Alice Coffin, la lesbienne qui tire le train de la révolution féministe.

Lesbienne, journaliste, autrice du Génie Lesbien, militante LGBTQ+, élue écologiste à la mairie de Paris… On ne compte plus les différentes casquettes d’Alice Coffin. Très sollicitée depuis la rentrée 2020, elle a tout de même tenu à se rendre disponible pour répondre à nos questions par téléphone, entre deux lives Facebook. Lancée comme un train à pleine vitesse, la voix d’Alice Coffin nous entraine, ponctuée par le bruit de la vapeur qui sort de sa cigarette électrique : une locomotive inarrêtable qui tire le train de la Révolution Féministe. 

Alice Coffin
Photo : Joel Saget / AFP

Dans votre essai, vous appelez les femmes et les minorités dominées à se dégager du regard de l’homme, du dominant. Comment se libère-ton du regard des hommes, Alice Coffin ?

Une des façons c’est d’aller vers les femmes, volontairement. Il y a une approche qui consiste à dire : je vais aller voir ce que disent et font les femmes de manière volontaire. L’autre approche, qui est un peu le pendant de la première, c’est de dire “je vais me protéger de ce regard omniprésent en me contraignant à ne pas trop lire les hommes, trop les écouter, parce que sinon on finit par être complètement imprégnées par ce mode de pensée, ce regard sur le monde, et c’est un peu dommage d’être uniquement soumise à un seul type de regard qu’on va appeler le male-gaze au cinéma”. Ça passe par quelque chose d’un peu volontaire parce que si on laisse les choses se faire, eh bien il se trouve que dans les industries culturelles, médiatiques, entrepreneuriales, politiques etc …  on est sûres d’être complètement objectifiées par le regard des hommes qui sont statistiquement omniprésents dans la production de ces discours là .

Mais on l’a vu avec le traitement médiatique de la sortie de votre ouvrage et les accusations des « misandrie »… Se libérer du regard des hommes, ça a un prix ? 

Ben, en face ils résistent mais en même temps, il n’y a pas tellement de raison qu’ils ne résistent pas : ils sont dans une position très privilégiée. Ce sont des gens qui auront beaucoup plus de facilité à être médiatisé, à passer à la TV, à accéder à un poste de pouvoir donc forcément je comprends qu’ils n’aient pas spécialement envie d’abandonner cette position-là. La sortie de ce livre est une énième révélation de ça. Le discours qui voudrait dire que tout le monde a profité de la révolution féministe, qu’il faudrait faire avec les hommes, ça a ses limites, parce que quand on propose d’autres pistes, on voit que c’est reçu de manière extrêmement violente. Je pense que cette violence-là répond à une certaine panique, un sentiment de menace, mais aussi, car ce n’est pas incompatible, à un sentiment de toute puissance. 

Qu’est-ce qu’on répond aux hommes qui refusent d’entendre que la Révolution Féministe peut se faire sans eux ? 

Il faut leur demander s’ils sont prêts à assumer que juste parce qu’ils sont nés hommes et supérieurs sur cette planète, ils peuvent se sentir légitimes, ils ont des possibilités de vie infiniment plus vastes qu’une autre moitié de la population. Est-ce qu’ils trouvent que ça c’est bien comme fonctionnement pour l’humanité, est-ce qu’ils trouvent ça juste ? Il faut les pousser jusqu’à dans leurs retranchements et leur dire : « là maintenant vous assumez. » Ces discours-là ne sont jamais démontés pour ce qu’ils sont : ils sont des discours de discrimination totale, assumés par beaucoup d’hommes ! Et encore une fois, la réception de ce livre-là en est vraiment l’éclatante démonstration c’est à dire qu’en fait ça leur va très bien comme situation. Très bien, mais dans ce cas-là : « know your ennemi ». 

Presqu’en même temps que vous, Pauline Harmange a sorti un ouvrage, Moi les hommes je les déteste, un texte également qualifié de misandre, qu’en avez-vous pensé ? 

Évidemment c’est un hasard de publication. Néanmoins, je pense que ça ne relève justement pas du hasard si ces livres arrivent à ce moment-là. C’est intéressant de voir qu’on est à un stade du mouvement féministe, où est ressenti ce besoin d’être très affirmative, de ne pas sentir obligée de se justifier faire amie-amie avec les hommes, d’être très claire sur le fait que le féminisme de la complémentarité ne nous intéresse plus. Il y a eu cette évolution historique très claire quand on regarde ce qu’est le mouvement Metoo et sa traduction française Balance ton porc qui est encore plus crue : Balance ton porc, ça veut bien dire aller désigner des hommes comme des adversaires ! C’est un développement dans le mouvement féministe qui est qu’on pointe, on nomme et on ose établir que ce que font les hommes, est du domaine du conflit, du guerrier, de la volonté de nuire vraiment et de paralyser les femmes dans leur quotidien. 

