« Parlons d’autre chose », du théâtre au court métrage : interview croisée de Léonore Confino et Aliénor Barré

L’une est autrice, l’autre comédienne. En 2015 Léonore Confino rédige « Parlons d’autre chose », une pièce qui questionne la dynamique de groupe et notamment la sororité, en dépeignant sans fard les affres de l’adolescence. Sur scène, huit comédiennes et un comédien de la « nouvelle génération » s’approprient brillamment ce portrait incisif d’une jeunesse révoltée en plein apprentissage de la vie. L’oeuvre, mise en scène par Catherine Schaub, a l’expressivité (et l’explosivité) de nos années lycées. Elle a leur complexité aussi.

Sur les planches, Aliénor Barré est Lou et fait partie d’un groupe de lycéennes très soudées dont l’équilibre fragile va être mise à mal par Tom, seule voix masculine de l’histoire. Aujourd’hui la comédienne devient réalisatrice en adaptant la pièce en cours-métrage. Je l’ai ai interrogé, l’une et l’autre, pour comprendre ces processus particuliers de création que sont la rédaction et l’adaptation. Ensemble, elles nous racontent « Parlons d’autre chose », s’expriment sur leur vision du théâtre, du cinéma… Et du féminisme.

Bonjour les filles, pouvez-vous vous présenter ?

L.C : Je m’appelle Léonore Confino, j’ai 38 ans et je vis à Montreuil. J’écris depuis une douzaine d’années.  Je suis d’origine Suisse, j’ai vécu 7 ans à Montpellier, 1 an en Inde, puis mon année de terminale au Québec, et je suis revenue à Paris à 18 ans pour étudier le cinéma documentaire le jour, suivre des cours de théâtre le soir. J’ai longtemps persisté à vouloir jouer, mais j’avais un trac paralysant. Certains disent que le trac s’arrête en jouant, moi pas, il persistait jusqu’aux saluts, et reprenait le lendemain toute la journée. Ça me révoltait : j’aimais tout dans le théâtre, alors pourquoi la peur prenait le dessus ?! Il aura fallu pas mal d’années et la rencontre d’autrices pour me rendre compte que ma vraie place était « derrière ». Je vis la fiction bien plus librement par procuration, sans m’exposer aux yeux des autres. 

A.B : Je m’appelle Aliénor Barré, je suis comédienne et très très très jeune réalisatrice. J’ai débuté la scène vers mes dix ans, je faisais du hip hop. Très vite j’ai associé la danse et le théâtre (j’ai commencé à prendre des cours) et ça a été un vrai kiffe. Après mon bac je me suis inscrite aux cours Florent et ensuite j’ai rejoint les Enfants Terribles (une école de théâtre parisienne, NDLR). Là, j’ai fait la rencontre de gens qui sont aujourd’hui des potes. On a décidé de fonder une compagnie, le Collectif Birdland, parce qu’on avait envie de travailler ensemble. Quand on à fait la rencontre de Léonore et Catherine ont leur a proposé de monter un projet et c’est de là qu’est venu « Parlons d’autres choses. »

Affiche de la pièce de théâtre "Parlons d'autre chose"
Affiche de la pièce

Léonore, c’est donc de cette bande de potes que t’est venue l’idée de « Parlons d’autre chose » ?

L.C : Lorsqu’on a rencontré le Collectif, avec Catherine Schaub (une metteuse en scène avec laquelle je travaille depuis de nombreuses années), nous avons été frappées par son étrange répartition. Ce garçon au milieu de ces huit filles, ça a inspiré cette histoire d’une communauté de filles qui se passent un garçon entre elles, un garçon à leur service, domestiqué… Elles ont tellement peur de souffrir, elles ont tellement peur de l’amour, qu’elles ont organisé ce fonctionnement pour éviter de s’en prendre plein la gueule. Mais évidemment, les choses vont mal tourner, parce que les humains, leurs désirs, leurs besoins, sont imprévisibles. 

A.B : Léonore et Catherine ont fait un travail assez particulier mais tellement enrichissant. Elles se sont inspirées de nous pour écrire quelque chose ! Elles nous ont posé des questions, sur nos vies privées, sur nos envies, sur nos peurs, sur nos interdits, sur nos relations… Ce genre de questions qu’on se pose surtout dans la phase adolescente. Il a donc fallu s’immerger à nouveau dans cette époque de nos vies, qu’on venait pour la plupart tout juste de quitter et personnellement j’ai adoré ça !

L.C : C’est vrai… Et c’est à partir de ces réponses qu’avec Catherine, on a pu définir cette communauté et leur langage. Les personnages de « Parlons d’autre chose » sont un peu leurs avatars… Mais des avatars assez sombres !

Aliénor, c’est pour cela que tu as cette relation si particulière à cette pièce, au point de vouloir l’adapter ?

