ZEvent reproduit-il le schéma sexiste du milieu des jeux vidéo ?

L’un des plus gros événements caritatifs du milieu du jeu vidéo, le ZEvent, débute ce vendredi 29 octobre à Montpellier. L’année précédente, 5,7 millions d’euros avaient été récoltés au profit d’Amnesty International. La liste des 50 streamers qui seront en live pendant 50 heures, met cependant en évidence une chose : où sont les femmes ?

Le ZEvent, projet caritatif réunissant une cinquantaine de streamers français- personne qui produit en live, ou en différé du contenu en ligne -, débute ce vendredi 29 octobre et durera trois jours. Organisé par le célèbre streamer Zerator (1,2 millions d’abonné·es sur Twitch, plateforme de diffusion en ligne), il aura lieu près de Montpellier où plus de 100 000 visiteureuses sont attendu·es pour le concert d’ouverture ce vendredi à la Grande-Motte. En 2020, l’événement avait rassemblé 5,7 millions d’euros pour Amnesty International. Cette année, les fonds récoltés le seront pour l’association française Action contre la faim. 

Photo de la fin du ZEvent 2020
En 2020, l’événement avait rassemblé 5,7 millions d’euros pour Amnesty International – Crédit : Le Mouv’

L’évènement est très attendu par la communauté. L’année précédente 2,5 millions de personnes y avaient assisté en ligne.  Pour pouvoir rassembler le plus de dons possible, les joueureuses, qui streameront en direct durant 50 heures, ont toustes établi des listes d’objectifs à atteindre. En fonction de la somme récoltée, iels accompliront des défis en tous genres, plus ou moins drôles. 

Une ombre vient cependant ternir le tableau. Sur les 50 streamers prévus ce week-end, seules 8 sont des femmes. Parmi elles, des grands noms de la plateforme Twitch : Jeel (588 000 abonné·es), Maghla (543 000 abonné·es), Little Big Whale (390 000 abonné·es). Le sujet avait déjà fait débat en 2019 lorsque certain·es internautes avaient souligné le manque de femmes au palmarès des streamers présents. Une polémique de courte durée et stoppée quasi nette après la non-réponse de l’organisateur Zerator sur le sujet.

Mais le monde du streaming est loin d’être tout noir ou tout blanc. La présence des femmes dans cet univers reste un sujet complexe que les récentes polémiques ont largement mis en lumière.

Le streaming, serial sexisme

Nous sommes le 6 octobre 2021 quand le site de diffusion d’images anonymes, 4chan, s’agite. La plus grosse plateforme de streaming, Twitch, vient de faire l’objet d’une fuite massive. 135 Go de données, dont le code source du média, se sont affichées sur les écrans des utilisateurs. Très vite, de nombreux·ses internautes interprètent les milliers de chiffres, puis les convertissent en tableau Excel pour ensuite les diffuser sur Twitter. 

Ce que révèle, entre autres, les données fuitées, c’est les chiffres d’affaires sur 3 ans de 10 000 streamers. C’est-à-dire les bénéfices engendrés pour la plateforme par les joueureuses. Ce qui ne prend pas en compte le sponsoring, le merchandising, ou encore les dons provenant de leur page Tipeee par exemple,  grâce auxquelles iels génèrent généralement le principal de leurs revenus mensuels. Des données qui restent tout de même révélatrices de ceux qui “marchent” et ceux qui ne “marchent pas” sur Twitch. 

Outre le fait que des streamers français comme Zerator figure dans les 100 personnalités les mieux rémunérées de la plateforme, Numerama, qui a eu accès à la liste, a relevé la présence de seulement 3 femmes dans cette liste.

Capture d'écran de l'article Numerama concernant le salaire des streamers sur Twitch
Capture d’écran du site Numerama, « Seulement trois femmes parmi le top 100 »

Ce n’est pas étonnant dans le milieu du jeu vidéo en streaming. Milieu particulièrement compétitif, seulement 5% des streamers arrivent à dépasser les 100 vues cumulées. Les femmes représentant 50% des gamers dans le monde, restent cependant en marge de la scène “twitchienne”.  Pour cause, le sexisme omniprésent du milieu qui les pousse parfois à abandonner leur carrière de streameuses ou, à l’opposé, être sur-présentes sur Twitch. “Beaucoup de streameuses sont prises dans un cercle vicieux, déplore Léane de Women In Games. Elles streament 12 heures par jour et s’empêchent de côtoyer des proches par peur de ne pas être présentes sur la plateforme”. C’est notamment le cas de Amouranth, streameuse au contenu controversé (elle fait souvent ses streams en petites tenues) et critiquée par la communauté qui estime injuste qu’elle profite de son corps pour “faire des vues”. Le fond du problème résidant dans la nécessité qu’ont ces femmes d’être constamment en live sur Twitch, quitte à ne plus vivre IRL (in real life, dans la vraie vie) pour pouvoir éventuellement dégager un revenu de leur activité.

A cela s’ajoute le cyberharcèlement sur les réseaux sociaux dont sont victimes certaines.

Reprendre le contrôle

Comment se battre contre l’insaisissable sexisme du streaming si les femmes ne peuvent être présentes sur de gros événements comme ZEvent ? Pour certaines, il s’agit de reprendre les rênes de leur image.

L’essentiel serait de pouvoir être assez présente dans le milieu du streaming pour que le genre de questions « est-ce qu’il y a assez de femmes au ZEvent ? » n’ait plus lieu d’être.

Cette année et pour la première fois, les 16 et 17 octobre, la Cité des sciences et de l’industrie (Paris) a accueilli “Les jeux vidéo au féminin”. Le but de l’événement, organisé par la Cité des sciences, est de célébrer les joueuses et celles qui contribuent à faire évoluer l’univers du gaming. Au programme du week-end, des pointures du jeu vidéo : l’association Afrogameuses (qui lutte pour une meilleure représentation des femmes noires dans le streaming), Women In Games, Kayane (43 700 abonné·es, joueuse pro de jeux de combat), Nat’ali (27 500 abonné·es). “Un week-end qui n’aura malgré tout lieu qu’une fois, à moins que le public en redemande pour l’année prochaine. Les visiteurs étaient présents mais on reste en-deçà des autres conventions organisées par des grosses têtes masculines de Twitch”, résume Léane, légèrement amère. Un épisode qui reste dérisoire en comparaison mais qui laisse tout de même la porte ouverte à de nouvelles initiatives. « L’essentiel serait de pouvoir être assez présente dans le milieu du streaming pour que le genre de questions “Est-ce qu’il y a assez de femmes au ZEvent ?” n’ait plus lieu d’être. Ce qu’on veut c’est être à égalité avec les hommes streamers.« 

Jade Bourgery
Jade Bourgery
Co-fondatrice de Potiches, j'ai fait l'école de journalisme de l'ESJ, travaillé pendant un an à Mediapart et je pige pour plein de médias très cool. Mes dadas : les inégalités femmes/hommes, l'écologie et le monde du streaming. En secret, je suis passionnée de polar, j'écoute en boucle "Holding out for a hero" de Bonnie Tyler et je suis tatouée de partout.

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