En parallèle de ces dénonciations, il y a la notion de la sororité qui s’affirme de plus en plus dans les milieux féministes et vous en avez fait un principe : celui de ne pas taper sur les femmes. Comment fait-on lorsque ces femmes vont à l’encontre des idées féministes ? 

Et ben on souffre hein ! Moi ça me fait beaucoup souffrir ça, parce qu’hélas c’est quotidien d’avoir des femmes très hostiles aux féministes et finalement d’alliance avec le système patriarcal. Mais finalement pour moi, ça ne justifie pas. J’ai abondamment remarqué par expérience que quand une femme tient un discours qui heurte certains, c’est immédiatement pointé, ça ne reste pas lettre morte, alors que quand c’est un homme, souvent les gens ont davantage peur de les attaquer, y compris chez les militant.e.s. Il y a ce réflexe, parce que c’est beaucoup plus facile, or moi je l’ai vu avec Christophe Girard en revanche : ça peut très bien arriver qu’un homme soit au pouvoir pendant des années, fasse des choses condamnables, mais là le silence se fait. Donc moi je préfère garder mon énergie pour ça… Mais j’entends très bien que pour d’autres femmes ça soit aussi important de mettre à l’index le discours sexiste, raciste, des autres femmes. 

Justement, vous avez participé à l’éviction de Christophe Girard, qu’est-ce que ça représente pour vous Alice Coffin ce moment-là en tant qu’élue à la mairie de Paris ? 

C’était pas une action très simple à mener, l’opposition a été frontale. Après, je pense que moi je l’ai mené comme je fais d’habitude des actions féministes c’est à dire en ne restant pas silencieuse, comme toujours si je vois une forme de violence s’exercer en toute impunité. En ne restant pas silencieuse et en menant des actions collectives : je n’ai pas mené ça toute seule, c’est aussi grâce à d’autres personnes qui se sont mobilisées. En revanche, ça m’a permis d’expérimenter cette stratégie d’être à la fois dedans et dehors, et je pense que c’est ça qui a permis d’aboutir à cette position-là, parce que justement, il y avait des élus à l’intérieur qui luttaient, des manifestantes à l’extérieur sur le parvis et ça a mis une pression supplémentaire. Malheureusement, il y a beaucoup de lieux où ça n’est pas possible. Autour de la table du conseil des ministres pour évincer Darmanin par exemple, on a du monde pour mettre une pression à l’extérieur, mais on n’a personne à l’intérieur. C’est pour ça que c’est très important aussi d’avoir accès à ces lieux-là. 

On entend que vous êtes en lutte Alice Coffin, et c’est ce aussi ce que vous dites dans votre livre : en fait les lesbiennes portent des causes très intersectionnelles et ne se battent pas seulement pour la cause lesbienne. En revanche, cet été vous avez été harcelée et mise sous protection policière… Comment être une bonne alliée et que peut-on faire pour vous renvoyer l’ascenseur à notre tour  ?

Ah ben on les attend les allié.e.s ! C’est difficile. Lorsqu’on a fondé l’association Lesbiennes d’Intérêt Général, on l’a fait pour aider les lesbiennes parce qu’on savait que si on le faisait pas nous même, il n’y aurait pas grand monde pour nous aider. Je pense que ça va venir… Il y a une forme de momentum lesbien et je pense qu’il fallait déjà le rendre visible. En tout cas notre argumentaire à la conférence européenne lesbienne, c’est de s’adresser aux institutions en leur disant : mais arrêtez de sous-estimer ce mouvement lesbien, de ne jamais lui donner de financement, faire comme si on existait pas, parce qu’en fait en faisant ça, c’est pas juste aux lesbiennes que vous nuisez c’est à un ensemble d’autres population que les lesbiennes sont les premières à aider.

Merci beaucoup Alice Coffin ! 

Scandola Graziani
Scandola Graziani

Étudiante en journalisme, je m’intéresse aux sujets liés au féminisme et à l’environnement, dans une démarche de journalisme d’investigation. Je suis aussi correspondante à Ouest-France depuis 3 ans.

J’ai choisi cette voie parce que je pense que les médias ont un le pouvoir de faire évoluer les mentalités. Et j’y crois !

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