La Cour Suprême des États-Unis a supprimé, le 24 juin 2022, le droit à l’avortement. Quelles conséquences pour les femmes ? On revient sur cette décision tristement historique à travers le témoignages de trois expatriées qui, petit à petit, ont vu leur « American Dream » se transformer en cauchemar.
La Cour Suprême a tranché le 24 juin 2022, concernant l’arrêt Roe v. Wade qui garantissait le droit à l’IVG pour toutes les Américaines. Pouf, disparu, 49 années après son adoption. Selon le Washington Post, dès le jour même, l’avortement était interdit dans huit des états les plus conservateurs du pays. Une rapidité qui s’explique par des « trigger laws », des lois déjà rédigées depuis longtemps et qui n’attendaient que la révocation de Roe v. Wade pour s’appliquer.
Au Texas, par exemple, les médecins qui pratiquent l’avortement risquent la prison à perpétuité et jusqu’à 100 000 dollars d’amende. En Oklahoma, toute personne « reconnue coupable d’avoir pratiqué ou tenté de pratiquer un avortement » encourte jusqu’à dix ans de prison, et ce même même après un viol ou un inceste. Une réalité qui a rendu Harmony, mère au foyer et créatrice de contenu d’origine belge, « nauséeuse et profondément en colère ».
Un retour 50 ans en arrière qui pénalise surtout les plus précaires
Et pourtant, la Cour Suprême américaine vient de plonger des milliers de femmes dans la tourmente. Celles qui vivent dans la précarité, surtout, et qui n’auront pas les moyens de voyager dans un autre État pour pouvoir avorter en toute sécurité… Dans un article sur le sujet, Le Monde rappelle qu’aujourd’hui, on pratique encore « plus de 25 millions d’IVG dangereuses » chaque année à travers le monde. C’est simple : l’avortements clandestin est « la troisième cause de mortalité maternelle dans le monde ». Aux Etats-Unis, le Guttmacher Institute estime que 26 États sur 50 finiront par bannir le droit fondamental à l’IVG.
En 2020, environ 1 grossesse sur 5 a été interrompue outre-atlantique (un chiffre en hausse après 30 ans de baisse). Or les études tendent à montrer que même si la loi l’interdit, les femmes ne renoncent pas quand elle souhaite avorter. Les estimations mondiales de 2010 à 2014 démontrent que 45 % de l’ensemble des IVG sont non sécurisées. Et qui dit avortement clandestin, dit plus de complications et des décès…
Rester et résister ou bien fuir ?
Pour les femmes précaires qui habitent les États ayant banni l’avortement, les solutions sont maigres. Il leur reste à compter sur la solidarité. Pour les autres, que faire, déménager ? Tout plaquer ? Difficile d’imaginer quitter pour de bon ses proches et son pays. Mais quand les États-Unis ne sont pas ton pays d’origine ? Quand une autre famille t’attend, quelque part… Pourquoi ne pas partir ? J’ai posé la question à Harmony, Lila et Yasmine* (* le prénom a été modifié), toutes les trois expatriées à New York.
L’État dans lequel elles habitent protège l’IVG, « mais je me dis que ça pourrait changer », m’avoue Lila. Alors que faire, rester et résister, ou partir ? Pour ces femmes, vivre aux États-Unis était un rêve. Elles ont quitté leur pays respectif : la France, la Belgique et le Royaume-Uni, pour le réaliser. Aujourd’hui, face à la montée du conservatisme et des « pro-vie », le rêve vire peu à peu au cauchemar.
Harmony, d’origine belges, vit dans la Grosse Pomme depuis cinq ans. C’est ici que son fils est né. Pour elle, la décision de la Cour Suprême, bien qu’attendue, a été un choc. Un choc duquel est né de la colère, comme pour Lila, qui garde des enfants à New York depuis 10 ans et qui parle aussi « d’incompréhension, de tristesse, de dégoût ».
