On l’appelle « the Heartbeat Act » ( la loi dite « du battement de cœur ») et elle est entrée en vigueur au Texas le mercredi 1er septembre 2021. Voici six choses à savoir sur la loi anti-avortement la plus restrictive des Etats-Unis.
1. Elle est contraire à la constitution américaine
Aux États-Unis, l’avortement est un droit fondamental protégé par la Constitution en vertu de deux jurisprudences : la première, véritable bête noire des conservateurs américains, est l’arrêt historique « Roe vs Wade »* (1973) qui a mené à la légalisation de l’avortement à l’échelle nationale. Cet arrêt fait du droit à l’IVG un droit à la vie privée, lui-même protégé par le 14ème amendement de la Constitution.
La seconde est le cas « Planned Parenthood vs Casey »** (1992) qui a autorisé les avortements jusqu’à 22 ou 24 semaines, c’est-à-dire dès que le fœtus devient viable, contre six semaines pour la nouvelle mesure entrée en vigueur au Texas le mercredi 1er septembre 2021. Cette dernière, signée dès le mois de mai par le gouverneur républicain Greg Abbott, est donc en théorie contraire à la Constitution américaine.
2. Les raisons de l’absence de réaction de la Cour Suprême

« Alors comment peut-elle exister ? » me direz-vous… Parce que ses fondateurs ont été malins (ou fourbes c’est vous qui voyez) en décidant de soustraire au Texas sa responsabilité constitutionnelle.
Le texte est clair : il interdit toute intervention après la sixième semaine de grossesse. Mais pour faire respecter ladite loi, l’Etat compte sur ses citoyen·nes, et non sur ses autorités. Ainsi, toute personne (même non résidente du Texas) peut désormais décider de porter plainte au civil contre ceux ou celles qui aident une femme à avorter. Or ça, ça n’est pas contraire à la loi fédérale… Si cette rédaction inédite explique en partie le refus de la Cour Suprême à bloquer le texte, la composition de cette dernière n’y est pas non plus étrangère. Rappelons que depuis la nomination d’Amy Coney Barrett par Donald Trump après la mort de Ruth Bader Ginsburg, la plus haute juridiction du pays est à majorité conservatrice.
3. Elle vise non seulement les personnes qui veulent avorter, mais aussi quiconque leur viendrait en aide
Ce qui est encore plus pernicieux, c’est qu’au-delà de priver les femmes d’un droit fondamental, le
Heartbeat Act menace toute personne qui déciderait de leur venir en aide. Il est en effet impossible pour un civil de porter plainte contre une femme pour avoir avorté (encore une fois, ce serait anti-constitutionnel), par contre il pourra désormais porter plainte contre son médecin, contre une personne de sa famille si elle l’a soutenu financièrement, voir même contre le chauffeur de taxi qui l’aurait déposé à la clinique ! Pour Ken White, ancien procureur fédéral, l’objectif est simple : « Submerger quiconque est perçu par les conservateurs comme lié à l’avortement avec des poursuites coûteuses ». En parallèle, le ou la plaignante sera dédommagée de 10 000 dollars (soit près de 8 500 €) en cas de condamnation.
4. Médicalement, son appellation n’est même pas exacte
Le sénateur républicain Bryan Hughes, auteur de la loi « Senate Bill 8 » écrivait sur Twitter : « Cette loi reconnaît le signe de vie universel : le battement de cœur ».
Or le Dr.Nisha Vera, membre du Collège américain des Obstétriciens et Gynécologues, l’affirme : un battement de cœur n’est pas toujours synonyme de vie. « Les battements que l’on observe lors d’une échographie menée aux prémices d’une grossesse découlent en fait d’une activité électrique et le son qu’on entend est en réalité produit par l’échographe. » Elle explique que dans la majorité des cas, l’embryon à six semaines de grossesse n’a en réalité que quatre semaines d’existence. En effet, la majorité des femmes réalisent qu’elles sont enceintes après leur premier retard de règles, « soit deux semaines après la conception. »
5. Elle empêchera 85 % des avortements
Selon l’organisation du Planning Familial texan, cette mesure empêcherait la quasi totalité des avortements. En effet, 85% des femmes texanes avortent après le délai de 6 semaines de grossesse. Et si ces avortements sont jugés trop tardifs par les « pro-life », ils sont parfaitement légaux ! Selon l’Institut Guttmacher, 65 % des IVG pratiqués aux Etats-Unis interviennent à 8 semaines ou moins de gestation et la quasi-totalité (91 %) à moins de 13 semaines. On est loin du délai légal de 24 semaines…
6. Elle peut encore être empêchée
Pour que cette loi soit censurée, il existe deux solutions : la première, proposée par la présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, serait de faire inscrire l’arrêt « Roe v. Wade » dans la loi fédérale. Ainsi, le droit à l’avortement serait garanti dans tout le pays. Problème : cela nécessite l’accord des deux Chambres du Congrès.
La seconde solution serait qu’un·e citoyen·n·e décide de saisir la Cour suprême, comme l’a fait Norma Corvey en son temps. En effet, comme l’explique l’avocat Jean-Claude Beaujour au journal La Croix : « Un citoyen peut, dans le cadre d’un dossier précis individuel, demander à la Cour suprême de contrôler la constitutionnalité de la loi ». Une démarche malheureusement complexe et coûteuse.
*En 1970, Norma Corvey (rebaptisée « Jane Roe » pour garder l’anonymat) décide de porter plainte contre le Texas car elle souhaite avorter mais l’Etat lui interdit. Soutenu par ses avocates Sarah Weddington et Linda Coffee elle se bat pendant trois ans contre l’avocat texan de la défende Henry Wade. Le procès secoue l’Amérique tout entière puisqu’il devient un enjeu présidentiel en 1972, divisant Démocrates et Républicains. Le 22 septembre 1973, la Cour Suprême donne raison à « Jane Roe » : par sept voix contre deux, les juges ont reconnu que le 14ème amendement protégeait les femmes dans leur intimité, faisant ainsi de l’IVG un droit constitutionnel
** Plusieurs éléments de la loi anti-avortement de l’Etat de Pennsylvanie ont été remis en cause lors de ce procès. En 1989, le gouverneur Robert Casey avait promulguée de nouvelles mesures : une femme devait donner son consentement éclairé avant d’avorter, une mineure devait avoir l’autorisation de ses parents, une femme marié devait avoir informé son mari de sa décision et les cliniques devaient donner 24h de réflexion à leurs patientes. Le planning familial de Pennsylvanie a porté plainte et la Cour Suprême a réaffirmé la conclusion essentielle de « Roe vs Wade » en plaçant les décisions personnelles sur l’avortement « dans un domaine de liberté personnelle dans lequel le gouvernement ne peut entrer. »