Elisabeth Borne est la deuxième Première ministre de l’histoire. Retour sur cette nomination loin de faire consensus.
« Les défis devant nous sont grands. Je mesure pleinement cette responsabilité. » Premier tweet d’Elisabeth Borne en tant que Première ministre, l’ancienne ministre du Travail sait qu’elle aura du pain sur la planche. Depuis sa nomination annoncée mercredi dernier, de longs papiers s’étirent dans la presse afin de dresser le portrait de celle qui seconde Jean Castex à Matignon.
Militantes, associations, politologues, et toi peut-être aussi, beaucoup attendaient la nomination d’une femme à la tête du gouvernement. Nous t’en avions parlé en 2020, Emmanuel Macron avait déjà promis qu’une femme siègerait à Matignon durant son premier quinquennat. Finalement, Jean Castex avait récupéré la patate chaude après un Edouard Philippe gentiment poussé vers la porte de sortie.
Des cases à cocher
Rappelons-le, en 2020, Emmanuel Macron a l’embarras du choix : Christiane Taubira, Florence Parly (devenue sa ministre des Armées), Laurence Tubiana . Un menu qui ne devait sans doute pas faire saliver, le Président s’étant alors tourné vers un inconnu des grands médias : Jean Castex. Accent du sud et discrétion, Monsieur Déconfinement avait tous les avantages d’un Premier ministre jupitérien au service de Jupiter.
Mais trouver une femme “à la hauteur” des attentes du Président n’était pas mince affaire. Quatre semaines se sont écoulées depuis sa réélection avant qu’il finisse par trouver chaussure à son pied. Et ses exigences étaient pour le moins élevées.

En meeting à Marseille dans l’entre-deux tours, le candidat Macron promet : « Mon Premier ministre devra être attaché à la question sociale, à la question environnementale et à la question productive. » En bref, Matignon devait être représenté par une personne de gauche, écologique, et de droite. Une casquette multifonction difficile à porter et complexifiée par le souhait qu’une femme l’arbore. Pourquoi ? Pour chaque candidate envisagée par les médias, aucune ne cochait toutes les cases du portrait dessiné pour le poste. Analystes politiques et chroniqueurs sont devenus de plus en plus exigeants, le tout mené sur un air de sexisme. Si une femme devait prendre fonction, elle devait être parfaite.
Elisabeth Borne a le défaut de ne jamais avoir été élue par les Français.es. Elle a gravi les échelons de nomination en nomination, passant rapidement par le Parti socialiste puis La République en marche. De fait, elle se présente à Vire, dans le Calvados, pour les législatives. Une possible élection qui ne devrait pas déterminer sa place de Première ministre, sauf si l’union de la gauche a une majorité.
Féminisme, gauche… Faut pas dépasser les bornes
L’arrivée d’Elisabeth Borne, c’est un peu un accouchement difficile par voie basse. Le travail en salle a duré 28 jours, et à la naissance, tout le monde était un peu déçu de la tête du bébé.
A sa cérémonie d’investiture, la Première ministre dédie sa nomination « à toutes les petites filles.” Et pour sa première visite officielle, elle part à Mureaux, dans les Yvelines. L’essentiel de sa première journée à son poste s’est tourné autour de l’égalité des chances et l’émancipation des jeunes femmes.
Dans un article de Ouest France, Anne-Sarah Bouglé-Moalic, docteure en histoire à l’université de Caen, définit la future position d’Elisabeth Borne : « Ce qui compte, c’est la compétence. N’attendons pas de particularité, et ne tentons pas de déceler [Elisabeth Borne] dans ses prises de parole, dans ses actes ou dans ses vêtements. Soyons attentifs au traitement médiatique qui lui sera apporté, aux réflexions soi-disant politiques qui pourraient être glissées et qui viseraient à la (dé)considérer à travers son sexe et non à travers sa fonction. »
Si l’association Osez le féminisme se réjouit tièdement de la nomination d’Elisabeth Borne, du côté de la gauche, on grince des dents.
On ne lui reconnaît qu’un bref passage au Parti socialiste (elle était directrice du cabinet de Ségolène Royal durant son mandat de ministre de l’Ecologie). C’est un bilan très droitier que lui dressent Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel, et plus largement les membres de Nupes (Nouvelle Union Populaire écologique et sociale).
A l’occasion d’une conférence de presse à la suite de sa nomination, le leader de la France Insoumise raille derrière son pupitre : « Sa nomination commence par une forme de tromperie. Madame Borne serait une femme de gauche. Nous ne lui accordons pas ce label. » Pour ensuite dresser un tableau de ses récentes politiques : baisse de l’indemnité chômage, ouverture à la concurrence de la RATP et de la SNCF, report de 10 ans l’entrée dans le mix énergétique du nucléaire à 50 % : « Borne représente tout ce qui n’a pas marché au cours des vingt dernières années, de la privatisation des services publics aux restrictions des acquis sociaux. C’est donc une nouvelle saison de maltraitance sociale et écologique qui commence. Il existe une possibilité pour les Français de renvoyer Borne et de faire un autre choix, celui que j’incarne. »
Quelques chantiers l’attendent. Chargée de la planification écologique, elle devra aussi rassurer les Français angoissés pour leur pouvoir d’achat, sans oublier la réforme des retraites, jamais bien loin. Les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes bien dernières dans la pile de dossiers sur son bureau.
Elisabeth Borne porte sur ses épaules, le lourd poids de son genre à un tel poste. Et on sait à quel point il peut être pesant.