Le 24 janvier 2023, la cour d’appel de Paris a confirmé le non-lieu rendu dans l’affaire de viol présumé de Sophie Patterson-Spatz par Gérald Darmanin. Pourtant, le ministère public a écarté l’hypothèse d’accusations mensongères de la part de la plaignante et confirme ainsi sa bonne foi. Explications.
La juge d’instruction chargée de l’affaire dans ses conclusions affirme que la plaignante avait « délibérément choisi d’avoir une relation sexuelle avec lui dans le but de voir son affaire pénale rejugée » et que Gérald Darmanin a « pu légitimement se méprendre sur les intentions » de la plaignante, même si dans le SMS « il admet implicitement qu’il a pu profiter de la situation ». En effet, un échange accablant entre la plaignante et Darmanin admet qu’il a profité de la situation : « Abuser de sa position. Pour ma part, c’est être un sale con. (…) Quand on sait l’effort qu’il m’a fallu pour baiser avec toi. Pour t’occuper de mon dossier. » écrit Sophie Patterson-Spatz. Darmanin répond : « Tu as raison, je suis sans doute un sale con. Comment me faire pardonner ».
Rappel des faits
- 2009 : Gérald Darmanin aurait fait miroiter à Sophie Patterson-Spatz le soutien son dossier de révision de condamnation en échange d’une relation sexuelle. Si les deux reconnaissent le rapport, elle estime y avoir été contrainte.
- Juin 2017 : suite à la nomination de Darmanin comme ministre de l’Action et des comptes publics, Sophie Patterson-Spatz porte plainte pour viol. Classée sans suite.
- Janvier 2018 : suite à une seconde plainte déposée par la plaignante, une nouvelle enquête est ouverte.
- Février 2018 : une habitante de Tourcoing dépose plainte contre le ministre pour abus de faiblesse. Une plainte classée sans suite.
- 2020 : la Cour d’appel de Paris relance l’affaire Patterson-Spatz et Darmanin est placé sous le statut de témoin assisté.
- 2021 : Gérald Darmanin est confronté à Sophie Patterson-Spatz pour la première fois
- Juillet 2022 : un non-lieu est prononcé. La plaignante fait appel.
- Décembre 2022 : suite à une audience à huis clos, le parquet reconnaît que les accusations de Sophie Patterson-Spatz ne sont ni mensongères ni malveillantes, mais requiert à nouveau un non-lieu.
- 24 janvier 2023 : la cour d’appel de Paris confirme le non-lieu. Sophie Patterson-Spatz annonce se pourvoir en cassation.
Pourtant la juge d’instruction, pour confirmer le non-lieu, avance que « Le droit ne se confond pas avec la morale » et « consentante au regard de la loi ».
« Le droit ne se confond pas avec la morale » : mais que dit la loi ?
En réalité, la loi en soi, elle ne dit pas grand chose. L’article Article 222-23 du code pénal dispose que : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».
La contrainte, la menace ou la violence, on sait à peu près tous·tes ce que ça signifie. En revanche, pour la surprise, c’est un poil plus compliqué. Pour bien comprendre de quoi il s’agit, on est obligé de se plonger dans la jurisprudence, les décisions rendues par le passé. En gros, on doit faire confiance à l’interprétation des juges. Et qu’on le veuille ou non, les juges sont des êtres humains, en proie à des biais et des humeurs qui influencent leur interprétation. Montesquieu déjà, dans l’Esprit des lois, se méfiait de ces interprétations : « Les juges ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui ne peuvent en modérer ni la force ni la vigueur ». Mais comme Tocqueville le disait, sans doute moins utopiste, le juge doit se prononcer sur des cas particuliers et non des principes généraux, ainsi il est obligé d’interpréter. Pas de panique toutefois, la jurisprudence n’a pas de valeur normative, elle ne fait pas loi. Et si le législateur désapprouve une décision, il ne tient qu’à lui de légiférer. Mais assez avec la théorie. Revenons à nos moutons du ministre de l’intérieur.
La surprise c’est quoi ? D’abord, c’est le consentement qui est surpris et pas le viol. Le consentement surpris c’est quand on n’est pas en position de dire non. Par exemple, une grande différence d’âge entre un·e mineur·e et un·e majeur·e était considéré comme un viol par surprise avant la loi de 2021. Avoir des rapports sexuels avec une personne sous l’emprise de substances altérant le discernement (le pouvoir de comprendre les conséquences de nos actes) est un viol par surprise.
Un ORL qui pénètre sa patiente lors d’un rendez-vous médical, alors que ce n’était pas nécessaire et justifiable pour la santé de la patiente est un viol par surprise.
Plus récemment, une décision a fait couler beaucoup d’encre– les juristes adorent écrire en long en large et en travers sur les mauvaises décisions des juges -, un homme a obtenu un rapport sexuel avec plusieurs femmes en se faisant passer pour un autre homme riche, jeune et beau alors qu’il n’était rien de tout ça. Pour se faire, il demandait à ses victimes de l’attendre dans une chambre d’hôtel, yeux bandés, puis révélait la supercherie, une fois la bagatelle accomplie. Les juges ont confirmé qu’un tel stratagème constituait un viol par surprise et c’est un peu discutable… Il semblerait que le droit se soit confondu avec la morale. Mais bon, le violeur n’était pas ministre de l’intérieur. Ça change peut-être les règles du jeu ? Qui sait ?
Non-lieu pour le viol par surprise : que retenir de cette décision ?
La juge d’instruction défend que Darmanin pouvait se méprendre sur les intentions de Sophie Patterson-Spatz. Ainsi il aurait pu de bonne foi croire que cette dernière voulait des relations sexuelles avec lui, indépendamment de sa position et de la faveur qu’il a promis qu’il lui rendrait.
Les juges sont pourtant d’habitude assez réticent·es à retenir la bonne foi de l’accusé·e, mais pourquoi pas. Ce qui est troublant c’est que cette bonne foi ait été retenue malgré les SMS de Darmanin dans lesquels il admet avoir abusé de sa fonction pour obtenir du sexe.
Le fait est que Sophie Patterson-Spatz avait besoin d’une faveur et que Gérald Darmanin lui a promis cette faveur, si elle « aidait » ce dernier.
Obtenir un rapport sexuel en échange d’une faveur, moi je n’appelle pas cela consentir pleinement et librement. Est-ce que pour autant il y a eu un viol par surprise ? La Cour de cassation, saisie par la plaignante, décidera. Il me semble impossible de prévoir la décision de cette dernière. La Cour de cassation juge en droit et non en faits. Ce qui signifie qu’elle va retenir une interprétation stricte de la surprise. Si l’on peut toutefois admettre qu’une interprétation stricte de la surprise est possible.
Ce qui est troublant en réalité, c’est que cette affaire ne passe donc pas l’instruction, malgré cet échange de messages. Cette affaire, tant par son aspect public que par son importance quant à la définition du viol mérite un procès, des assises et son jury populaire. Ici, le non-lieu décidé en huis clos empêche pour le moment l’affaire d’aller jusqu’au procès.
Ce qui est certain, c’est que la route est encore longue avant de reconnaître juridiquement le viol dans toute sa complexité. Côté morale, on pourrait penser qu’abuser de sa position pour obtenir des faveurs sexuelles est une raison suffisante pour être écarté des hautes fonctions de l’Etat. C’était sans compter sur les décisions prises « d’homme à homme ». Vive la France.
Lire aussi : Homophobie, accusation de viol, sexisme, racisme… Le remaniement 2020 fait réagir.