L’islamologue Tariq Ramadan, accusé du viol de plusieurs femmes, était pour la première fois mercredi 9 septembre dans un tribunal face à l’une des plaignantes. Il est poursuivi pour avoir révélé publiquement l’identité de celle que l’on surnomme Christelle.

« Je me couvre de la tête aux pieds car je suis insultée toute la journée, explique-t-elle à la barre. J’ai pris 40 kilos, je suis sous Xanax. La divulgation de mon nom était la pierre angulaire du harcèlement moral que je subis », raconte Christelle.
Elle reproche à l’islamologue d’avoir révélé à 84 reprises son vrai nom, dans son dernier livre Devoir de vérité (Presses du Châtelet, 2019), ainsi que lors d’une interview sur BFMTV en septembre 2019, alors qu’elle n’a pas délivré d’autorisation écrite pour que son identité soit divulguée, comme le veut la loi.
Tariq Ramadan et son éditeur, Jean-Daniel Belfond, sont jugés pour « publication de l’identité d’une personne victime d’agression sexuelle », une infraction à la loi sur la presse du 29 juillet 1881 passible d’amende.
Avant ce livre, c’était déjà difficile d’avoir une vie normale. Depuis, je ne sors plus, ça fait un an. Je ne vois plus ma famille, plus personne ne vient me voir, mon interphone est cassé, ma boîte aux lettres fracturée, je reçois des insultes et des menaces toute la journée.
raconte-t-elle en retenant des sanglots. « Je cherche un autre logement, je cherche du travail, mais avec toutes les horreurs qui traînent sur internet, c’est impossible ». Elle ajoute recevoir également des messages l’incitant au suicide à longueur de journée : « Pends-toi, suicide-toi ». Sur des sites, des blogs et des réseaux sociaux, elle est taxée de menteuse, de manipulatrice, de complotiste, d’islamophobe et d’antisémite.
Deux autres plaignantes, sur les cinq qui accusent Tariq Ramadan de viols, ont déjà été agressées, explique Christelle, qui dit craindre pour sa vie.
Harcèlement et pensées suicidaires
À cause du harcèlement dont elle est victime, Christelle explique avoir fait de la boulimie, puis de l’anorexie, et avoir tenté de mettre fin à ses jours.
L’une des avocates de Tariq Ramadan, Nabila Asmane, s’en étonne. Elle questionne Christelle sur des photos que la jeune femme a diffusées et qui peuvent porter atteinte à l’anonymat qu’elle revendique. La plaignante répond qu’il s’agit soit de photos pixelisées et retouchées, soit de photos qui concernent son travail.
«Vous reprochez l’écoute d’un disque mais c’est vous qui mettez une pièce dans le juke-box ». renchérit un autre de ses avocats, maître Garbarini.
«Les photos étaient retouchées ou alors tellement anciennes qu’il était impossible de me reconnaître » conteste Christelle.
Elle se défend coûte que coûte malgré les attaques des avocats de Tariq Ramadan. Lorsque maître Garbarini lui rappelle de l’appeler « maître » et non « monsieur », la réponse fuse : « Je n’utilise plus le mot maître, c’est comme ça que M. Ramadan voulait que je l’appelle avant de me tabasser. ».
Affaire Tariq Ramadan
Tariq Ramadan est actuellement visé par diverses plaintes :
- Une plainte pour viol d’Henda Ayari, une ancienne salafiste devenue militante laïque, qui dénonce des faits qui auraient eu lieu au printemps 2012.
- Une seconde plainte de Christelle évoque un viol qui se serait déroulé le 9 octobre 2009, à Lyon.
- Une troisième femme a saisi la justice en mars 2018. Elle avait témoigné sous le prénom d’emprunt de « Marie ». Elle relate des mois d’emprise psychologique qui l’aurait contrainte à entretenir des relations sexuelles violentes avec l’islamologue.
Tariq Ramadan a été mis en examen pour les deux premiers cas, non le troisième. Il conteste fermement ces accusations.
- Une quatrième plainte a été déposée en juillet 2019 par une femme surnommée « Elvira », mais son récit n’est pas corroboré par les vérifications de la brigade criminelle et elle ne s’est pas rendue aux convocations de la justice.
- Enfin, en fevrier 2020, Tariq Ramadan a été mis en examen pour le viol de deux autres femmes. Aux enquêteurs, elles ont raconté comment il les avait entraînées chacune dans une relation « dominant-dominé » virtuelle avant un rendez-vous brutal. « Je lui demandais d’être plus doux, mais il me disait : ‘C’est de ta faute, tu le mérites’ (…) et qu’il fallait obéir« , a rapporté l’une des deux, relatant une relation remontant à 2015. Cette dernière, âgée de 37 ans, a fini par se porter partie civile. L’autre femme n’a pas été contactée par les juges.
Concernant le procès en cours, une amende ferme de 4 000 euros a été requise pour Tariq Ramadan et une autre de 12 000 euros pour son éditeur. La décision sera rendue le 6 novembre.