Affaire Olivier Duhamel, révélatrice de la culture du viol

Le 7 janvier dernier sortait La Familia Grande, dans lequel Camille Kouchner témoigne des violences sexuelles incestueuses que subissait son frère jumeau, par leur beau-père, le politologue Olivier Duhamel. Alimenté par le #MeTooInceste lancé par l’association Nous Toutes le week-end dernier, ce nouveau témoignage et ses retombées médiatiques démontrent une présence toujours importante de la culture du viol et de la banalisation de la pédocriminalité.

Muriel Salmona, psychiatre
Muriel Salmona – Illustration : Jade Bourgery

Pour Muriel Salmona, psychiatre psychotraumatologue spécialisée dans les violences sexuelles et sexistes, l’inceste se définit comme “des violences sexuelles, viols et agressions sexuelles qui sont commises par des membres de la famille ou apparentés.” La présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie insiste vivement sur la qualification de ces violences : “[Elles] ne doivent pas être réduites à ce terme d’inceste, puisqu’il les résume à leur contexte, et invisibilise leur gravité réelle.”.

Parmi les victimes de violences sexuelles incestueuses, 80% sont des filles, et 20% sont des garçons. Muriel Salmona explique que les agressions sexuelles et viols s’inscrivent dans un système patriarcal de domination, dans lequel les enfants appartiennent au dominateur et sont exploités. La psychiatre insiste sur l’unicité des luttes contre les violences sexuelles et sexistes.

Il faut faire attention à ne pas diviser les combats. L’inceste, c’est le même combat que toutes les violences sexuelles. Un prédateur […] est un prédateur point.

L’invisibilisation des violences

Dans ce contexte tout particulier de témoignages en cascade (témoignage de Vanessa Springora sur la pédocriminalité de Gabriel Matzneff, affaire Claude Levêque, affaire Olivier Duhamel, #MeTooInceste), il est possible d’identifier un trait reconnaissable de la culture du viol. Il consiste à minimiser les violences subies par les victimes de manière à les discréditer.
Muriel Salmona sensibilise à ce vocabulaire encore très ancré : “Il ne faut jamais parler d’abus sexuel, car le terme abus ne qualifie pas l’acte, mais la stratégie pour commettre l’acte. […] Il faut faire attention à ne plus jamais utiliser les termes pédophilie et abus sexuels qui permettent d’invisibiliser ces actes dégradants, atroces et inhumains.”
Avec la multiplication des témoignages, on assiste à des stratégies de la part des agresseurs afin de mettre en cause les victimes :  “La culture du viol rassemble tous ces “sous couvert de” : sous couvert d’art, de liberté sexuelle, d’amour, d’éducation, ou d’élitisme. Tout est bon pour y passer, et c’est extrêmement cruel, car cela persuade tout le monde que les enfants participent à ce système.” Dans son livre, Camille Kouchner témoigne d’une stratégie similaire. Sous couvert de liberté sexuelle et d’aide à l’éveil sexuel, sa mère, Evelyne Pisier, et Olivier Duhamel ont instauré à Sanary un système favorisant les violences commises par le politologue.

Ça n’a rien à voir avec du désir sexuel, c’est vraiment une volonté de destruction, de prédation sur les plus faibles.

Certaines stratégies visent à positionner les réelles victimes comme pivot, qui font basculer ces “hommes” dans la perversité. “On ne veut pas voir que c’est le tout puissant qui s’arrange des privilèges atroces et qui met en danger toutes ces personnes qui sont en situation de vulnérabilité.”

Dans le cas de l’affaire Olivier Duhamel, les actes commis avaient déjà été connus par certains, bien en amont de l’écriture de La Familia Grande. D’après une source qui préfère rester anonyme, Frédéric Mion, directeur de Sciences-Po Paris, a envoyé à ses étudiants un mail le 5 janvier dernier dans lequel il aurait écrit avoir appris avec “stupeur” les faits reprochés à l’ancien président de la Fondation nationale des sciences politiques. Or, deux jours plus tard, dans un second mail, le directeur de Sciences Po Paris aurait finalement avoué avoir été averti de ces faits par Aurélie Filippetti en 2019, mais que “Sans preuve tangible, sans éléments précis, [il avait] peine à imaginer que cette rumeur puisse avoir le moindre fondement.” 

Le déroulement de ces faits participe non seulement à la protection de l’agresseur, mais aussi à la déresponsabilisation des institutions. 

