Depuis ce lundi 1er février, le projet de loi “confortant le respect des principes de la République”, plus connu comme le projet de loi “contre le séparatisme”, est en discussion à l’Assemblée Nationale. Lutte efficace contre le terrorisme ou virage assumé à droite ? Retour sur une loi polémique.
Présenté pour la première fois au conseil des ministres le 9 décembre 2020, la première volonté du projet de loi est, d’après les mots du gouverment, d’apporter “des réponses au repli identitaire et au développement de l’islam radical, idéologie hostile aux principes et valeurs qui fondent la République.”
Le ton est donné. Aujourd’hui, la loi anti-séparatisme compte 51 articles et pas loin de 2 650 amendements, majoritairement proposés par Les Républicains, LREM et le RN. Si le projet de loi n’en est qu’au début de son parcours, son adoption pourrait bien finir de marginaliser la population musulmane en France.

La culture musulmane dans le viseur
Pour lutter contre le terrorisme, le gouvernement place une notion au cœur de son projet de loi : la neutralité religieuse. A l’instar de la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles dans les écoles et lycées, des dizaines d’amendements concernent les mêmes signes dans l’espace public. Mais parle-t-on de tous les symboles religieux ? Pas vraiment.
Emmanuelle Ménard, députée de l’Hérault, ne passe pas par quatre chemins. Elle présente par exemple un amendement qui “vise à interdire le voile islamique dans l’espace public” et s’interroge dans un autre : “Il est en effet difficilement compréhensible que les mères accompagnatrices de sorties scolaires puissent le faire voilées”.
Pour faire simple, si la loi est adoptée dans son entièreté, les personnes voilées en France ne pourront plus, par exemple :
- Faire une visite parents / prof à l’école de leurs enfants ou les accompagner pendant une sortie scolaire
- Aller à la mairie, à la CPAM, dans des espaces sportifs publics, à la piscine… ou dans tout autre espace public
- Être agente de la fonction publique ou travailler dans une entreprise privée exécutant une mission de service public (comme les structures médicales privées, les missions locales, les bailleurs sociaux, les sociétés de transports…)
- Être bénévole dans une association exécutant une mission de service public
- Enseigner ou étudier à l’Université
Certains amendements vont encore plus loin. Par exemple, concernant le port du voile dans une école, un parent venant chercher son enfant pourra être puni d’une “amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe”, soit 1 500 € d’amende.
Outre le port du voile, la loi contre le séparatisme pourrait interdire les “repas confessionnels” dans les établissements scolaires mais aussi d’interdire l’utilisation de “produits issus de l’abattage rituel” dans les établissements universitaires, les hôpitaux, les établissements sociaux et médico-sociaux et les prisons. En d’autres termes, ces établissements ne pourront plus proposer de repas halal ou casher.
Au-delà de ça, la loi prévoit également de faciliter la fermeture des lieux de confessions soupçonnés de radicalisation et de séparatisme, souvent à tort comme le révèle Mediapart.
Rédigée dans l’émotion de l’assassinat de Samuel Paty, la loi contre le séparatisme semble, plus que la lutte contre le terrorisme, avoir l’Islam dans le viseur. Car fermer arbitrairement des lieux de culte et interdire de porter le voile est une vision bien particulière de la « neutralité religieuse ». Si le texte anti-séparatisme est adopté tel quel, il inscrirait dans la loi un raccourci dangereux entre terrorisme et Islam. Un parallèle inquiétant pour les quelque six millions de personnes musulmanes en France.
Mais la lutte contre le séparatisme tout en renforçant les principes républicains ne s’arrête pas là. Les associations et l’Instruction en famille sont aussi dans le viseur de la droite.
Main-mise sur le monde associatif et l’école à la maison
Largement débattu, l’article 6 du projet de loi prévoit d’instaurer un “contrat d’engagement républicain” entre l’Etat et les associations recevant des subventions. Par ce contrat, les associations s’engageraient à ne pas porter atteinte aux valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité, laïcité, neutralité) et à agir pour la sauvegarde de l’ordre public. Autant dire que les termes restent très flous et donc libres d’interprétation.
Une association qui ne respecte pas la parité femmes – hommes dans son conseil d’administration peut être jugée séparatiste et donc, au mieux, se voir retirer ses subventions, au pire, être dissoute.
Dans la même veine de préservation des valeurs républicaines, un amendement prévoit d’interdire l’utilisation de l’écriture inclusive dans toute communication officielle pour les associations faisant l’objet d’une subvention de l’Etat.
En outre, la loi prévoit un changement pour les associations cultuelles qui dépendront alors de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 et non plus la loi de 1901 relative au contrat d’association. Qu’est-ce que cela signifie ? Les écoles privées confessionnelles pourront faire don de leur patrimoine immobilier aux associations cultuelles et inversement. Une nouvelle disposition qui va largement avantager l’Eglise Catholique, qui possède 90% des édifices religieux. L’Église Catholique pourra aussi recevoir des dons d’écoles privées qui sont, elles, financées en majorité par l’argent public depuis la loi Debré de 1959.
Outre les écoles privées, l’Instruction en famille (ou école à la maison) est aussi entièrement repensée en passant d’un régime de droit à un régime d’autorisation. Chaque année, les personnes en charge de l’éducation de l’enfant devront demander une autorisation à l’Etat et prouver leur capacité à “fournir un enseignement respectant les valeurs de la République”. Une fois de plus des termes flous, très largement libres d’interprétation.
C’est bien là tout le problème. En basant son texte sur des termes qui relèvent plus de la philosophie que sur des dispositions concrètes, la loi contre le séparatisme, si elle est adoptée en l’état, ouvre la porte à des interprétations discriminantes. Un positionnement qui interroge : lutter contre le séparatisme en France, ce ne serait pas plutôt réduire les écarts entre la population ? Avec un projet de loi absent de toute mesure de lutte contre les discriminations, il semblerait que le gouvernement ait fait son choix.