C’est au départ une belle histoire de courage et de résilience, un dessin animé de 1998 qui prône l’égalité et la liberté. Son adaptation au cinéma aurait dû faire un carton, sauf que le film Mulan, disponible sur Disney+ depuis le 4 septembre 2020, est au coeur d’une vaste polémique.
Sur le papier, Mulan est l’héroïne qu’on a envie de présenter à nos enfants (ou à nous-même). Déjà parce qu’elle n’est pas une princesse. Aussi parce qu’elle fait preuve d’une bravoure incroyable tout au long de l’histoire… Sans parler de son combat pour l’égalité : oui, déjà en 1998 (date de sortie du dessin animé), une fille peut faire « comme un homme » et aller à l’armée et sauver son pays ! Voilà, la messe est dite.
Alors pourquoi l’appel au boycott du film, lancé il y a un an sur les réseaux, ne cesse de prendre de l’ampleur en Asie ? D’où vient cette polémique ?
Le soutien qui fâche
L’année dernière, Amnesty International exprimait son inquiétude quant aux méthodes brutales employées par les forces de police de Hong Kong lors des manifestations organisées dès mai 2019 dans la région. L’interprète de Mulan, Liu Yifei, affichait alors ouvertement son soutien à la police hongkongaise. Sur Weibo, l’équivalent chinois de Facebook, l’actrice sino-américaine originaire de Wuhan postait les messages suivants :
« Moi aussi je soutiens la police de Hong Kong » , « Quelle honte pour Hong Kong ».
Des messages qui, pour beaucoup, entachent l’image de l’héroïne chinoise Mulan, symbole de liberté et de justice. C’est pourquoi, en août 2019, sept mois avant la sortie au cinéma du film (finalement repoussée à cause du Coronavirus), le hashtag #BoycottMulan surgit sur la toile. Il est relancé en juillet 2020 par les militants hongkongais pour la démocratie, alors que Pékin impose à Hong Kong sa loi sur la sécurité nationale.
Un tournage dans la tristement célèbre région de Xinjiang
Le film était donc prévu au cinéma en mars 2020. Il est finalement diffusé sur la plateforme de streaming Disney+ depuis le 4 septembre 2020, pour la modique somme de 29,99$ (abonnement non compris). Cette sortie inédite, exclusivement en ligne, survient alors que la communauté internationale montre la Chine du doigt. Depuis plusieurs années, les ONG alertent sur le sort que le gouvernement chinois réserve aux Ouïghours, une ethnie musulmane du Nord-Ouest du pays. D’après des organisations de défense des droits humains, plus d’un million d’entre eux sont actuellement détenus contre leur grès et persécutés dans des camps de « rééducation politique ». Travail forcé, stérilisation massives des femmes… Bref, selon l’Eurodéputé Raphaël Glucksmann la Chine est coupable du « plus grand internement de masse aujourd’hui dans le monde » et cherche à « éradiquer » l’identité de cette ethnie.
Le rapport avec le film de Disney ? Et bien c’est dans la région de Xinjiang, où se trouvent ces fameux camps, qu’ont été tournées de nombreuses scènes de Mulan. Dans le générique, on peut d’ailleurs lire des « remerciements particuliers » à huit autorités de cette région cloisonnée par le gouvernement. Aujourd’hui, les internautes reprochent à Walt Disney Company d’avoir fermé les yeux sur le sort des Ouïghours.
Un scénario-gruyère
Le projet, annoncé l’année dernière, faisait rêver bien des jeunes de la génération Y. Un nouveau dessin animé de leur enfance adapté au cinéma et un joli casting 100% asiatique… Mais en découvrant les premières images du film, beaucoup s’étaient plaint des libertés prises dans le scénario.
Où est Mushu ?! L’emblématique petit dragon gaffeur a été évincé de l’histoire car il choquerait les chinois. Dans le journal Le Soir, le spécialiste de la Chine et professeur à l’Université de la Californie du Sud Stanley Rose expliquait :
Mushu était très populaire aux Etats-Unis mais les Chinois le détestaient, car il pervertissait ce symbole (le dragon, NDLR) de leur culture.
Et l’histoire d’amour entre Mulan et le général Li Shang ? Jugée borderline à l’ère de #MeToo, la relation entre l’héroïne et son « supérieur hiérarchique » a également été supprimée. Cela peut paraître anodin aux regards des faits exposés plus haut, mais ce scénario modifié en dit long sur les conditions de fabrication du film.
Il faut savoir que la Chine n’autorise la diffusion que d’une trentaine de films étrangers par an et le marché du cinéma chinois est très lucratif. Les producteurs qui veulent faire une place à leur film dans les salles noires chinoises doivent donc se plier aux exigences de la censure imposée par Pékin et présenter des oeuvres qui dressent un portrait valorisant du pays. Est-ce le cas du film de Niki Caro ? Pour Joshua Wong, jeune chef de file du mouvement prodémocratie hongkongais, avec Mulan, Disney « se prosterne devant Pékin ».
Débats politiques et sociaux mis de côté, le film n’est pas encensé par la critique. Il est noté seulement 4,7/10 sur la plateforme chinoise de référence douban.com. Alors qu’on soit fans inconditionnelles de Fa Mulan ou simple défenseurs des droits humains, peut-être faut-il mieux s’en tenir à la version de notre enfance, pour éviter toutes déceptions…
On vous laisse le soin d’en juger.