« J’ai du mal à voir la lumière au bout du tunnel, malgré notre colère collective. »
Pour Harmony, même si l’ambition est de « continuer à se battre pour défendre les droits des femmes », notamment en manifestant, elle admet voir l’avenir « sombre ». Il faut dire que les membres du Congrès sont nommés à vie par le président des USA, nous rappelle la jeune femme de 32 ans. Or c’est parce que trois juges sont décédés sous la mandature de Trump que le pays en est arrivé là. Ils ont été remplacés par l’ancien Président, qui a choisi 3 juges très conservateurs.
De son côté, Lila a « peu d’espoir » que les manifestations changent quelque chose. « Je sais qu’il faut garder espoir, mais c’est dur », m’avoue la fFrançaise. Même son de cloche pessimiste du côté de Yasmine*. Elle non plus n’a pas été totalement surprise par la révocation de Roe v. Wade. Pour autant, elle a dû mal à digérer, « je suis trop en colère pour avoir les idées claires. » L’expatriée d’origines britanniques s’est dit elle aussi envahie par une foule de sentiments : « la frustration, la peur, mais surtout la rage. »
Elle admet qu’elle a des « bonsjours » – qui se font « de plus en plus rares » durant lesquels elle veut encore croire à « l’expérienceAméricaine ». Mais le reste du temps Yasmine s’inquiète pour l’avenir, « entre l’insurrection du 6 janvier, les fusillades dans les écoles et la folie absolue de ce que les gens mal informés sont prêts à croire dans ce pays, juste pour pouvoir haïr les autres » …
La riposte n’attend pas
« La colère collective » dont parle Harmony pousse un grand nombre de personnes à agir. Face à ce backlash (notion démontré en 1991 par Susan Faludi, qui concerne les offensives réactionnaires qui suivent chaque avancée du droit des femmes) post #Metoo, la riposte n’attend pas et la solidarité se met en place. Sur Twitter, des « noms de code » sont utilisés pour proposer de l’aide aux femmes qui cherchent à avorter en toute sécurité.
Pour beaucoup, la solution viendra des pilules abortives, qui ont été largement stockées par des associations et qui peuvent être simplement envoyées par courrier. « Interdire la circulation de ce médicament reste difficilement concevable » estime Anne Légier, docteur en civilisation américaine, au Parisien. D’autres citoyen·ne·s se tournent vers le Droit pour contrer les Conservateurs. En Louisiane, une clinique et des étudiant·e·s en médecine ont porté plainte contre la nouvelle loi anti-IVG. Cette action en justice a permis à la juge Robin Giarrusso de suspendre l’interdiction à l’avortement, au moins jusqu’aux audiences du 8 juillet.
Autres membres (certain·e·s diraient inattendues) de la lutte : les grandes compagnies. Dans le journal Le Monde, on apprend que Netflix, Apple, Tesla, Starbucks, Uber (et d’autres) ont annoncé qu’elles aideront financièrement leurs salariées à accéder à une IVG. Et oui, en 2022, priver les femmes du droit à disposer de leur corps peut aussi avoir un impact économique. Qui aurait envie d’aller travailler dans un État qui réprime ses droits ?
Enfin, les artistes et autres personnes d’influences donnent également de la voix. Il y a une semaine sur Instagram, Michel Obama a encouragé les internautes dans une longue tribune : « Transformez votre frustration et votre colère en actions, en vous impliquant. Des organisations comme Le Planning Familial ou The United Stated of Women, parmi tant d’autres, ont des ressources si vous voulez aidez les autres ou que vous avez vous-même besoin d’aide. ». Pour Taraji P. Henson, trop c’est trop. L’actrice a confié au magazine People être « fatiguée » de lutter contre le racisme et le sexisme. Elle envisage de déménager en Europe… peut-être dans le Sud de la France.
Rester et se battre. Ou bien voyager… Quand on le peut. J’ai demandé à vingt personnes de mon entourage : « Si vous pouviez partir en vacances aux États-Unis, là tout de suite, vous le feriez ? » 6 personnes m’ont répondu que oui. 6 autres ont déclaré qu’ils boycottaient les États anti-IVG. Les 8 autres ont affirmé que non, ils n’iront pas. Aux yeux d’une partie du monde, les États-Unis perdent de leur splendeur. Surtout, ils n’ont plus grand chose d’unis… Alors que la résistance, elle, se dresse plus vaillante que jamais.