Tour de France : Les hôtesses seules sur le podium, c’est terminé !

Ça y’est, après deux mois d’attente, le 107ème Tour de France s’est élancé ce samedi 28 août de Nice. En plus du contexte sanitaire très particulier de cette édition, un autre élément tout à fait inédit s’est glissé au sein de la caravane.

Tour de France, podium
Photo : AFP

Le directeur de la course Christian Prudhomme a annoncé jeudi 20 août la fin des hôtesses seules sur le podium protocolaire : “Vous aviez l’habitude de voir le champion entouré de deux hôtesses, avec cinq élus d’un côté et cinq représentants des partenaires de l’autre. Là, ce sera différent avec un seul élu et un seul représentant du partenaire du maillot jaune, ainsi qu’une hôtesse et un hôte pour la première fois,” a déclaré l’ancien journaliste sportif.

Newsletters et associations féministes se sont réjouies de cette annonce qui marque un progrès majeur dans la lutte contre l’objectification des femmes sur les podiums. La newsletter “Les Glorieuses” a salué sur son compte TwitterUn petit pas dans la lutte contre l’hypersexualisation des corps féminins.”

Le collectif “Les Effrontées” a souligné quant à lui que cette décision verra naître “un protocole moins sexiste et quelque chose de beaucoup plus anodin, donc c’est une première victoire à ce niveau-là.”

Une tradition sexiste tenace dans un sport encore gangréné par le virilisme

Plutôt que de rester dans un débat stérile où l’on oppose systématiquement hôtesses et féministes, concentrons-nous sur le caractère sexiste de la fonction d’hôtesse de podium (et non celle de la caravane publicitaire). Ces dernières, recrutées le plus souvent par les agences sous-traitantes des sponsors des différents maillots distinctifs (jaune, vert, à pois…), correspondent à des critères de beauté bien définis et stéréotypés : jeune, mince, 1m70, etc.

Ce critère discriminatoire de recrutement était reconnu et défendu encore récemment par certains attachés de presse des sponsors. Celui de Cochonou déclarait à propos des hôtesses sur la caravane publicitaire :

C’est forcément des filles parce qu’elles distribuent et c’est toujours plus sympathique d’être servies par elles sur le bord de la route.

La présence des seules femmes sur un podium reproduit l’image ultra-classique de ”femmes-plantes”, posées là uniquement en raison de leur physique. Par là même, on voit se reproduire le modèle archaïque de femmes réduites à l’état de récompense pour des hommes. 

Tout cela renforce in fine la masculinisation du sport : les jeunes femmes ne sont pas encouragées à enfourcher elles-mêmes leur vélo pour tenter d’égaler les hommes sur la route ou tout autre terrain de jeu.

Dans le cyclisme, si de plus en plus de stars foulent les pelotons féminins au fur et à mesure que les courses se développent, l’image ultra-virile du sport est encore loin d’avoir disparue : la femme est encore sous-considérée dans sa capacité à réaliser de grandes performances athlétiques.

La jeune amatrice Julie Dremière en avait fait l’expérience il y a un mois : lors d’une sortie VTT, elle avait rattrapé puis dépassé un coureur masculin. Celui-ci avait alors tout fait pour la re-dépasser… jusqu’à s’épuiser complètement. Après coup, il avouera tout bonnement à Julie Dremière : « se faire dépasser par une femme, pour moi c’est un peu la honte… » 

Un combat de longue haleine face aux institutions sportives

Déjà en 2019, une pétition lancée par Fatima Behomar, membre du collectif « Nous toutes » réclamait la fin de cette pratique. Celui-ci rappelait à juste titre que bien d’autres compétitions avaient mis fin à cette pratique notamment sur le Tour d’Espagne cycliste, détenu à 49%… par Amaury Sports Organisation (ASO), propriétaire du Tour de France. Outre le cyclisme, les “grid girls” ne sont plus présentes sur les podiums de la Formule 1 depuis le 31 janvier 2018.

“Un vrai métier que l’on ne veut pas supprimer, mais dépoticher”                    

L’impact de la présence d’hôtesses de podiums dans certains sports pouvait être un élément de dissuasion pour la femme à pratiquer le sport à haut niveau. C’est ce qu’affirme un rapport de l’INSEE paru en 2017 : “Les stéréotypes de genre contribuent à maintenir des différences dans le choix des disciplines.”

