Rencontre avec Camille Seine : l’endométriose, son kraken dans « Un désert »

Camille Seine, actrice et assistante commerciale, a appris qu’elle était atteinte d’endométriose il y a deux ans. Elle a décidé de raconter sur scène son expérience face à la maladie, dans une pièce co-écrite avec son amie Mona Dahdouh : « Un désert ».

Camille Seine, metteuse en scène de Un désert
Camille Seine – Photo par Gaël Damerval, graphisme Aurore Yunifer – Danaïd « Un désert »

Maladie médiatisée depuis quelques années, l’endométriose touche 5 à 20% des personnes dotées d’un utérus en âge de procréer et une sur dix dans le monde. Peu connue et étudiée par le corps médical, elle est pourtant responsable de près de la moitié des règles douloureuses. Elle est liée à la présence de tissu semblable à la muqueuse utérine, dit endomètre, en dehors de l’utérus.
Après son diagnostic, le médecin de Camille Seine lui a prescrit une pilule : Optimizette. Du jour au lendemain, des douleurs sont apparues et ne l’ont jamais quittée depuis. D’après de nombreux témoignages, la prise de la pilule en continu est souvent préconisée par les médecins pour soulager les douleurs des malades, voire les soigner, alors qu’il ne s’agit en réalité que de bloquer les règles. Après avoir consulté plusieurs spécialistes, elle a été opérée par un médecin, en qui elle avait confiance, opération qui était supposée faire disparaître la maladie. Seulement, quand elle lui a expliqué en visite post-opératoire que les douleurs étaient toujours présentes, il lui a lancé : « Il faut peut-être arrêter de chercher vos douleurs, les gens normaux aussi en ont ! Je pense que vous cherchez à avoir une vie sans douleur, mais dans tous les cas vous ne l’aurez pas. Pour moi ce n’est pas l’endométriose, c’est autre chose et je ne peux pas vous aider ». Tous les parcours et les symptômes sont différents, mais les mauvaises expériences sont semblables : beaucoup de méconnaissance de la part des médecins, pas de « remède miracle » et souvent même des traitements qui créent de nouvelles souffrances, une difficulté à se faire entendre… Autant de faits qui restent encore très peu partagés.

Meufer : Dans « Un désert », vous parlez de votre rapport à l’endométriose. Comment vous est venue l’idée de cette mise en scène ?

Camille Seine : D’abord, j’ai toujours été passionnée par le théâtre, pour faire un peu dans le cliché : c’est toute ma vie ! À l’époque de mon diagnostic, je vivais avec Mona, mon amie avec laquelle j’ai créé la compagnie Danaïd et cette pièce, qu’elle a mise en scène. Pendant un mois, j’ai eu des douleurs constantes, c’était invivable, je passais ma vie aux urgences. Honnêtement j’avais envie de mourir à ce moment-là, j’ai pensé à me suicider de nombreuses fois. Je n’arrivais pas du tout à accepter la situation, parce qu’avant j’étais très active, très sportive et là je ne pouvais plus rien faire. Je suis rentrée chez mes parents pendant deux semaines, aux alentours de Noël. Avant de partir, j’avais déjà dit à Mona : « Je voudrais que tu écrives une pièce là-dessus ». Elle m’avait dit « J’ai pas trop d’inspiration, mais si ça vient, ok ! ». Le lendemain, je suis allée marcher avec ma mère, enfin marcher c’est un grand mot parce que je n’y arrivais pas réellement, elle était obligée de me soutenir. J’ai vraiment vécu cette expérience comme la traversée du désert. Pendant cet effort qui était très intense, je n’arrivais pas à écouter ma mère, c’était frappant de voir que marcher dix minutes était au-dessus de mes forces. Je ne sais pas pourquoi, à ce moment-là, je me suis visualisée sur une scène, seule, en train de parler à mes proches. J’ai eu envie d’expliquer, non pas au niveau médical, mais vraiment l’impact psychologique de l’endométriose, l’isolement que ça entraîne, l’envie de mourir que ça peut provoquer. Quand je suis rentrée de cette balade avec ma mère, je me suis mise devant mon ordinateur et j’ai commencé à écrire. C’était « Un désert », je ne le voyais qu’avec ce titre-là. C’était vraiment un égotrip, moi, toute seule. C’était presque égocentrique comme délire, je ne voulais pas qu’il y ait quelqu’un avec moi.

