Le procès en appel de Georges Tron a débuté fin janvier 2021. Avec Brigitte Gruel, son ex-adjointe à la culture,il encourt 20 ans de réclusion criminelle pour viols et agressions sexuelles en réunion.
C’est une affaire qui, sans être passée inaperçue, avait éclaté dans l’ombre de l’affaire DSK. En mai 2011, Georges Tron, maire de Draveil (Essonne) et Secrétaire d’Etat chargé de la fonction publique est visé par une plainte de deux de ses employées pour viol et agressions sexuelles. Après un premier acquittement en 2018 par la cour d’assises, le procès en appel initié par le parquet a commencé à la fin du mois, pour quatre semaines d’audience. Dans l’histoire de la Vème République, Georges Tron est le second membre d’un gouvernement à comparaître devant la cour d’assises, après… Maurice Papon.

Depuis 10 ans et leur dépôt de plainte, Virginie Ettel et Eva Loubrieu ont subi une longue traversée du désert juridique. Intimidées et même menacées, elles doivent une fois de plus faire face à leurs deux agresseurs présumés. Présumés innocents, les deux accusés nient toujours aussi farouchement les accusations. Reste que plusieurs éléments choquants notés par l’enquête et les témoignages posent de sérieuses questions sur les abus de pouvoir dont Georges Tron aurait usé pour exploiter sexuellement ses employées, notamment sa passion pour la réflexologie plantaire.
“Très rapidement, ce n’était plus des massages des pieds”
Les pieds : c’est de là que toute cette affaire a commencé. Georges Tron est connu au sein de sa famille politique pour être un adepte de la réflexologie plantaire. Il était même surnommé au RPR (maintenant LR) “le masseur chinois”. Mais dans les accusations portées par ses deux ex-employées, le maire de Draveil ne s’arrêtait pas à la thérapie. Au contraire, les pieds sont, dans chaque cas, le début de l’emprise de l’édile sur ses victimes.
Eva Loubrieu raconte que cela a commencé dès son arrivée à la mairie. Georges Tron se montre plus que cordial avec elle, l’invitant à plusieurs salons et autres lieux mondains. Il se montre de plus en plus proche et tactile avec la jeune femme jusqu’à un déjeuner avec d’autres convives dans un restaurant japonais : Assis en face d’elle, “il attrape mon pied, défait ma chaussure, le met sur sa cuisse et me masse le pied pendant le repas”, raconte Eva Loubrieu. ”Je suis dans l’incapacité de bouger. Ça me semble impossible de dire quoi que ce soit.” La double figure d’autorité du député-maire paralyse Eva. Il la convoque peu de temps après dans son bureau où, pièce fermée à clé, il lui prodigue sans son consentement un massage du pied tout en lui parlant de réflexologie plantaire :”Il s’installe un début de relation affective. Nous nous embrassons, mais je dois rester dans une forme de retrait, ne pas le toucher, ne pas bouger”, affirme-t-elle. Devant les juges, elle dit avoir subi une pénétration digitale dès décembre 2006.
Dans le cadre de l’enquête, un psychologue avait examiné Georges Tron et cette fameuse passion. Initié par un professeur d’arts martiaux à cette pratique, le député en parle “comme un professionnel” selon le psychologue, ajoutant également “qu’il est sourd à l’ambiguïté pouvant émaner de sa manipulation de pieds à tout-va et sa possible connotation sexuelle”.
Le plus effrayant est que ce schéma se répète de la même façon, d’après le témoignage de Virginie Ettel. Elle rencontre Georges Tron fin 2008 dans l’espoir d’être engagée. L’édile lui expose déjà sa passion et lui propose un dîner. Durant celui-ci, il lui fait enfiler un mi-bas et la masse, le tout en lui promettant un poste : “Pour moi, c’étaient des caresses, pas des points de pression. J’étais assez mal à l’aise”. Elle est finalement recrutée en CDD.
Du côté de Georges Tron, sa défense sur ce point n’a pas changé : il considère que la réflexologie dont il est si friand, “est devenu un outil pour me nuire”.
