Christiane Taubira : portrait d’une femme politique indépendante et lyrique

Les générations du “baby-boom” ont eu Simone Veil, la femme qui a légalisé l’interruption volontaire de grossesse, augurant d’une époque nouvelle pour la condition des femmes. Aujourd’hui, les générations Y et Z ont Christiane Taubira, la femme qui a mené le combat pour ouvrir le droit au mariage homosexuel. En 2001, elle avait déjà été la rapporteuse de la loi reconnaissant la traite et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité. Présentation d’une femme politique dont le nom revient dans les rangs de la gauche lorsqu’on évoque l’élection présidentielle de 2022.

Née en Guyane en 1952, six ans seulement après la fermeture du bagne, Christiane Taubira a fait de sa terre natale son terreau politique. Élevée par sa mère seule avec 11 enfants, elle débute en politique par le militantisme en faveur de l’indépendance de la Guyane. Avec son mari, elle fonde le parti Walwari, d’obédience autonomiste et socialiste. Jusqu’à aujourd’hui, c’est le seul parti auquel elle se déclare appartenir totalement. Elle poursuit sa carrière politique en devenant députée de la Guyane, toujours avec les mêmes positions partisanes. Tout au plus, elle se rapproche du Parti Socialiste ou du Parti Radical de Gauche lorsqu’elle se présente à l’élection présidentielle de 2002. Elle y recueille 2,32% des suffrages.

Indépendance politique et poésie : la rose et l’armure

C’est cette volonté permanente de demeurer indépendante qui la poussera à quitter le gouvernement Valls, début 2016. Ministre de la Justice de François Hollande depuis 2012, elle s’était déjà opposée au premier ministre sur des sujets comme la réforme pénale. Mais lorsque le gouvernement engage le projet de loi sur la déchéance de nationalité, c’est la goutte de trop pour la Guyanaise, qui démissionne et prononce cette phrase restée célèbre :

Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir.

À Paris, elle s’est également forgée une réputation de femme lettrée, ajoutant une touche de poésie à ses prises de parole, même dans les moments éprouvants. Lorsqu’à l’Assemblée, Eric Ciotti l’accuse de dégrader ses relations avec son premier ministre, Christiane Taubira lui rétorque : “Je vous obsède avec une constance qui force l’admiration ! […] Nous avons du mal à comprendre que le premier ministre ait besoin d’un défenseur, qui plus est dans ces rangs-là de l’hémicycle.” 

Son éloquence devant l’hémicycle tranchait avec celle de la plupart des politiciens : pour présenter son projet de loi autorisant le mariage homosexuel, pas de notes, pas d’hésitations, et une envolée en fin de discours, citant un poème de Léon Gontran-Damas : “L’acte que nous allons accomplir est beau comme une rose dont la Tour Eiffel, assiégée à l’aube, voit enfin s’épanouir les pétales. Il est grand comme un besoin de changer d’air. Il est fort comme le cri aigu d’un accent dans la nuit longue.”

La candidate idéale pour les femmes ?…

Entre les Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo ou Arnaud Montebourg, la figure de Christiane Taubira se greffe petit à petit dans les esprits militants pour une candidature unique à gauche. En témoigne l’appel lancé pour que l’ex-ministre se présente à la présidentielle de 2022. À ce jour, 20235 citoyennes ont signé ce manifeste.

Dans la lutte pour les droits des femmes, et plus largement ceux des minorités, elle est la personnalité qui, à gauche, a le plus d’expérience et de résultats en la matière : non seulement par sa lutte pour le mariage homosexuel, mais aussi par sa figure. De par ses origines guyanaises et de par son identité de femme, elle a souvent dû faire face aux relents les plus racistes que peut compter la France et son hémicycle. En 2015, Gérald Darmanin, alors député UMP, disait d’elle “qu’elle était un tract ambulant pour le FN”, sous-entendant que Taubira, par sa seule présence, renforçait le racisme et donc l’extrême droite. Sans compter la Une du journal d’extrême droite Minute, qui avait comparé fin 2014 la ministre à un singe. L’hebdomadaire a été condamné depuis.

Face à ce torrent de haine, Christiane Taubira ne s’est jamais débinée, préférant le qualificatif de “cible” à celui de “victime”.. “Je ne crains rien de toutes ces personnes qui me crachent dessus”, affirme-t-elle. Son éloquence face à cette haine n’est pas sans rappeler (encore une fois) Simone Veil, autre figure féministe qui, avant elle, avait dû subir les apostrophes antisémites d’un Parlement comptant seulement 12 femmes pour 490 députés au moment de la légalisation de l’IVG.

