
Cent ans avant le premier ordinateur, comment Ada Lovelace, lady de l’époque victorienne britannique, en est-elle arrivée à rédiger le premier programme informatique de l’histoire ?
Ada Byron naît le 10 décembre 1815 à Londres. Unique enfant issue du mariage du poète Lord Byron et d’Annabella Milbanke, Ada ne connaîtra jamais son père.
Ce dernier, célébrité de l’époque et coureur de jupons, entretient une relation incestueuse avec sa demi-soeur. Lord Byron est également bisexuel, chose tout à fait scandaleuse en ces temps..
Afin de faire profil bas et d’éviter que ses fans ne se retournent contre lui, Il épouse Annabella en janvier 1815.
Alors qu’Ada n’a qu’un an, ses parents se séparent et Lord Byron quitte le Royaume-Uni.
Annabella, que lord Byron surnommait “la princesse des parallélogrammes” redoute que sa fille suive le même chemin que son père. Elle la dirige donc vers une discipline opposée à la poésie romantique qu’elle apprécie tout particulièrement : les mathématiques.
Elle espère ainsi faire d’ Ada une jeune lady rationnelle et cultivée.
À seulement 12 ans, Ada écrit un traité sur les ailes des volatiles dans le but de construire une machine volante.
Charles Babbage
Grâce à la notoriété de son père et malgré le fait qu’il soit absent de sa vie, Ada intègre les cercles scientifiques londoniens.
En juin 1833 Ada , alors âgée de 17 ans, rencontre Charles Babbage grâce à sa tutrice Mary Sommerville lors d’une soirée ou il lui présente l’une de ses inventions, la machine analytique.
Les tables de calculs des livres de mathématiques ainsi que les tables nautiques ou astronomiques sont souvent inexactes car calculées à la main.
En s’inspirant du métier à tisser Jacquard, un système mécanique inventé pour le tissage de motifs complexes, qui utilise un système de cartes perforées ainsi que de la Pascaline et de la multiplicatrice de Leibniz, Charles Babbage imagine une calculatrice programmable, ancêtre de l’ordinateur.
Vision mystique de la machine
En observant les prototypes et plans de cette machine, Ada a une idée : et si au lieu de ne manier que des chiffres cette machine pouvait manier des variables, des concepts et des données ?
Elle a ainsi l’intuition de ce que deviendra l’informatique.
Charles et Ada correspondent par lettre et s’entendent sur une vision presque mystique de la machine. Comme pour beaucoup de scientifiques de l’époque, ils s’interrogent sur l’idée que Dieu aurait créé le monde en langage mathématique. Il serait ainsi possible de percer les mystères de l’univers grâce à celle-ci.
La Note G
En 1935, Ada épouse Lord William King futur comte de Lovelace. Elle interrompt sa recherche scientifique, et quitte Londres pour la campagne anglaise à contrecoeur.
Après avoir mis au monde trois enfants, elle décide de reprendre ses recherches en 1839 avec un nouveau tuteur, Auguste De Morgan.
En 1840, Charles Babbage se rend à Turin pour présenter sa machine analytique. Deux ans plus tard, un mathématicien italien ,Luigi Menabrea, publie dans un journal suisse une description de la machine en français et Charles demande à Ada de traduire le texte. Durant neuf mois, elle retranscrit mot pour mot le travail de son mentor.
Lorsqu’elle termine, il lui suggère d’ajouter des commentaires et remarques. Ada ajoute sept notes, labellisées de A à G faisant trois fois la taille de l’article original.
C’est dans ces notes, la fameuse note-G, qu’elle rédige le premier programme informatique au monde portant sur les nombres de Bernoulli.

A écouter : Ada Lovelace, la grande ordinatrice
Défense de son travail
Ada doit lutter pour défendre le fruit de ses recherches. Son mari lui interdit de signer ses papiers de son nom, cette pratique n’étant pas digne d’une femme.
Babbage, tout comme le mari d’Ada avant lui, essaye de s’approprier ses écrits comme il était commun de le faire à l’époque lorsque des femmes faisaient des découvertes.
Ada ne se laisse pas faire et parvient à signer ses travaux de ses initiales A.L.L.
Lorsqu’elle publie son mémoire, Ada le décrit comme son “premier enfant” bien plus cher à ses yeux que ses enfants biologiqu Avant ses 30 ans, Ada publie ses notes, et créé la première bibliothèque logicielle, avec l’idée d’aller déjà plus loin.
Elle imagine une machine capable de créer des langages, de la musique et même jouer aux échecs: une conception de l’informatique que l’on atteint à peine aujourd’hui.
Par la suite, elle se dispute avec Charles Babbage et leur collaboration cesse.
Incapable de construire sa machine analytique par manque d’argent et de moyens techniques, il abandonne.
Mais Ada, déterminée, décide de subventionner elle-même le projet. Elle joue aux courses hippiques pour financer ses recherches et tente même de mettre en place un système mathématique pour remporter les paris.
Malheureusement, elle dilapide son argent, et est entraînée dans une spirale de dettes.
Elle meurt à l’âge de 36 ans d’un cancer de l’utérus le 27 novembre 1852.
Postérité
En 1937, John Eckert, ingénieur de Harvard lit ses recherches sur les prototypes de la machine analytique ainsi que les notes de Ada Lovelace et Charles Babbage. Il les utilise pour créer le programme Manhattan, à l’origine de la première bombe atomique.
Alan Turing s’inspire lui aussi des notes d’Ada Lovelace dans les années 1930, bien que son nom ne soit jamais cité dans ses travaux.
En son honneur, le département de Défense américain nomme un langage de programmation conçu à la fin des années 1970, “Ada” et le CNRS fait de même en 2012 avec l’un de ses supercalculateurs.
En 2019, une école de code féministe ouvre ses portes à Paris : l’Ada tech School.