Difficulté d’accès à la PMA, instrumentalisation des mères, entrave à l’IVG… Entre menace sur les droits des femmes et politique nataliste, ce 4 juin 2023, la fête des mères a un goût amer.
« La famille est la cellule essentielle, elle est l’assise même de l’édifice social ; c’est sur elle qu’il faut bâtir ; si elle fléchit, tout est perdu; tant qu’elle tient, tout peut être sauvé » 80 ans après ce discours du Maréchal Pétain, Marine Le Pen défend les mêmes valeurs : « La famille est le cœur même de la vie des Français. […] Étant au cœur de la vie en société, la famille se doit donc d’être au cœur des préoccupations des dirigeants politiques réellement soucieux de l’intérêt national. », pouvait-on lire dans son programme présidentiel de 2022.

Entre propositions conservatrices et instrumentalisation des mères, la politique du Rassemblement National (RN) rappelle à son héritage pétainiste. Un héritage qui gagne du terrain dans un contexte politique de plus en plus à droite et qui, sous couvert de défendre les mères, est dangereux pour toutes les femmes.
En France, c’est après la première guerre mondiale que les pouvoirs publics remercient et célèbrent les mères de famille nombreuses, dans un effort nataliste pour repeupler le pays. En 1926, sous le gouvernement d’Aristide Briand, un décret fixe la fête des mères au quatrième dimanche de mai. Pendant le régime de Vichy, Pétain s’empare de la journée en y impliquant les enfants : on demande alors aux élèves de préparer des affiches et discours pour la fameuse journée des mères, toujours dans un objectif nataliste. Ces dernières années, l’instrumentalisation de la figure de la mère bat son plein, s’inscrivant dans une politique de plus en plus conservatrice.
Vers un retour des politiques natalistes ?
Lors de la présidentielle de 2022, la candidate du RN défendait un programme nataliste pour la famille largement inspiré du gouvernement d’extrême droite hongrois. En septembre 2022, le groupe RN dépose à l’assemblée nationale une proposition de résolution « visant à faire de l’année 2024 une année dédiée à la relance de la natalité française ».
A l’occasion de la réforme des retraites, le Rassemblement National revient à la charge présentant l’augmentation de la natalité comme la solution pour sauver le système des retraites en assénant que « les bébés de 2023 sont les cotisants de 2043 » et reprochant à leurs opposants politiques de vouloir « combler le déficit d’enfants avec l’immigration ». Si l’obsession de l’immigration ne semble partagée qu’à l’extrême droite, le discours nataliste semble gagner des voix à droite chez les Républicains où l’on défend que « [la réforme des retraites] doit être l’occasion de rouvrir le débat sur la politique familiale ».
Si on a oublié l’histoire, il suffit de regarder ce que ces politiques conservatrices font à nos voisines. En Hongrie, en 2013, le gouvernement de Viktor Orban inscrit dans sa loi fondamentale que « La Hongrie doit protéger l’institution du mariage, compris comme l’union consentie d’un homme et d’une femme. La famille est la base de la survie de la nation. » Depuis, sous prétexte de protéger l’institution de la famille, tout un tas de mesures limitant les droits des femmes et de la communauté LGBTQIA+ sont adoptées.
Le 15 septembre 2022, par exemple, un nouveau décret impose aux personnes souhaitant avoir recours à un IVG d’écouter les signes vitaux du fœtus. Une entrave de plus à un accès à l’IVG déjà compliqué.
Même constat en Italie, où la politique nataliste de Giorgia Meloni annonce un recul des droits des femmes et minorités de genre derrière le slogan « Dieu, patrie, famille ».
La natalité oui, mais pas pour tout le monde
La volonté d’un retour à un modèle de société conservateur axé autour de la famille prend de la place dans le paysage politique. Pourtant la natalité n’est pas encouragée pour tout le monde.
A Mayotte, le directeur de l’agence régionale de santé annonce « On va proposer aux jeunes mères une stérilisation, en clair on leur proposera de leur ligaturer les trompes. », faisant ainsi porter aux femmes la responsabilité d’une crise sociale et économique, d’un accès aux soins désastreux et de l’héritage d’une politique colonialiste encore ancrée dans les collectivités territoriales d’outre-mer. Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la ligue des droits de l’Homme le rappelle : « On ne peut que penser au livre de Françoise Vergès, Le Ventre des femmes, qui dénonce les milliers d’avortements et de stérilisations forcées sur des femmes réunionnaises dans les années 70 ».
Comment ne pas penser aux politiques de stérilisation forcée menées sur les populations colonisées sous couvert de contrôle démographique ? Marie-Christine Vergiat analyse : « Je prends aussi le pari que la stérilisation ne sera pas proposée à n’importe qui. Je pense que, dans un contexte de politique migratoire répressive, les femmes comoriennes seront davantage touchées par cette mesure que les femmes mahoraises. »
Est ainsi instauré un contrôle sur nos corps à géométrie variable nourrissant un stéréotype profondément raciste opposant d’un côté les “bonnes mères” du continent, blanches et “françaises de souche” qui peuvent sauver la nation et, de l’autre, les “mauvaises mères” pauvres, racisées et issues de l’immigration qui participeraient à son déclin, ne sachant pas se contrôler.
La figure de la mère sacrificielle qui viendrait sauver la nation par sa progéniture vient entraver les droits des femmes qui ne s’inscrivent pas dans un modèle normé remettant en question le droit de devenir mère pour certaines femmes… Mais aussi le droit de ne pas le devenir.
Le droit d’être mère mais aussi de ne pas l’être
En France, alors que l’inscription de l’IVG dans la Constitution est en discussion – et relève plus d’une opération de communication qu’une protection réelle de ce droit -, son accès reste compliqué dans la pratique pour de nombreuses personnes.
En avril, le Planning Familial alertait sur la pénurie de misoprostol (médicament utilisé dans 76% des IVG en France) et dénonçait l’inaction du gouvernement : « l’accès à ces pilules abortives représente un besoin social fort et un droit, et il en va de la responsabilité de l’Etat d’assurer la production, l’acheminement et la distribution de ce produit de santé ».
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Le parcours pour accéder à la parentalité n’est pas forcément plus simple. Aujourd’hui, l’accès à la PMA (procréation médicalement assistée) est bien inscrit dans la loi. Or, son accès effectif reste un parcours semé d’embûches pour les couples lesbiens. Idem pour les femmes grosses avec lesquelles les médecins abusent de leur droit de réserve, se basant uniquement sur l’IMC, un indicateur pourtant décrié par la science. L’épidémie de Covid-19 a d’ailleurs mis le doigt sur la grossophobie médicale ambiante à travers les recommandations de l’agence de biomédecine sur la PMA. Dans un contexte de crise sociale et de montée des politiques conservatrices, on peut s’interroger sur le devenir de la loi bioéthique et la prise en charge des patientes qui sortent des normes.
Le constat est dur : peu importe d’où on regarde, les politiques conservatrices instrumentalisent les mères pour contrôler le corps et les droits des femmes. Des politiques qui ne profitent à aucune femme. En ce jour de fête des mères, il est bon de rappeler qu’on ne veut pas de fleurs : on veut des droits.