Depuis le coup d’État organisé par la junte militaire en février dernier, la Birmanie vit au rythme des manifestations. L’avenir de la population birmane est en jeu. Mais plus encore, celui des jeunes femmes. Ces dernières comptent bien profiter de l’occasion pour établir une nouvelle société aux bases plus égalitaires.
“J’ai l’impression que le coup d’État a emporté tous mes droits et tous mes plans.” Ces mots sont ceux de Sumon*, une adolescente de 17 ans vivant à Naypyidaw, capitale de Myanmar (autre nom de la Birmanie utilisé par nos sources). Comme de nombreuses jeunes femmes, Sumon voit le putsch militaire comme un retour en arrière. Elle explique : “La dernière fois que la junte était au pouvoir, cela a laissé notre pays loin derrière les autres au niveau des évolutions. Nous sommes l’un des pays les plus pauvres et nous étions tout juste en train de rattraper notre retard…”
La Birmanie devient une dictature militaire en 1962 à la suite d’un coup d’Etat perpétré par le général Ne Win. Ce dernier reste au pouvoir jusqu’en 2011. Date à laquelle une transition démocratique s’enclenche, portée par le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), créé en 1988. Le coup d’Etat du 1er février dernier a donc mis fin à ce court espoir d’un retour à la paix après plus de quarante années sous une dictature militaire.

Mais la Tatmadaw -l’armée birmane- en a décidé autrement. Dénonçant des irrégularités dans les législatives de novembre 2020 -remportées par la Ligue nationale pour la démocratie- le général Min Aung Hlaing, commandant de la Tatmadaw, a ainsi organisé un putsch et fait arrêter la cheffe d’Etat avant de proclamer l’état d’urgence national. Le désormais dictateur en chef de la Birmanie assure que les pleins pouvoirs lui ont également été confiés “dans l’attente d’un transfert de responsabilité de l’Etat après de nouvelles élections”.

Mais ce dernier n’avait pas prévu de faire face à une telle réaction populaire. Le 6 février, un mouvement de désobéissance civile se met en place et malgré une répression violente, il ne faiblit pas. “Actuellement, je suis à Rangoun et ici, on vit sous la loi martiale. De jour comme de nuit, Les forces militaires tuent ou enlèvent de nombreuses personnes. Même si on ne prend pas part aux manifestations, ils perquisitionnent les maisons et tirent sans raison”, dénonce Maya*, une jeune femme birmane de 25 ans que nous avons pu interviewer via Twitter.
La crainte d’un patriarcat exacerbé par un régime militaire
La jeune génération est la première à descendre dans les rues pour défendre ses droits. En particulier les jeunes femmes birmanes qui redoutent les conséquences d’un gouvernement militaire dans un pays déjà très patriarcal. En première ligne lors des combats, elles constitueraient 60% des cortèges, d’après la Fédération internationale pour les droits humains. La première victime du mouvement était d’ailleurs une femme : Mya Thwate Thwate Khaing, 19 ans. Elle est abattue d’une balle dans la tête lors d’une manifestation à Naypyidaw, le 9 février.
“Les jeunes femmes se considèrent comme parties prenantes du mouvement en cours, analyse Sophie Boisseau du Rocher, doctorante en sciences politiques et spécialiste de la géopolitique en Asie du Sud-Est. Beaucoup d’entre elles se battent non pas pour elles à court terme, mais pour leurs enfants. Elles ne veulent pas qu’ils vivent l’isolement et l’appauvrissement des années militaires. Ce pour quoi ces femmes s’engagent, c’est la promesse d’un avenir meilleur en Birmanie.”
En effet, des normes sexistes et misogynes régissent la société birmane. Les femmes sont élevées selon des codes très stricts. Elles doivent être discrètes, rester à la maison, faire le travail domestique, ne jamais sortir la nuit, etc. “La plupart d’entre elles sont femmes au foyer parce que nous avons eu un mauvais accès à l’éducation et peu de possibilités d’emploi avant 2010”, regrette Nay*, 22 ans. Mais ce n’est pas tout. Non contentes d’être cantonnées à la sphère privée, les femmes subissent aussi de nombreuses violences. Harcèlement de rue, agressions sexuelles, viols, etc. Dans un article de Challenges, l’avocate et activiste Hla Hla Yee déplore : “Les maltraitances visant les femmes sont si ancrées qu’elles restent tolérées et largement sous-estimées. »
Beaucoup d’espoirs pour l’après-révolution
“Ici, le sexisme est banalisé. Les agressions sexuelles, le body shaming, tout est normalisé. Les femmes se sentent traitées avec injustice, raconte Sumon. Cette révolution inclut tout. Que ce soit la lutte contre le sexisme, contre la masculinité toxique, la lutte pour les droits de chaque sexe, etc.”. La Birmanie s’était pourtant engagée à promouvoir et défendre les droits des femmes : en 1997, le pays avait notamment ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF). Mais le retard engendré par la dictature militaire est difficile à rattraper… Il n’y a par exemple toujours pas de loi spécifique contre la violence domestique. Alors même que 90% des femmes ont déjà subi une forme de maltraitance de la part de leur partenaire d’après une étude officielle de 2015.