“Pour les violences sexuelles exercées dans le cadre d’une domination, c’est le discours du dominant qui l’emporte. C’est pour cela que c’est monstrueux de dire que la preuve de ces violences sexuelles, c’est parole contre parole. Évidemment que ce système ne peut que nuire à la victime.”

L’absence de considération des victimes

La médecine, la justice et les politiques publiques jouent également un rôle majeur dans la difficile reconstruction des victimes. “[Les personnalités politiques] savent à quel point les victimes ne sont pas protégées, ne sont pas accompagnées, ne sont pas soignées, que les professionnels ne sont pas formés, et que, de manière plus générale, elles n’ont pas accès à la justice.”

La psychiatre indique également que la médecine a été un corps extrêmement dominant au niveau patriarcal. Selon elle, une amélioration débute, mais elle déplore toujours un grand manque de formation à la psychotraumatologie :

On sait que la psychotraumatologie, c’est 60 à 70% de la psychiatrie. Cela montre une volonté politique de rester dans le déni, de garder des privilèges sexuels, et de protéger les criminels avec l’impunité.

“Les procédures judiciaires sont particulièrement maltraitantes, et ça on aimerait que ça change. Tout est fait pour intimider les victimes, pour les bâillonner, pour les rendre illégitimes”, déclare Muriel Salmona. S’ajoute à cela que selon elle, les victimes mettraient 10 ans en moyenne à parler et que dans les trois quarts des cas, elles ne seraient pas entendues.  “Il ne se passe rien, et elles ne sont protégées que dans 8% des cas. Dans seulement 6% des cas, c’est l’agresseur qui est éloigné.”
Les violences sexuelles et leurs conséquences psychotraumatiques sont les premiers déterminants de la santé 50 ans après : c’est le premier facteur de risque de mort précoce, de suicide, de dépression, de troubles alimentaires, de troubles addictifs, de troubles cardio-vasculaires, de cancers. Selon elle, cela peut être évité avec une bonne prise en charge des victimes : “On les a saccagées, il s’agirait de les réparer.”


Par ailleurs, Muriel Salmona estime que mettre les filles et les garçons au même plan lorsque l’on parle de pédocriminalité n’est pas acceptable. Cette habitude permettrait de minimiser les conséquences particulières subies par les filles.  “Les mettre au même niveau, c’est invisibiliser ce qui va se passer ensuite. Pour une fille, subir des violences sexuelles pendant l’enfance, c’est malheureusement presque la garantie de subir d’autres violences pendant toute sa vie. Le continuum des violences sexuelles est une réalité pour les femmes. Les hommes, s’ils ont subi des violences pendant l’enfance, seront plutôt en position de commettre des violences et pas de les subir. Donc c’est très différent.”

C’est un privilège qui est donné aux hommes d’être en situation d’exploitation sexuelle des femmes en toute impunité.

Afin d’améliorer la considération des victimes, Muriel Salmona et son association ont plusieurs revendications : 

  • une meilleure formation du personnel de santé pour une meilleure prise en charge des victimes ;
  • une réforme totale de la justice : “C’est moins d’1% des violeurs qui sont condamnés, pour des crimes qui sont quand même de premier ordre et qui sont une grave violation des droits humains.” ;
  • repenser la loi sur le consentement : “Il faudrait un seuil d’âge de non-consentement pour les enfants. Il faut déclarer qu’on ne peut pas consentir à des atteintes très graves à sa dignité, on ne peut pas consentir à être dégradé, on ne peut pas consentir à subir des humiliations, etc.” ;
  • la levée de la prescription pour les crimes sexuels, en particulier pour les crimes en série et les cas d’amnésie traumatique ; 
  • l’abrogation de la notion d’atteinte sexuelle, puisqu’elle suppose la recherche du consentement d’un enfant ; 
  • placer les violences sexuelles comme une priorité de santé publique “car cela représente une perte de chances épouvantables pour toutes ces personnes.”
Maud Pajtak
Maud Pajtak

En plein cheminement universitaire en Information et Communication pour devenir journaliste, j'ai découvert le projet Potiches et m'y suis engagée.

Depuis plusieurs années, je m'implique dans une association d'artistes qui a pour but diffuser les valeurs de la culture hip-hop.
Je me suis intéressée au féminisme depuis un coup de cœur pour les Playmobil vikings de mon grand frère. J'aime manger italien et danser sur tout style de musique.

Les derniers articles

Inscris-toi à la newsletter !

Sur le même sujet...