Brigitte Gruel, la pièce “maîtresse” de l’affaire
Son nom revient sans cesse dans les dossiers des juges : Brigitte Gruel, ex-adjointe à la Culture de Georges Tron. Aujourd’hui âgée de 63 ans, elle jouissait à l’époque d’une réputation particulière au sein de la mairie de Draveil. Affublée de plusieurs surnoms de couloir comme “Gruella” ou “la Pompadour” pour son influence dans la mairie, c’est avec elle que les dérives sexuelles subies par les plaignantes s’aggravent. Sylvie Doncarli, ex-adjointe au maire, mais aussi ex-amante de Georges Tron (la seule relation extra-conjugale qu’il reconnaît aujourd’hui) avait été placée sur écoute pendant l’enquête. Elle y déclarait : “Il m’a encore proposé des trucs, des plans à trois. Il n’est pas guéri. Si l’affaire est classée, il recommencera puissance 10.” Elle y qualifiait aussi Brigitte Gruel de “ méga rabatteuse”.
Eva Loubrieu décrit sa descente aux enfers à chaque invitation, dans n’importe quel lieu où se trouvaient Georges Tron et Brigitte Gruel (mairie, domicile de Brigitte Gruel, au château de Villiers…) : cette dernière la caresse, elle doit fermer les yeux et rester passive à tout ce que lui font subir les deux prévenus. Un rituel s’installe : “À chaque fois, je suis convoquée pour des raisons professionnelles. Je ne réagis pas, il est trop tard. Mon être se délite, je ne sais plus comment réagir. J’ai cette sensation d’être un objet sexuel. Je suis inerte. Je suis l’objet dont ils se servent pour leur plaisir.”
Virginie raconte, elle, un épisode marquant, survenu en novembre 2009. Après un repas avec d’autres invités dans la salle de réception de la mairie, “Georges Tron me dit de rester pendant que Brigitte raccompagne les invités”, indique Virginie. “Il me prend le pied. J’espère que Brigitte va revenir vite pour que ça s’arrête, mais quand elle revient, elle ferme le verrou derrière elle. Voyant que je suis molle, que je ne participe pas, ça s’arrête. Il me caresse les cuisses, et le sexe par-dessus ma culotte, puis il l’écarte et m’introduit un doigt. J’ai toujours les yeux fermés. Je veux que ça se termine. Je garde les yeux fermés. Ils se rhabillent, je réajuste mes vêtements et on sort. Brigitte me demande si tout va bien. Je dis oui. Je suis là, mais je suis partie. Je suis absente, toute molle. Une poupée de chiffon, un corps inerte. Il faut être stupide pour ne pas comprendre qu’il n’y a pas de consentement”, témoignait-elle lors du procès de 2018. Cette emprise continue du maire l’emmènera à deux tentatives de suicide.
“Pourquoi vous-êtes vous laissée faire ?” : Les questions odieuses des juges aux plaignantes
Quelle que soit la vérité des faits, Virginie Ettel et Eva Loubrieu ont eu le mérite de tenir face aux menaces, aux intimidations et aux accusations de manipulation. Outre les menaces anonymes auxquelles elles ont été confrontées, la cour d’assises elle-même avait pointé du doigt les deux plaignantes lors de l’acquittement de Georges Tron décidé fin 2018 : Si elle reconnaissait “un climat général hyper sexualisé entre Georges Tron et plusieurs de ses collaboratrices”, elle n’avait pas considéré la preuve d’une “situation de contrainte”.
Soit, mais cette même cour n’a pas hésité à considérer que les deux plaignantes s’inscrivaient dans une “logique de vengeance”, sous le prétexte qu’Eva avait été licenciée de la mairie (après avoir été accusée de détourner l’argent de la régie qu’elle gérait), tandis que Virginie, elle, avait subi un changement de poste (après avoir elle-même demandé plusieurs fois sa démission).
Cette logique de vengeance, pierre angulaire de la théorie du complot dressée par la défense de Georges Tron, ne tient pas la route. Cinq ans avant ce premier procès, la chambre d’instruction de la cour d’appel avait considéré que les plaignantes ne pouvaient être soupçonnées “de calculs politiques”, et que leurs “mœurs libres” n’excluaient pas “des abus sexuels.”
