Cameroun, le repassage des seins pour éviter d’attirer l’œil des hommes

Afin de les protéger du regard des hommes, des agressions et des viols, de nombreuses mères camerounaises massent à l’aide de pierres, spatules ou bâtons de bois chauffés, la poitrine naissante de leurs filles pour que celle-ci ne se développe pas.

Repassage des seins au Cameroun, illustration par Chloé Riffault
Illustration Chloé Riffault – Designoscopic

Culpabilisation des victimes

Au Cameroun, les jeunes filles qui voient leur poitrine se développer plus tôt que les autres sont considérées comme des tentatrices. Dans le cas d’agression on culpabilise alors la victime, la faute étant rejetée sur la jeune fille plutôt que sur l’homme qui l’agresse.

En supprimant les signes extérieurs de féminité, les mères espèrent ainsi préserver leurs filles, leur éviter d’être convoitées par des hommes et de tomber enceinte.

Dans certains cas les mères repassent les seins de leurs filles pour les protéger de leur père, de peur que ceux-ci les marient si leur poitrine se développe. Les jeunes filles peuvent ainsi poursuivre leur scolarité.

« À 12 ans, quand j’ai eu un peu de seins, mes parents étaient inquiets. Ils avaient peur que j’attire les garçons. Un jour, ma mère m’a appelée et elle a commencé à me masser les seins avec une pierre chauffée dans le feu. Elle avait un chiffon pour ne pas se brûler et a posé la pierre brûlante sur moi. Ça faisait très mal. Quand elle massait, je criais tellement que les voisins venaient voir ce qui se passait dans la cuisine », raconte Amélie une jeune Camerounaise de 24 ans.

« Je ne comprends pas pourquoi ma mère fait ça »

Mère, tante, sœur, cousine ou grand-mère. C’est au sein même des familles que la pratique est transmise et perpétuée. Jusqu’à trois fois par jours, les jeunes filles se font écraser les seins naissants avec un bâton ou une spatule puis avec une pierre chauffée dans l’espoir de brûler les graisses.

En plus de ce « massage » extrêmement douloureux, les jeunes filles portent souvent un bandeau de tissus très serré autour de la poitrine pour l’empêcher de pousser, l’aplatir ou la masquer. « « Des fois ça m’empêche de respirer tellement ça me serre. Mais surtout ça me fait peur. Ça va faire un an que je la porte. En dessous comme il fait chaud, ça me fait des boutons partout. Je ne comprends pas pourquoi ma mère me fait ça », témoigne Manuela, 9 ans.

Éducation sexuelle

L’éducation sexuelle étant tabou et peu démocratisée au Cameroun, les mères protègent leurs filles comme elles le peuvent sans imaginer les conséquences désastreuses que peut avoir le repassage des seins.

« Comme le sexe est tabou et que les seins sont un signe de puberté, les parents préfèrent gommer ce qui rappelle la sexualité plutôt que de parler de sexualité : pour eux, en parler va donner envie d’avoir des relations sexuelles » explique l’anthropologue Flavien Ndonko.

L’association RENATA, Réseau National des Tantines, composée essentiellement de victimes des mutilations sexuelles (repassage des seins, excision, viol), lutte activement contre cette pratique.

Elles se rendent régulièrement dans les écoles pour sensibiliser les jeunes filles. Cathy Aba Fouda, l’une des bénévoles raconte son histoire.

« Vos mamans ne sont pas méchantes, c’est juste qu’elles ne savent pas quoi faire. Moi aussi je suis une victime, on m’a massé les seins quand j’avais 10 ans. Un jour de lessive, j’ai enlevé mon vêtement pour le laver. Ma cousine m’a dit “tiens, tu as déjà des seins, ce n’est pas normal. Tes deux grandes sœurs n’en ont pas encore. C’est toi que les garçons vont regarder.” J’étais d’accord pour qu’on m’en débarrasse. »

En classe de quatrième, Cathy tombe enceinte.

« Le garçon m’a lâchée, mes parents étaient fâchés, j’ai dû abandonner mes études. Pendant ma grossesse, le lait n’est jamais venu. Les médecins se sont aperçus que mes seins étaient gâtés. On a failli m’amputer. Il a fallu les ouvrir et poser des compresses pour retirer le pus, ça me faisait très mal. »

Une femme sur quatre

Grâce au travail de l’association, de moins en moins de mères infligent cette tradition à leurs filles. Selon l’Institut pour la Recherche, le développement Socio-économique et la Communication (IRESCO), la pratique du repassage des seins est en baisse, 23,8% des camerounaises étaient touchées en 2005 contre 11,8 % en 2013. 

Conséquences physiques et psychologiques

Cette coutume ancestrale pratiquée au Cameroun mais également au Togo ou en Guinée,  peut avoir des conséquences dramatiques sur la santé de ces jeunes filles.

D’après l’étude de l‘IRESCO en 2013, 3,7 % des filles ayant été interrogées se sont retrouvées avec des seins blessés, 8% avec un sein plus grand que l’autre, tandis que 2% ont subi l’ablation d’un sein.

L’étude montre également que 17% des cas de kystes et d’abcès détectés chez les femmes dans le pays sont dus au repassage des seins.

 En plus de la douleur et des brûlures provoquées par le « massage », les jeunes filles développent une honte de leur corps.

« je me sens vraiment gênée : je ne peux pas porter les habits que je veux, je dois porter des soutiens-gorge rembourrés et certains hommes se moquent de moi. Un ami m’a dit : “si tu n’as pas de seins, ça ne vaut pas la peine”, confie Amélie.

 En 2015, le photographe Gildas Paré réalise une série de photo sur le repassage des seins. Dans son entrevue publiée sur Vice, il explique être parti avec des idées préconçue sur cette pratique : « je pensais trouver des femmes avec des énormes cicatrices. Mais finalement, ce sont les blessures psychologiques que je sentais dans nos discussions. J’ai essayé de faire ressortir à travers leur regard ce qu’elles avaient pu me dire. Et c’était tout de suite très fort.»


A lire : Femmes mutilées et corps froissés, Vice. 

Mahé Cayuela
Mahé Cayuela

Étudiante en journalisme à l’Université du Québec à Montréal, franco-argentine ayant grandi en Turquie je suis passionnée de géopolitique internationale.
Sinon je suis phobique des agrumes, en particulier des citrons.

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