Face au coronavirus, l’École normale supérieure, comme beaucoup de grandes écoles, a dû adapter ses modalités d’admission. Pas d’oraux pour les candidats cette année. Résultat ? Le taux d’admises a augmenté dans les filières littéraires.

L’école normale supérieure (aussi connue sous le nom de « Normale Sup’ » ou « ENS »), qu’est-ce que c’est ?
Un établissement d’enseignement supérieur public qui assure la formation de futurs chercheurs et enseignants dans les disciplines littéraires, scientifiques et technologiques. Il en existe quatre en France : l’ENS-PSL (Paris Sciences et Lettres), l’ENS Paris-Saclay, l’ENS Lyon, et l’ENS Rennes.
Quelle sélection ?
L’entrée à l’ENS se fait (majoritairement) sur concours destinés aux élèves issus de classes préparatoires aux grandes écoles. Il en existe pour chaque filière, et ils sont différents selon l’ENS et ses spécialités. Ces concours sont réputés pour être parmi les plus difficiles en France, avec des épreuves de six heures et une grande exigence. Une fois admis, les élèves deviennent des fonctionnaires stagiaires, qui sont rémunérés le temps de leur formation. En contrepartie du paiement de leurs études, ils s’engagent à travailler pour la fonction publique pour dix ans minimum.
Nouvelles conditions d’admission suite au Covid-19
En raison de la pandémie, les concours ont été chamboulés. Les écrits ayant été décalés de deux mois, à cause du confinement, les oraux ont ensuite été annulés par manque de temps. Les seules épreuves de sélection ont donc été écrites et anonymes. Suite à ces changements, il a été constaté que plus de femmes ont été recrutées que les années passées, en particulier dans les filières littéraires. Comme l’a rapporté Le Monde, à l’ENS-PSL,
67 % des admis issus de classes préparatoires dans les filières littéraires sont des femmes, contre 54 % en moyenne les cinq années précédentes, pour les deux voies principales (A/L et B/L).
Le journal explique également qu’à l’ENS Lyon, dans la filière « lettres et arts » 71% de femmes ont été admises contre 60% en 2019. Enfin, en « langues vivantes », toujours à Lyon, seulement trois hommes admis sur 34 élèves, ce qui est très peu comparé à 2018 où les hommes représentaient le tiers de la promotion.
Ces constats ont suscités de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux et dans le milieu académique. En réponse à ce débat, l’ENS-PSL a publié un communiqué expliquant que les résultats inhabituels seraient aussi dûs à d’autres facteurs. En effet, les élèves ont dû cette année réviser et suivre les cours confinés depuis chez eux. Cet exercice inédit aurait, selon le directeur de l’école, Marc Mezard, participé grandement à cette sélection singulière.

Les oraux pénalisent-ils les femmes ?
De nombreuses études sociologique ont montré que l’éducation genrée que nous avons toutes et tous reçu depuis notre plus jeune âge influe sur nos goûts et nos comportements. C’est dans cette logique que 60 à 70% des candidatures en Lettres à l’ENS-PSL sont féminines contre seulement 30% en sciences. Les femmes sont moins attirées et se sentent moins légitimes à exercer des disciplines scientifiques que littéraires.
De la même manière, on apprend volontiers aux jeunes garçons à être à l’aise à l’oral, à avoir confiance en eux et à se sentir légitimes en toutes circonstances, plutôt qu’aux jeunes filles. C’est là que peut se manifester le syndrome de l’imposteur, qui paralyse certaines d’entre elles et les empêche d’avoir confiance en elles de la même façon qu’un homme qui aurait les mêmes compétences et le même dossier scolaire.
Les filles apprennent aussi à « être plus scolaires », à suivre les règles, à être soignées, à mieux écrire, etc. Les seules épreuves écrites et anonymes sont alors peut-être un avantage pour elles.
Enfin, les écoles étant dans un soucis de parité, les jurys sélectionnent alors inconsciemment (ou non) en avantageant le genre minoritaire, comme le montre cette étude de 2016. Dans les filières littéraires, le nombre de candidatures féminines étant supérieur à celui de candidatures masculines, les jurys avantagent alors certainement les hommes qui leur font face.
Dans son communiqué publié le 26 août dernier, l’ENS-PSL déclare : « Comme chaque année, l’ENS conduira une étude approfondie de l’ensemble des résultats de ses concours d’entrée (voie CPGE et normalien étudiant). Ces données seront disponibles dans le courant du mois de septembre et rendues publiques dans la foulée. Elles compileront une série de variables, notamment de genre, d’origine géographique et d’origine sociale, auxquelles l’École est particulièrement attentive. ». Espérons que cette enquête nous aidera à mieux comprendre cette sélection exceptionnelle dans les filières littéraires des ENS cette année. De manière plus générale, il est également possible que l’absence d’oraux ait permis une plus forte réussite pour les personnes issues de classes moyennes et de milieux populaires, par exemple. Les candidates et candidats ont, pour une fois, eu l’opportunité de n’être jugés que sur leurs compétences, et non sur leur apparence et leur comportement.