Que racontez-vous exactement dans la pièce ?

C. S : Les ressentis que provoquent l’endométriose. Mais je ne voulais pas nommer la maladie, nous avons décidé de l’appeler « le kraken », pour que le spectateur puisse se mettre à ma place, puisse faire une projection. Pour moi ce kraken c’est l’endométriose, mais pour d’autres il peut s’agir du décès d’un proche, de la dépression, etc. Je parle de l’impact de ce kraken sur moi. Tout ce que j’ai pu penser est dans la pièce. La vision du corps par exemple : ce corps qui ne nous appartient plus, qui nous dépasse et que l’on voit comme un ennemi… Ce sentiment a duré longtemps pour ma part. Alors qu’au contraire, la clef c’est justement de comprendre que c’est ton corps et que ce n’est pas un ennemi, qu’il souffre, qu’il faut que tu l’aides. Personnellement c’est ainsi que j’essaie de le voir maintenant. On détaille également le rapport à l’autre, à tous les proches et donc à « l’ancienne vie ». C’est comme ça que je le décris dans la pièce, il y avait la vie avant l’endométriose, avant les douleurs chroniques, et la vie après. Comment je vais chercher à me reconstruire et à combattre ce kraken. Je parle aussi beaucoup du rapport à l’homme, cette peur que j’avais réelle : comment va-t-on faire pour m’aimer avec ça ? Beaucoup de femmes l’apprennent quand elles sont déjà en couple parce qu’elles essaient d’avoir des enfants et qu’elles n’y arrivent pas. Moi à ce moment-là j’étais célibataire, je me disais donc que j’allais devoir le dire et que la personne n’allait pas forcément rester. On parle de douleurs pendant les rapports qui les rendent presque impossibles, de souffrances et de saignements quotidiens, de 40% de risque de stérilité…

La création de cette pièce de théâtre vous a-t-elle aidée ?

C. S : Beaucoup, et à plusieurs niveaux. Je suis passée par des moments où je ne voulais plus la faire, parce que c’était trop dur. Par exemple, après mon opération j’en avais marre de l’endométriose, je ne voulais pas qu’elle tourne tout le temps autour de ma vie. Je suis toujours un peu dans cet état d’esprit d’ailleurs en ce moment, parce que l’opération était il y a seulement quatre mois, ce n’est pas vieux. Il y a des moments où je voulais que la pièce dégage, parce que je voulais que l’endométriose disparaisse. C’est comme si j’avais, d’une certaine manière, extrait l’endométriose et que j’en avais fait quelque chose contre lequel je peux avoir des ressentis nets, parce que c’est à l’extérieur de moi. Donc oui, au début ça a été un vrai moyen d’apprendre à gérer mon rapport à la maladie. Maintenant vis-à-vis d’elle il va y avoir des prises de distance, je le ressens quand je joue, c’est comme si je jouais un autre personnage. Parfois, au contraire, je suis trop impliquée et c’est très difficile à jouer. Je passe par plein d’étapes, parce que c’est un peu ma thérapie.

Malgré le contexte sanitaire, avez-vous eu l’occasion de jouer face à un public ?

C. S : Une seule fois ! L’an dernier en mars nous étions programmées pour huit dates, la semaine d’avant nous avions fait une soirée de lancement, j’avais joué une demi-heure du spectacle. La pièce dure entre une heure et une heure et quart, selon l’énergie que j’ai. Nous avons pu jouer la vraie première le vendredi 13 mars, et le lendemain : annonce de confinement. Tout a été annulé. J’étais très mal au début parce qu’il fallait que je sois pro-active vis-à-vis de l’endométriose donc il fallait que je joue.

Quels retours avez-vous eus ?

C. S : J’ai eu des retours de proches qui ont été perturbés. Pour certains, le kraken n’était pas l’endométriose mais leur rappelait des expériences difficiles. Il y a aussi plusieurs filles qui se sont dit « est-ce que je l’ai moi aussi ? », parce que la pièce leur parlait.

