Diffusé le 12 mai dernier à la télévision belge et très attendu en France, le documentaire #SalePute sera diffusé le 23 juin (22h35) sur la chaîne Arte, mais disponible en ligne dès ce vendredi 4 juin. Les journalistes et autrices Myriam Leroy et Florence Hainaut signent là un documentaire efficace et édifiant sur le cyber harcèlement vécu par les femmes.
TW : violences, injures, harcèlement, menaces.
Internet, cet espace public moderne, est devenu un terrain miné pour la moitié de l’humanité. Au sens propre comme au figuré, la violence qui y règne éteint les femmes. Pas seulement celles qui sont attaquées mais également les autres, les spectatrices. C’est un avertissement, un rappel à l’ordre. Regardez ce qui risque de vous arriver si par malheur vous aussi vous l’ouvrez. Quand ceux qui répandent et ceux qui observent cette haine disent « ce ne sont que des mots », ce que nous entendons c’est « ce ne sont que des femmes ».
Les derniers mots de Florence Hainaut et Myriam Leroy continuent de résonner bien longtemps après l’arrêt du visionnage de #SalePute.
Jusque-là, nous accordions peut-être encore un peu de crédit à cette théorie, qui voudrait que le cyber-harcèlement soit un accident de parcours. Une violence individuelle pour des personnes qui ont manqué de chance et croisé le chemin numérique d’individus “sordides” ou “dérangés”. Mais, durant 57 minutes, les deux journalistes et autrices belges nous aident à détricoter méthodiquement les mécanismes du harcèlement en ligne et à en comprendre la portée politique. C’est à présent très clair : le cyber-harcèlement est une violence essentiellement misogyne, qui a pour but de discréditer, intimider et réduire les femmes au silence.
Cyber-harceler, c’est museler les femmes
Il faut dire que Myriam Leroy et Florence Hainaut connaissent bien leur sujet. Toutes deux sont victimes de harcèlement en ligne depuis de nombreuses années, que ce soient d’intenses raids (campagnes de menaces et de calomnie organisées par un groupe de personnes, dont l’objectif est d’inonder la victime d’un très grand volume de messages) ou de l’acharnement sur le long terme de harceleurs obsessionnels. Les deux journalistes, épuisées, ont un jour fini par capituler et clôturer leur compte Twitter. Car c’est bien le conseil systématiquement donné aux femmes publiques victimes d’attaques répétées en ligne : « Supprime ton compte et tu seras tranquille ». Quitte à se priver d’une audience, quitte à nuire à leur carrière.

Capituler, le temps de reprendre des forces. Et de s’attaquer à un phénomène systémique, mondial. Le temps pour elles de montrer à toutes et tous « comment la domination qui s’exerce dans la vie physique contre les minorités et les personnes minorisées trouve sur Internet un terrain de jeu inespéré. »
Des témoignages glaçants
Dans ce documentaire, Florence Hainaut et Myriam Leroy partagent et croisent les témoignages de victimes aux profils variés, en âge, profession et nationalité. Elles sont femmes politiques, journalistes, directrices d’ONG, youtubeuses ou encore humoristes. Éclairées par la lumière bleue d’un écran, elles nous lisent certains messages qu’elles ont pu recevoir, tous d’une violence inouïe.
Tu sais de quoi j’ai envie ? J’ai envie de te découper le ventre avec un couteau. De t’ouvrir l’abdomen et de sortir tes intestins. Tu hurleras de douleur. Ensuite, je te violerai et te tabasserai.
Message reçu par Trisha Shetty – Inde – Avocate et activiste des droits humains, fondatrice de l’ONG SheSays à Mumbai.
Puis elles nous racontent leurs histoires, analysent leur situation et les enjeux de ces attaques, car être victime de cyber-harcèlement, c’est aussi en devenir une experte.
Des témoignages forts, poignants, qui montrent le désarroi des victimes dont le quotidien est soudain devenu un cauchemar.
Comme le précise la journaliste Nadia Daam : « On a tendance à présenter les victimes de harcèlement et de cyber-harcèlement comme des warriors, comme des guerrières […], des personnes qui sont censées transformer cette expérience douloureuse en combat politique […]. Alors qu’en fait ça donne juste envie, peut-être pas de crever, mais de se terrer sous la couette. Et de dormir très très longtemps et de pas exister. […] Ça a une incidence énorme sur la santé mentale, sur la santé physique, sur la vie professionnelle, sur la vie sentimentale, sur [ses] enfants. »

Ce désespoir, on le reçoit de plein fouet. Mis en exergue par une bande-son lancinante, signée Le Motel, le récit des insultes et des menaces nous glace. Elle nous projette dans le vécu de ces femmes.
Les harceleurs, des hommes de tout âge et de tout profil
Le documentaire ne se limite pas à des témoignages. Avec ces intervenantes et des spécialistes de la question de la haine en ligne et des violences sexistes, les deux réalisatrices démontent notamment certains clichés.
De la même manière que les violeurs ne sont pas tous des individus louches tapis dans les recoins de ruelles mal éclairées, les cyber-harceleurs ne se résument pas non plus au stéréotype de l’Incel sexuellement frustré. Ces personnes – en grande majorité des hommes – sont de tout âge et de tout profil. « Ils sont parfois pères de famille. Certains d’entre eux ont même des filles. Ce ne sont pas des dingues, ce ne sont pas des idiots. Ils ne sont pas des anomalies du système, ils sont le système. »
Faire évoluer la législation
Ces récits le prouvent : toutes les histoires de cyber-harcèlement ont un schéma, des mécanismes communs. Et elles doivent être traitées pour ce qu’elles sont : des violences sexistes et sexuelles. Notamment par les instances policières et judiciaires. On en est pourtant encore bien loin, car la législation – quel que soit le pays – n’est toujours pas adaptée pour encadrer les violences sur Internet. Comme l’explique Anna-Lena von Hodenberg, directrice générale de l’association HateAid, qui lutte contre la haine en ligne et vient en aide à ses victimes : « En tant que société […] nous devons arriver à repenser les choses très vite et réaliser qu’Internet c’est l’espace public au même titre que la vie physique. »
En signant ce documentaire politique, Myriam Leroy et Florence Hainaut entendent ouvrir les yeux au grand public sur cette nouvelle forme d’expression de la misogynie.
Nous voilà, femmes, journalistes, qui avons appris comme tant d’autres à vivre avec le harcèlement, mais qui refusons de l’accepter pour autant. Ce film est là pour ça. Pour que ceux qui le regardent ne puissent plus dire qu’ils ne sont pas au courant. Parce qu’un problème qui atteint 73% des femmes à travers le monde n’est pas une somme d’incidents isolés, c’est un fait de société.
#SalePute est à voir et à revoir sur arte.tv à partir du vendredi 4 juin 2021. Et à partager au plus grand nombre.