“Sécurité Globale”, la loi qui devrait inquiéter toute la sphère médiatique, tous courants confondus : les féministes doivent rejoindre le combat.
Mardi 17 novembre la proposition de loi “Sécurité Globale” sera examinée devant l’Assemblée. Le principe de cette loi selon le ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin : “protéger ceux qui nous protègent”. Plus précisément, il s’agit de punir d’un an emprisonnement et de 45.000 euros d’amende toute diffusion de “l’image du visage ou tout autre élément d’identification” d’un membre des forces de l’ordre qui a pour but “qu’il soit porté atteinte à son identité physique ou psychique”. Dans les grandes lignes, toute diffusion sur internet ou dans la presse de l’image d’un policier que l’on pourrait reconnaître sera répréhensible par la loi.

Cette loi fait déjà l’objet de 400 amendements. Elle a été signalée comme néfaste dans une tribune signée par 32 médias, dont les plus grands organes de presse (France 2, M6, Arte, Le Figaro, France Info, Mediapart, JDD etc…) et sociétés de production. Un appel à manifester a été lancé cette semaine par différents organismes. Bref, tout le monde médiatico-politique s’affole et tente d’alerter la population. Et à raison. Si l’on entend peu parler de cette loi dans les médias féministes, c’est une erreur. Sans doute cela vient-il d’un éloignement volontaire du courant des grandes institutions patriarcales. Mais c’est se tromper sur l’urgence de la situation.
Protéger ceux qui ne nous protègent plus
Une loi similaire avait déjà été proposée en mai 2020 par Eric Ciotti mais n’avait pas passé la barre de la Commission des lois constitutionnelle. Pour rappel, Eric Ciotti, député Les Républicains, avait récusé le terme de “violences policières” durant la crise des Gilets Jaunes arguant que c’était avant tout “les policiers qui la subissaient [la violence]”. Il avait également demandé l’interdiction du port du voile en France. Un grand ami de la lutte en somme.
C’est donc le polémiquement connu Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, qui reprend l’idée avec sa proposition de loi “Sécurité Globale”. Alors qu’il fait toujours l’objet d’une enquête pour viol, le ministre de l’Intérieur souhaite démontrer qu’il est le grand représentant de la sécurité des forces de l’ordre.
Sauf que nous en avons assez. Nous en avons assez de ces institutions patriarcales, gangrenées par un entre soi social et idéologique total, qui se protègent les unes les autres en usant du pouvoir de nos législateurs à la botte de Jupiter. Ce gouvernement, déjà petite bulle inattaquable, souhaite aujourd’hui s’étendre à ses forces de polices. Les mêmes qui ont conduit à deux décès et 4.000 blessés pendant les manifestations Gilets Jaunes. Les mêmes à nouveau, qui ont conduit à la mort d’Adama Traoré, Mahamadou Fofana, Steve Maia Caniço et d’autres encore. Les mêmes encore qui ont violenté et arrêté nos sœurs parties marchées le 8 mars 2020.

Une liberté de la presse pour une liberté tout court
La liberté d’informer est un des principes fondamentaux de notre société. Sans elle, nous serions privées du pouvoir de critiquer. Et la critique est importante. Les attentats dans les bureaux de Charlie Hebdo en sont la preuve. Nous ne pouvons nous résigner à une censure politique des évènements qui nous concernent.
Vouloir prétendre à la liberté de marcher dans la rue sans être harcelée, c’est aussi se battre pour avoir le droit de savoir et d’informer. Si “Sécurité globale” semble concerner uniquement les journalistes et les médias, c’est aussi son public qui sera directement impacté. L’information telle qu’elle est n’existera plus. Car si certaines pensent que cette loi ne touchera que les médias, elles se trompent. Toi, moi, ta voisine, toutes celles et ceux qui diffuseront l’image d’un policier peuvent se retrouver face aux tribunaux. Au nom de la “sécurité” des uns, le gouvernement jette le voile sur le regard des autres. Et c’est à tâton que l’on marche dans l’obscurité.
La presse joue un rôle bien plus global dans notre société. Véritable contre-pouvoir, elle contrôle et dénonce les institutions. Grâce à elle, nous ne vivons pas dans un pays où sa police a toujours le dernier mot, sans discours opposé. Les exemples ne manquent pas. Ce sont les images, et seulement les images qui ont pu relancer le procès de la mort de Cédric Chouviat. Les médias existent pour les diffuser mais aussi les mettre en lumière. Nous entendons les médias, nous voyons les médias. La justice se plie aussi parfois, au poids des pixels. Nous ne pouvons abandonner cette aptitude et laisser seules dans leur coin des institutions se débouter les unes et les autres en se chuchotant à l’oreille : “T’en fais pas, il n’y a pas de preuve”.
Une liberté en appelle toujours une autre. Une loi en appelle également une autre. Jusqu’où le gouvernement pourra-t-il aller ? Quelle est la limite ? Les termes utilisés pour façonner ce nouveau bout du législatif laissent la part belle à un bon nombre d’extrapolations. Qui décidera de ce qui “porte atteinte à l’identité physique ou psychique” d’un policier ? La même justice qui a décidé que Julie, 14 ans, n’a pas été violée par 20 pompiers ?

Beaucoup de choses sont à refaire dans notre pays. Les combats s’accumulent et la lutte peut parfois paraître sans fin. Mais abandonner certains de nos droits, c’est déjà commencer à baisser la tête. Dans le contexte sanitaire actuel, se réunir pour manifester est difficile, voire dangereux. L’Etat d’urgence permet tout. Alors il faut utiliser d’autres moyens, d’autres systèmes de pression. La France n’est pas seulement un pays où la révolution opère dans la rue. Chacune peut, à son échelle, diffuser, partager, remplir les timelines, inonder la toile. Il faut parler, parler, parler. Ne pas rester murée dans le silence comme nous avons dû le faire pendant toutes ses années avant d’être enfin entendue. MeToo l’a prouvé c’est en pointant du doigt les défauts d’un système qu’une révolution peut se mettre en marche.
Disons “NON” à “Sécurité globale” et disons “OUI” à notre liberté fondamentale, celle qui fait que toi lectrice, lecteur, tu peux lire mes lignes.