Cela envoie paître les accusations émanant de la défense depuis 2011, selon lesquelles l’affaire serait le fruit d’un complot ourdi par la branche locale du Front National pour faire tomber Georges Tron.
Les conclusions humiliantes de la cour d’assises ne sont pas les pires dans ce procès. Fin 2017 (en pleine explosion #Metoo), lors de la première audience, (suspendue au bout de quatre jours), le président du tribunal lui-même a choqué par ses questions plus qu’intrusives posées à Virginie Ettel :
“Il n’y a jamais eu de contrainte physique, hein ? On ne vous a pas menacé avec un couteau ? On est bien d’accord ? », lui demandait-t-il. « On ne se retrouve pas nue ou entièrement nue sans qu’il ne se soit rien passé quand même. Pourquoi vous êtes-vous laissée faire ? Vous vous sentiez honteuse ? » La plaignante acquiesce, et le juge continue:
– “De quoi, de vous être laissée faire?”
– “Je ne me suis pas laissée faire. C’est mon corps qui n’était pas en mesure de réagir.”
“C’est consternant qu’un magistrat utilise ce ton pour une femme qui se plaint de viol”, avait réagi sous anonymat un magistrat contacté par Franceinfo. “Il y a un minimum de connaissances à avoir, surtout pour un président de cours d’assises, de ce qu’est le traumatisme de viol, de ses conséquences sur la mémoire et la restitution des faits. Elle ne va pas pouvoir raconter les faits comme on raconte un match de football. » Le procès sera finalement suspendu et renvoyé à 2018 après que le président a confié se trouver “en difficulté” et préférant “qu’une femme préside les débats.” C’est finalement ce qui est arrivé puisque l’audience actuelle ouverte fin janvier est présidée par une juge avec deux assesseures.
Virginie Ettel et Eva Loubrieu sont encore aujourd’hui enclines à des troubles psychiatriques. Elles ont chacune tenté de mettre fin à leurs jours à plusieurs reprises. Ce n’est qu’en se rencontrant en 2011 qu’elles se confient l’une à l’autre et choisissent de saisir la justice ensemble contre Georges Tron. A l’époque député-maire et Secrétaire d’Etat chargé de la Fonction publique, il avait démissionné de ce dernier poste cinq jours après le déclenchement de l’affaire. Mais aujourd’hui il est toujours maire de Draveil et reste l’une des figures politiques les plus influentes de l’Essonne.
Si aucun incident ne vient perturber l’audience, le procès devrait se terminer le 12 février. L’enjeu juridique de ce procès est d’établir si oui ou non, il y a bien eu des relations sexuelles non consenties de Georges Tron et Brigitte Gruel sur Eva Loubrieu et Virginie Ettel. Les accusées, en plus de nier toute agression sexuelle ou viol, nient aussi avoir eu une quelconque relation sexuelle avec les plaignantes. Avec ce dossier judiciaire plus que chaotique se pose aussi la question de savoir jusqu’où un homme politique peut abuser de son pouvoir. Les pratiques fétichistes de Georges Tron sur les femmes ne datent pas d’hier : Selon le dossier judiciaire, “le maire attrapait les pieds des femmes en toute circonstance”. Mediapart évoquait notamment un épisode où une journaliste de Paris Match, victime de ce traitement, “était sortie de la voiture de Georges Tron avec son escarpin à la main, scandalisée.”
Enfin, cette affaire est symbolique de par sa chronologie. Elle a germé avant la vague #MeToo, à une époque où les médias comme le parquet s’interrogaient davantage sur de possibles mensonges des plaignantes et sur une possible manipulation politique, plutôt que sur le traumatisme vécu par la victime.
Puis, après 2017, la façon d’aborder l’affaire a complètement changé. Même si des progrès sont encore à faire, les acteurs de la justice s’interrogent désormais sur la notion de consentement ou non des victimes présumées. Dans l’affaire Georges Tron, cela leur a permis ainsi de concevoir et enquêter sur ce fameux “climat hyper sexualisé”, dans lequel les plaignantes ont été happées.