La pièce de théâtre Peut-être qu’elle a quelque chose à dire, portée par un collectif pour le théâtre engagé, brise les barrières entre le public et l’intime. Charline, Aïta, Safaa, Caroline, Houdia… Ensemble, elles croient en ce projet qui libère les paroles. Rencontres (croisées) avec des femmes qui n’ont pas leur langue dans leur poche.
Quand j’ai imaginé le format de cet article, j’ai pensé n’interviewer que Charline Dufournet, la présidente du collectif « Elle a quelque chose à dire », pour un théâtre engagé. Mais très vite, j’ai compris qu’il y avait, derrière la pièce intitulée Peut-être qu’elle a quelque chose à dire (dans laquelle Charline joue également), une équipe très soudée.
L’idée est née dans la tête de Charline, salariée d’une association dans le secteur de la transition écologie et comédienne amatrice. Au cours de notre conversation, très vite, le « je » s’efface au profit du « on ». La jeune femme de 32 ans l’affirme : « Aujourd’hui c’est un projet porté collectivement, par les membres de l’asso, les comédiennes, les autrices… Pour moi, il vit grâce à ce collectif ».
Un projet né sur le papier et porté sur les planches
Peut-être qu’elle a quelque chose à dire est une pièce de théâtre pas comme les autres. Tout est parti d’un besoin : celui d’extérioriser par l’écriture. Pour Charline, c’est une libération : « ça m’a permis de prendre de la distance et de me réconcilier avec ce que j’avais vécu. »

Très vite, elle se dit qu’elle ne doit pas être la seule femme à avoir des choses à dire. Et puis elle constate, entre 2019 et 2020, un déséquilibre flagrant dans l’espace médiatique. Les multiples débats autour de la vie des personnes sexisées sont toujours animés par des hommes cis blancs hétéro et privilégiés.
Charline Dufournet finit par perdre patience : « Je me suis dit : mais la barbe de ces hommes qui se permettent de juger si notre tenue est ‘’républicaine’’ ou pas, ce qui constitue ou non un viol, si nos douleurs sont légitimes… ! » C’est de là qu’est venu le titre de la pièce. Face à ces personnes se permettant de parler au nom de « la femme », la comédienne pense : « Peut-être qu’elle a quelque chose à dire la femme voilée, la grosse, l’ado en crop top, la femme qui accouche ? ».
Mais comment reprendre cet espace d’expression aujourd’hui accaparé par les hommes ? Pourquoi pas en récupérant plusieurs témoignages écrits par des femmes pour en faire une pièce de théâtre ? L’association « Elle a quelque chose à dire » naît donc, en novembre 2020, pour permettre à la pièce d’exister. Car sans structure pour financer ce projet, difficile de le mener à bien. « Monter une pièce de A à Z quand on n’est pas du milieu et qu’on n’a pas vraiment d’expériences, c’est très compliqué. Les freins sont multiples quand on veut à la fois animer une asso et entrer dans le monde du théâtre professionnel (gérer les personnes employées, la communication… NDLR), mais heureusement on est motivé ! » s’exclame Charline.
Mettre en avant la parole DES femmes
À cette période, Caroline Metz (chercheuse en économie politique, reconvertie depuis peu en chargée de plaidoyer pour une ONG), a justement envie de se remettre au théâtre. « Quand Charline m’a parlé de son idée, j’ai été enthousiasmée, je l’ai encouragée et je lui ai dit que moi aussi, j’aurais sûrement des textes à proposer. »
La pièce est aujourd’hui fondée sur un corpus de 25 textes écrits par 12 autrices, de 25 à 62 ans, aux profils très divers. Des témoignages portés par les voix de quatre comédiennes : Caroline, Charline, Ndèye Aïta Cissé et Safaa Bourass. Trois d’entre elles ont écrit des textes pour la pièce, mais aucune ne joue ses propres histoires. Ce qu’elles ont toutes en commun ? Le besoin de se libérer de certaines expériences et le courage de confier ces récits de vie au collectif. « On a eu beaucoup de moments très émouvants, notamment lors des lectures des textes au début, et du partage avec les autrices… Le fait qu’elles nous confient leurs vécus, qu’elles nous fassent confiance, c’est beau, ça donne envie de tout donner pour essayer de rendre justice à ces textes. » raconte Caroline, comédienne et autrice du collectif.
