « Même visuellement ! On voit de plus en plus de gens de couleur et de femmes, et c’est rare maintenant que je sois la seule femme dans une équipe. Il y en a au moins une autre (rires). Mais le plus important c’est qu’on en parle maintenant. On parle du fait que c’est un problème et qu’il faut que ça change. Il y a quelques années, quand j’abordais le sujet de la diversité on me répondait que ce n’était plus un problème, que le sexisme ça n’existait plus. Et ça c’était il n’y a pas si longtemps, en 2015. Les choses ont pas mal changé depuis MeToo. La conversation a été relancée, et les gens veulent écouter, veulent changer, sont investis. »
Malgré cela, le sexisme reste encore présent. « Par exemple, quand tu es l’experte sur un sujet et qu’on pose systématiquement les questions à l’homme qui est à côté de toi. » Pour Farah Alibay, le sexisme se trouve aussi dans la place qu’on laisse occuper aux femmes : « Les gens ont tendance à vouloir qu’on se présente d’une certaine manière, qu’on s’exprime d’une certaine manière, et si on a une personnalité assez forte, fonceuse, c’est vu comme agressif ou too much, parce qu’on est une femme. Là où ce serait vu comme un atout pour un homme. Alors il faut trouver sa place et surtout y rester, même si des fois les gens veulent reprendre cet espace que vous occupez. »
Trouver sa place, et en faire pour les autres
En tous cas, si les femmes ont pu être en compétition entre elles à une époque où elles bénéficiaient de si peu d’accès à des carrières scientifiques, pour Farah Alibay ce n’est plus le cas à l’heure actuelle. Elle a d’ailleurs découvert à quel point il était crucial et réconfortant de partager ses expériences avec ses collègues femmes, devenues ses amies, de se conseiller et se soutenir. « Dans ma génération, je pense qu’il y a de la place pour tout le monde, alors pourquoi ne pas s’aider entre nous, au lieu de se mettre en concurrence. Je considère d’ailleurs que ça fait même partie de notre job d’encourager la diversité et d’aider à améliorer l’accès pour les suivantes, une fois qu’on a réussi à se faire notre place. »
Et il est vrai que cette scientifique s’engage pour faire de la place aux personnes issues de minorités. Elle fait partie d’un comité de 7 employées au sein de la NASA (sur environ 7000) – l’« inclusion advisory committee » -, qui œuvre, comme son nom l’indique, à changer la culture au travail en matière d’inclusion. Mais au-delà de ce travail en interne, elle est également fermement déterminée à attirer les femmes vers des carrières scientifiques. Pour cela, elle passe du temps dans les écoles, présente son métier auprès de collégiennes et lycéennes et répond à leurs questions.
Moi à leur âge il n’y avait personne qui me ressemblait à qui je pouvais parler. Il était rare de voir des femmes ingénieures, et surtout pas des femmes à la peau brune et aux cheveux rouges. Je ne pouvais pas me dire : elle me ressemble, je peux me voir dans ce rôle-là.
Et du coup ça m’a pris du temps de réaliser qu’il y avait peut-être une place pour moi ». Donc ma façon de faire la différence c’est de réaliser ces interventions. »
Se rappeler de ce que l’on a accompli
Alors, grâce à l’exposition dont elle bénéficie, en particulier depuis l’arrivée sur Mars de Persévérance, Farah Alibay est en train de devenir un rôle modèle pour les jeunes filles, les jeunes femmes, les personnes non-blanches également.
Lorsqu’on demande à celle qui a travaillé dur pour réaliser ses rêves si elle souffre du complexe d’imposture, elle répond sans équivoque : « A chaque fois que je commence un nouveau job, qu’on me met en charge de quelque chose, je doute, me demande si je devrais vraiment être ici. Et même quand j’accomplis quelque chose, je me dis que ce n’est pas vraiment moi, que c’est toute l’équipe. On a tendance à oublier ce qu’on a accompli. Alors à chaque fois que je fais quelque chose de beau ou dont je suis fière, au travail comme à l’extérieur, je le note sur un document. Aujourd’hui j’ai fait ça, j’ai réussi ça, cette personne m’a dit ceci ou cela. Comme ça les jours où je doute, j’ouvre ce document et je le regarde. Me rappeler de ces accomplissements m’aide énormément. »
Dans les moments difficiles, ça fait du bien de se dire, je me sentais comme aujourd’hui et pourtant j’ai réussi quand même.
De précieux conseils, et la preuve que lorsque la passion nous anime, aucune barrière n’est infranchissable.