Le 1er février 2023, le Sénat adopte la proposition de loi constitutionnelle visant à ajouter le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution. En réalité, le Sénat a adopté un texte au rabais qui interroge quant à son utilité réelle.

En France, il y a plusieurs types de normes. Toutes ces normes répondent à la norme supérieure, avec tout en haut la Constitution. Ce principe a été établi par Hans Kelsen, le cauchemar des premières années de droit. Pour simplifier son propos (lol), il nous parle de pyramide, où la norme inférieure doit toujours se conformer à la norme supérieure. Si ce n’est pas le cas, elle est illégale.
Maintenant qu’on sait ça. Il est de bon ton de rappeler que la Constitution actuelle date de 1958 et qu’elle ne fait pas l’unanimité. Marine Le Pen défendait une révision constitutionnelle massive. Jean-Luc Mélenchon défend la VIe République et qui dit nouvelle République dit nouvelle Constitution… Bref : ce n’est pas parce qu’on inscrit quelque chose dans la Constitution, que c’est gravé dans le marbre. Sans compter, qu’on ne sait jamais vraiment quelle interprétation peut retenir le Conseil constitutionnel d’un texte.
Aujourd’hui, comme l’indique le Sénat, le Conseil constitutionnel a déjà intégré l’IVG au bloc de constitutionnalité : « Depuis une décision du Conseil constitutionnel du 27 juin 2001, la liberté d’interrompre sa grossesse est considérée comme une composante de la liberté de la femme découlant de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qu’il convient de protéger ». L’IVG est donc déjà protégé par une jurisprudence constitutionnelle.
La constitutionnalisation, un processus complexe…
Devant le recul du droit à l’IVG voire à l’interruption médicale de grossesse (IMG) partout dans le monde, le 7 octobre 2022, La France Insoumise dépose une proposition de loi à l’Assemblée nationale.
Très bien. Sauf que cette proposition est soumise aux termes de l’article 89 de la Constitution : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement. Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale. »
Ca veut dire qu’on est obligé de passer par un référendum si le Président ne porte pas un projet de loi constitutionnalisant l’IVG… et Macron a pas l’air d’avoir envie de se saisir du dossier (il est trop occupé avec la réforme des retraites et de l’assurance chômage). De plus, le référendum représente toujours un risque quand il s’agit du droit des femmes. Même avant ça, il faut que l’Assemblée nationale vote le texte du Sénat dans les mêmes termes. Tu l’as compris : rien n’est gagné !
… Loin de garantir l’accès à l’IVG
Quand on voit le texte qui l’a emporté devant le Sénat, on en rirait presque, si ce n’était pas dramatique. D’abord, la proposition de loi d’origine : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception » a été amendée par les député⋅es. Le texte présenté devant le Sénat était finalement le suivant : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ».
Dans mes yeux de juriste, j’avoue que je vois déjà un fossé énorme. Mais, au moins, persistaient les termes IVG, « droit » et on ne genrait pas la personne enceinte.
Finalement le Sénat a voté un texte encore plus amendé, à savoir: « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse », c’est à dire que le législateur pourrait décider à tout instant d’interdire l’IVG et de juste accepter l’IMG. En effet, « fin à la grossesse » ne veut pas dire IVG. « Liberté » ne veut pas dire droit. D’ailleurs, une liberté peut facilement se restreindre par le droit tandis qu’un droit donne de facto une liberté.
On notera également l’introduction de la mention « de la femme » dans le texte retenu, une précision non nécessaire si ce n’est pour exclure les hommes trans de la protection constitutionnelle, ce qui pour le coup… ne semble pas très constitutionnel.
En outre, la constitutionnalisation ne règle pas les problèmes d’accès à l’IVG. En effet, l’accès au soin, avec la fermeture des centres hospitaliers ou le manque de gynécologues freine la possibilité d’accès réelle à l’IVG. C’est sans compter la tarification qui rend « peu rentable » cet acte pour les médecins qui sont donc réticent⋅es à les pratiquer et la clause de conscience empêchant beaucoup de personnes d’avorter librement (on rappelle qu’un médecin a aujourd’hui l’obligation de soin sur un Nazi, mais peut refuser l’avortement d’un embryon)..
Bref, le Sénat a accepté – sans doute pour plaire à l’opinion publique – un texte qui ne changera pas grand chose dans les faits. L’accès pouvant toujours être entravé. L’IVG pouvant encore être interdite. Une victoire en demi-teinte. La bonne nouvelle, c’est que l’IVG fait débat sur la place publique et, l’Histoire nous l’a appris : les avancées sociales se font dans la rue avant de se faire dans les urnes.