A ces défis quotidiens s’ajoute la peur de voir les violences sexuelles à nouveau utilisées comme arme de guerre si la junte militaire reste au pouvoir. Les Birmanes veulent donc profiter de la révolution actuelle pour reprendre les rênes de leur destin. “Ces jours-ci, tout a changé. La population féminine est supérieure au sein des rassemblements. Les femmes prouvent qu’elles devraient occuper des postes de premier plan à égalité avec les hommes”, assure Maya.
Malgré l’horreur que traverse le pays -le nombre de mort·es s’élève à plus de 800 après plus de quatre mois d’affrontements selon les derniers chiffres de l’Association d’Aide aux prisonniers politiques-, la jeune génération semble remplie d’espoir. “Je crois que notre pays peut relever son importance en Asie si nous gagnons ce combat. Et ce sera aussi bon pour les femmes. Le point de vue des hommes sur les femmes commencent à changer, confirme Ivory*, 21 ans. Par exemple, dans la tradition birmane, une croyance veut qu’un homme ne puisse pas passer sous le longyi (jupe longue traditionnelle) d’une femme au risque de perdre sa grandeur. Mais aujourd’hui, ce genre de pensées sexistes disparaît puisque de jeunes hommes participent aussi à la révolution du longyi.”
« Reprendre notre futur »
La “révolution du longyi” illustre le fait que les manifestantes suspendent leurs jupes en hauteur afin de ralentir la traversée des militaires. La pratique a été interdite par la junte militaire sous peine de condamnations. Qu’à cela ne tienne, les jeunes femmes ont donc changé de tactique. Le longyi s’est ainsi transformé en étendards et en drapeaux. Par ce geste, elles font passer un message fort. Elles ne veulent pas d’un gouvernement qui a évincé une femme cheffe civile et qui a réimposé un ordre patriarcal.
Nous n’avons jamais imaginé faire la révolution et participer à des manifestations. Personne ne nous guide ou nous dirige, ce que nous faisons ici relève de la force collective et des idées de toutes. Il ne s’agit pas de partis politiques mais de reprendre notre futur
Maya.
De par sa puissance, le mouvement de désobéissance civile isole la junte et interdit la normalisation rapide du régime. Maya en est persuadée : “Les jeunes ne veulent pas de cette armée. Nous voulons une démocratie fédérale [régime politique permettant d’unifier la législation d’un groupement d’Etat ayant chacun leurs propres lois, comme les Etats-Unis, ndlr]. Cette révolution peut changer notre pays, l’améliorer. Après la victoire de la révolution et grâce à une bonne éducation et à des opportunités d’emplois, les femmes pourront par exemple choisir leur style de vie et leurs professions comme les hommes.”
Monnie*, une jeune birmane de 17 ans, assure “que nous ne pouvons pas oublier le pouvoir des femmes dans cette révolution. […] La plupart de nos mères ont dû grandir dans un environnement opprimé donc nous, nous ne voulons pas de cela. Si nous restons sous un régime militaire, la plupart des filles peuvent être harcelées sexuellement voire violées par des soldats. Nous nous battons pour un meilleur avenir”.
Plus de libertés, moins de sexisme, plus d’égalités entre les sexes mais aussi une meilleure économie et un système d’éducation et de santé qui tiennent la route… Voilà ce qu’espère la jeune génération birmane après la révolution. Elle souhaite aussi que justice soit faite pour les Rohingyas. Cette ethnie de confession musulmane minoritaire en Birmanie persécutée depuis de nombreuses années. Il ne s’agit donc pas que d’une révolution politique mais bien d’une révolution sociale en profondeur.
*Tous les prénoms ont été changés
Illustration principale : @olympereve