Ce calme et ce sourire permanent face à la haine accroissent cette sympathie auprès des femmes et des jeunes, qui voient en elle une figure bien plus représentative qu’Anne Hidalgo, l’autre figure féminine pressentie comme candidate pour la gauche. Depuis l’été dernier et l’affaire Christophe Girard, la maire de Paris a été mise sous les projecteurs, accusée de “ne pas avoir écouté les militantes féministes”, 

… Et la gauche ?

Au sein des partis de gauche, Christiane Taubira jouit toujours d’un certain respect, particulièrement chez ceux ayant rejeté la politique liberticide de François Hollande et Manuel Valls. Récemment, Benoît Hamon approuvait l’idée d’une candidature Taubira lors d’un récent entretien avec Ouest-France où il a encensé l’ancienne Garde des Sceaux :On a besoin d’elle. J’espère qu’elle dira oui. Elle a une autorité indéniable. Elle incarne la République et la solidité des principes républicains. Elle est l’une des seules à pouvoir réunir toutes les composantes de la gauche.”

Reste qu’aujourd’hui de nombreuses choses lui sont reprochées par ce même camp : le premier est, encore et toujours, sa candidature en 2002, qui aurait participé à la défaite de Lionel Jospin au profit de Jean-Marie Le Pen. Ce serait oublier qu’avec ses 2,32%, elle n’est pas la candidate qui a “volé” le plus de suffrages au PS (Chevènement : 5,33% ; Laguiller 5,72%, Besancenot 4,25%…). Ce serait oublier la campagne de Jospin, considérée par beaucoup à gauche comme catastrophique. Ce serait oublier que Christiane Taubira, elle-même, avait proposé une alliance avec l’ex-premier ministre,selon le conseiller en communications de celui-ci, Jacques Séguela. 

D’autres problèmes plus profonds pourraient constituer un frein à sa candidature. Si son indépendance est reconnue comme une force, elle pourrait constituer une faiblesse à court terme : n’étant étiquetée à aucun des principaux partis de gauche modérés ou radicaux, sa légitimité risque d’être plus difficile à acquérir dans l’hypothèse d’une candidature unique à gauche. 

Elle est, en outre, désavantagée par le fait de ne pas disposer de “troupes” militantes prêtes à partir en campagne dès demain. Malgré cela, sa popularité auprès des sympathisants de gauche ne fait plus de doute. Lors d’un récent sondage Ifop pour le JDD, Christiane Taubira était la personnalité que les partisans de gauche souhaitent le plus voir représenter la gauche dans une candidature unique (53%, soit la moyenne entre les individus se réclamant proches de LFI, du PS et d’EELV). Elle y devance Anne Hidalgo (52%) et Benoît Hamon (50%), ce dernier ayant renoncé à se présenter.

Et c’est précisément sur ce point que Christiane Taubira interroge le plus actuellement : l’engouement autour de son éventuelle candidature est réel et motif d’espoir, aussi bien pour une gauche en mal de repères, que pour la cause féministe (doit-on rappeler que jamais une femme, qui plus est racisée, n’a siégé à l’Élysée ?). Mais l’intéressée n’a toujours pas donné de suites concrètes à cette demande. Il faut remonter à septembre 2019 pour avoir une déclaration en ce sens : “S’il se dégage que c’est à moi qu’il reviendra de tenir le gouvernail […] oui je serai là,” avait-elle déclaré à France Inter. Il y a quelques jours, le Figaro a révélé que deux militants de gauche avaient contacté Mme Taubira pendant le premier confinement, pour lui demander son feu vert concernant la fameuse pétition qui a vu le jour le 12 décembre dernier.

Ce signe, bien qu’ancien, démontre en tout cas une volonté de l’ancienne ministre à peser dans la future campagne pour 2022, comme elle l’a déjà fait par le passé. Sous quelle forme ? L’avenir (proche) nous le dira.

Jean L.
Jean L.

Etudiant en Master Histoire à Bordeaux, je bifurque actuellement vers le journalisme. Si je fus quelque peu macho à une époque, j’essaie de me déconstruire au quotidien, d’où mon enthousiasme de participer à l’aventure de Potiches.

Parallèlement à tout ça, je pratique le vélo comme une seconde peau (mais mal bronzée). J’aime refaire le monde avec mes amis autour d’une bonne bière (belge bien sûr), je dis pain au chocolat et je place une réplique d’OSS 117 toutes les deux phrases.
Ah et aussi je ne peux pas supporter le Chou blanc, donc ! Auf wiedersehen à tou.tes ! :)

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