Le fait d’avoir écrit une pièce sur une expérience personnelle vous expose aux yeux de tous. Ce dévoilement n’a-t-il pas été difficile à vivre ?

C. S : Si, j’ai une forme de regret par moments. Au début, comme je disais, c’était assumé que ce projet parle de moi. Comme je suis tombée en dépression, j’étais beaucoup centrée sur moi. Du coup je voulais être toute seule, parler de mon expérience. Maintenant je me dis que je dois la garder cette pièce, elle me suit et c’est le métier que je veux vraiment faire. Clairement, il y a des moments où je n’ai pas du tout envie qu’on m’en parle, qu’on m’identifie seulement vis-à-vis de ça. Et j’avais cette peur aussi que les gens puissent se dire que je me mets en scène, ce qui est vrai d’une certaine manière, mais j’avais peur qu’on pense que j’en faisais beaucoup trop. Et c’est vrai que du coup ça m’expose, par exemple en ce moment je suis dans une phase où je n’ai pas envie d’en parler, donc quand vous m’avez proposé l’interview j’aurais pu dire non. Et en même temps je me dis que j’ai fait ce projet pour ça, pour que ça puisse parler à d’autres personnes.

L’aspect médical est de plus en plus traité, même si c’est très récent, mais l’aspect psychique et les conséquences de cette maladie sur la vie des personnes qui en souffrent l’est très peu.

C. S : Oui, et c’est dommage parce que je pense, que ce soit pour nous ou même pour les proches, c’est très important. J’ai rencontré un homme l’an dernier, et quand je lui en ai parlé, il a voulu se préparer à ce qu’il allait vivre à mes côtés. Il a voulu regarder sur des forums, ce que je lui ai vraiment déconseillé de faire ! Il l’a quand même fait, en prenant de la distance, il voulait être préparé. C’est vrai qu’en tant que compagnon ce n’est pas toujours facile non plus. C’est difficile pour les personnes atteintes de la maladie, mais aussi pour celles qui les accompagnent. Commencer une sexualité dans ces circonstances n’est pas l’idéal. Pour moi c’est très humiliant et je cherche donc à cacher mon mal-être, mais la personne le voit malgré tout. Souvent je regrettais qu’il n’ait pas la possibilité d’en parler à l’extérieur, de se confier, de chercher des solutions pour lui. Ce n’est pas du tout proposé.

Avez-vous mis en place des choses spécifiques autour du spectacle pour apporter du soutien ou des réponses aux spectatrices qui seraient dans le même cas que vous ?

C. S : Tout à fait, nous avons créé un partenariat avec Endomind, qui est l’une des associations en France qui lutte contre l’endométriose. Elle est là aux représentations, nous fait de la communication, etc. C’est vraiment bien parce qu’en sortant du spectacle, il y a un stand et le public peut aller leur poser des questions. Le théâtre dans lequel nous jouerons prochainement nous a proposé qu’à la fin du spectacle nous puissions échanger avec la salle, sous forme de questions-réponses, et que je puisse être accompagnée de médecins. Il faudrait que ce soit des spécialistes de la douleur, qui connaissent vraiment bien le sujet dans le cadre de l’endométriose. Parce qu’il ne faut pas croire, la plupart des médecins ne savent pas du tout de quoi ils parlent et sont très culpabilisants ! C’est vraiment une « maladie de chochotte », parce que ça ne se voit pas…

Page Facebook de Danaïd, la compagnie de Camille Seine et Mona Dahdouh

« Un Désert » se produira sur scène le jeudi 14 janvier à 11h à l’occasion du festival TEP 8 à Université Paris VIII Vincennes – Saint-Denis. Pour assister au spectacle, diffusé gratuitement en direct, rendez-vous sur ce lien

Perrine Bontemps
Perrine Bontemps

Actuellement étudiante en journalisme, j’ai commencé par une licence de sociologie avant d’arrêter mes études pendant trois ans. J’ai expérimenté, découvert, appris, au travers d’un service civique, de voyages et de rencontres inattendues.

Aujourd’hui, je pense avoir trouvé ce que je veux vraiment : déconstruire la société pour mieux la réinventer et faire toujours plus de projets pour y parvenir.

Sinon je suis aussi végétarienne, toulousaine et en amour pour la musique et les chats.

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