Aïta, autre comédienne et autrice confirme l’engagement du groupe : « Peut-être qu’elle a quelque chose à dire est une parenthèse pour donner sens. Pour légitimer toutes les émotions qui peuvent nous traverser en tant que femme dans cette société patriarcale. ». C’est cette belle énergie qui a plu à Houdia Ponty, comédienne et metteuse en scène professionnelle, chargée de la mise en scène de la pièce. « Je travaille très rarement avec des troupes amateurs », m’avoue-t-elle. « Mais là ce qui m’a plu sur ce projet, outre ces témoignages tout aussi poignants les uns que les autres, c’est l’énergie, l’envie des filles de porter ce projet. »
Endosser des rôles complexes et complets
Pour Houdia, qui a notamment travaillé sur le film Hors norme réalisé par Olivier Nakache et Éric Toledano (en 2019), il y a plusieurs façons de faire du théâtre engagé. « Je n’avais jamais travaillé sur un projet de ce genre, même si ça faisait un moment que ça me titillait. Mais avant ça, je considérais déjà mon théâtre comme engagé ». En effet, la jeune femme met un point d’honneur à travailler sur des projets dans lesquels la parité est respectée. Elle souhaite et aime que les femmes endossent des rôles « complexes et complets ».

Son plus gros défi, pour cette pièce originale, a été de trouver le bon rythme. « Un enchaînement de monologues, ce n’est pas facile à mettre en scène… Ça peut vite être redondant ou un peu lourd. » Charline et les autres membres du collectif avaient conscience de cette difficulté : les textes qu’elles récitent sur les planches n’ont pas été écrits pour le théâtre.
Il était également important pour Houdia Ponty d’aider les comédiennes à partager ces témoignages avec le plus de neutralité possible. « Il faut porter ces textes avec tout l’amour, toute la rage et toute l’envie qu’on a de les défendre… Mais le plus important, c’est quand même de leur donner le moyen d’atteindre le spectateur. »
Cette envie de respecter le collectif et l’importance qu’elle accorde au rythme est ce qui a convaincu l’équipe de l’association, comme m’explique Charline Dufournet. « On voulait mettre en place un cadre bienveillant et d’écoute. C’est ce qui nous a vraiment plu chez Houdia. Elle était vraiment ouverte à cette approche de dialogue et de co construction du projet. »
Peut-être qu’elle a quelque chose à dire est une pièce intime, qui frôle avec le politique en s’inscrivant dans un combat féministe intersectionnel. « Il y a toujours cet énorme fossé entre la parole des femmes et la parole des hommes, entre la façon dont on commente les actions des femmes et les actions des hommes… De ce fait, c’est évidemment important pour moi de faire entendre la voix DES femmes » explique la metteuse en scène de la pièce.
En évoquant des sujets variés comme le regard des autres, la (non) maternité, la sexualité, les multiples agressions subies par les femmes, etc., le collectif espère sensibiliser à ces thématiques tout en libérant la parole. Toutes espèrent rendre le théâtre et les questionnements féministes accessibles à tou·te·s en créant, grâce à cette pièce, des espaces de débats bienveillants.
Hier soir a eu lieu la première, au restaurant les Marmites Volantes à Montreuil. Deux autres représentations sont prévues les dimanches 6 et 13 mars, à 19h30 au Théâtre Clavel à Paris. (Réservations : ici et ici).
Pour en savoir plus sur ce que la comédienne Caroline Metz considère comme un « four women show », rendez-vous sur la page Facebook ou le compte Instagram de l’association.