Un autre collectif, les Effrontées (qui milite pour de meilleures conditions de travail dans le métier d’hôtesse, sur les podiums comme dans les salons) s’est réjouie de cette décision, sans pour autant vouloir stigmatiser les hôtesses, comme l’a affirmé leur secrétaire générale Claire Charlès : 

Il n’y a pas de critères physiques pour être hôte ou hôtesse puisque je rappelle que c’est un vrai métier qui requiert de vraies compétences d’accueil, d’orientation du public. C’est un vrai métier qu’on ne veut pas supprimer mais que l’on veut dépoticher.

Des cas d’agressions sur la Grande Boucle

Ainsi, il ne s’agit en aucun cas de fustiger les femmes effectuant ce métier. Ces dernières défendent leur profession comme une source de financement pour leurs études ou leurs projets. Depuis quelques jours, les réactions fusent chez nombre d’entre elles (mais moins que chez des athlètes hommes) pour dénoncer la décision d’ASO.

Mais en quoi mettre un homme sur le podium aux côtés d’une femme détruit l’emploi de ces dernières ? Au contraire cela renforce l’idée que les fonctions d’hôtesses ou de miss n’ont été créées que pour représenter un certain idéal de beauté féminine et défendre un modèle où la femme est bien mieux sur un podium que sur un vélo (ou au volant d’une F1).

Comme tous les événements sportifs estivaux, le Tour est présenté par les médias diffuseurs comme une fête où tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’est oublier le revers de la médaille (pour reprendre l’expression de l’enquête de Disclose sur la pédophilie dans le sport) vécue par les hôtesses. 

Car derrière ce contrat “alléchant” de trois semaines où l’on est nourrie, logée et où l’on côtoie le gratin du cyclisme mondial, se cache un quotidien éprouvant pour les nerfs :  “Lors de la caravane du Tour, elles sont insultées, reçoivent des jets de bière voire d’urine, reçoivent des remarquent graveleuses, des mains aux fesses qui est une agression sexuelle. Et cette problématique n’est pas liée qu’au Tour de France« , signale Claire Charlès.

“Mais pourquoi ne portent-elles pas plainte ?”, diront les graveleux réactionnaires. Difficile en effet de sortir de ce carcan lorsqu’on est en contrat précaire, recrutée quasi-systématiquement par des agences (sous-traitant des sponsors), qui effacent le numéro d’une hôtesse dès lors qu’ils détectent une quelconque résistance chez elle.

Et pourtant au milieu des attouchements d’individus sur le bord des routes, certaines hôtesses ont littéralement vécu des attouchements par les cyclistes eux-mêmes : en 2013, la “rock-star” du cyclisme Peter Sagan s’était permis de pincer les fesses d’une des hôtesses sur le podium du Tour des Flandres, alors que celle-ci faisait la bise au vainqueur Fabian Cancellara.

Peter Sagan agressant sexuellement une hôtesse sur le podium
Photo : Reuters

Autre cas en 2018, sur la course Colombia Oro y Paz, le vainqueur d’une étape, Rigoberto Uran avait exhorté l’une des hôtesses à lui refaire la bise, après que celle-ci lui a tourné les talons en ayant “oublié” le fameux baiser du vainqueur.

Mais finalement, quand on est fan de vélo, on ne touche pas à ses stars, on réduit ces gestes à de simples boutades, qui ne nécessitent pas de mettre fin à une tradition bien plus vieille que l’âge limite pour candidater à Miss France…Et pourtant, nombre d’hôtesses ont vu avec cette décision d’ASO que leur combat n’était pas vain. Une ex-hôtesse a même lancé l’an dernier le hashtag #Pastapotiche, pour permettre à chacune d’entre elles de témoigner des agressions et harcèlements vécus dans un quotidien trop souvent occulté par les performances sportives des messieurs…

Jean L.
Jean L.

Etudiant en Master Histoire à Bordeaux, je bifurque actuellement vers le journalisme. Si je fus quelque peu macho à une époque, j’essaie de me déconstruire au quotidien, d’où mon enthousiasme de participer à l’aventure de Potiches.

Parallèlement à tout ça, je pratique le vélo comme une seconde peau (mais mal bronzée). J’aime refaire le monde avec mes amis autour d’une bonne bière (belge bien sûr), je dis pain au chocolat et je place une réplique d’OSS 117 toutes les deux phrases.
Ah et aussi je ne peux pas supporter le Chou blanc, donc ! Auf wiedersehen à tou.tes ! :)

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