A.B : J’ai un lien très particulier avec « Parlons d’autre chose » car ça a été ma toute première création de théâtre. Je m’y suis investie corps et âme. Et puis cette aventure a duré cinq ans. Cinq ans c’est long et c’est fort ! (La dernière représentation a eu lieu le 4 février 2020, NDLR) Cinq ans, quand t’as la vingtaine, c’est une bonne partie de ta vie en fait. Ça m’a fait grandir humainement et professionnellement. En cinq ans, avec « Parlons d’autre chose », on a fait deux fois le festival d’Avignon, on a joué dans plusieurs théâtre parisiens…  Et puis on a été produit par « Qui m’aime me suive », au Théâtre Tristan Bernard, et là… Ça a été les 4 mois les plus beaux de ma vie. Travailler avec une équipe de dingue, jouer à Paris dans un si beau théâtre, être produit… C’était la première fois pour le Collectif et le moment où je me suis sentie enfin professionnelle. Je me disais  : « Voilà, j’suis comédienne. » C’est pas juste : « Je prends des cours de théâtre », c’est vraiment : « Aujourd’hui je suis comédienne. »

«  (…) j’ai  trouvé  magnifique  de  voir  qu’elle  osait,  qu’elle  reprenait  le flambeau,  que  sa  génération  à  elle  s’emparait  désormais  de  cet  objet  qui  était  de  toutes  façons inspiré d’elle et de son équipe ! »

Léonore, est-ce que ça a été dur de léguer ton texte à Aliénor pour l’adaptation ?

L.C : Non ! Quand on écrit pour le théâtre ou le cinéma, on est habitué à ce que son travail soit malaxé, transformé, emmené ailleurs. C’est principalement ce qui me plait dans ce métier, la surprise de ce que deviendra la matière première dans les yeux de quelqu’un d’autre. J’ai vu Aliénor travailler comme comédienne, je l’ai vue aussi, passer de post-adolescente à jeune femme, sculpter un point de vue sur le monde, et j’ai trouvé magnifique de voir qu’elle osait, qu’elle reprenait le flambeau, que sa génération à elle s’emparait désormais de cet objet qui était de toutes façons inspiré d’elle et de son équipe ! Donc Parlons d’autre chose leur appartient aussi ! 

Aliénor, cette histoire, ce court-métrage, c’est une histoire de famille un peu non ?

A.B : A l’époque où je jouais dans « Parlons d’autre chose », j’ai également eu la chance de jouer dans une série diffusée sur France TV Splash : « Skam France ». C’était ma première expérience à l’image et j’y ai énormément appris. Pour mon court-métrage, en plus de mes potes du CollectifBird, je me suis entourée d’une partie de l’équipe rencontrée sur le tournage de « Skam ». C’est ça qui est cool, j’ai réussi à associer ma famille du théâtre et ma famille de la télé pour mon entrée dans le monde du cinéma. Le lieu n’a pas non plus été choisi au hasard. J’ai pris mes premiers cours de hip hop à la MJC de Neuilly sur Seine, qui est associé au Théâtre du Petit Parmentier. Ce théâtre c’était un peu comme ma deuxième maison et c’est le premier qui nous a donné la chance de jouer la pièce de Léonore. Du coup c’était évident pour moi que le court-métrage soit tourné dans ces locaux. On y a commencé l’aventure théâtre de « Parlons d’autre chose » et on l’a fini, en beauté, dans ce même lieu magnifique. C’était une chance de fou de pouvoir clore là cette aventure de dingue !

Revenons en à la pièce et d’abord à ce titre : « Parlons d’autre chose ». Il essaye de faire taire ou au contraire, de libérer la parole ?

L.C : Il évoque surtout le déni des parents qui refusent de voir ce qui hante leurs adolescents, leurs terreurs, leurs désirs… Comme si c’était trop gros pour eux, d’avaler tout ça, d’accepter de voir leur enfant muter, devenir un peu étranger à eux. Alors ils préfèrent parler d’autre chose,  regarder ailleurs et attendre que ça passe. 

C’est donc une histoire de mutation ?

A.B : C’est une histoire de découvertes : celle de l’amour, de l’amitié, de la dynamique de groupe, de la séduction – pas seulement la tienne, mais celle que tu découvres en observant les autres… Mais ça parle aussi de confiance, de trahison, du rapport entre les hommes et les femmes, de sororité… En fait, ça évoque l’adolescence et ce que les jeunes d’aujourd’hui pensent de la société.

Et alors, les personnages de la pièces, ils en pensent quoi ?

A.B : Bah, ils ne sont pas d’accord ! Chacune des filles de ce groupe de huit copines a des caractéristiques et une personnalité qui lui est propre. Mais malgré leur différence de point de vue, elles sont soudées.

L.C : Parmi les personnages féminins de la pièce, certaines sont modérées, réfléchies, mais les plus fortes de caractère les embarquent dans un fonctionnement qui les dépasse, jusqu’à aller très loin… Pendant une soirée, lors d’un jeu de rôle qui va mal tourner, elles décident de venger la souffrance et la soumission féminine des trois derniers millénaires.

Parlons d'autre chose : les comédiennes sur scène
Les comédiennes sur scène – Photo Journal la terrasse

« On a besoin d’éprouver une révolte viscérale pour se battre pour une cause, mais la cause ne peut pas légitimer une violence gratuite. »

On en revient donc à des thématiques très féministes finalement. D’ailleurs, sept personnes féminins revanchards qui font face à un seul homme, c’est un scénario très « girl power » non ?

L.C : Certes les filles décident de se venger du patriarcat, mais le problème, c’est qu’elles s’acharnent sur un garçon qui n’a rien fait. Il a juste aimé une autre fille, en dehors de leur communauté, et ça réveille en elles un sentiment d’injustice, ça leur donne l’argument pour le punir. C’est au nom de ce « girl power » qu’elles basculent dans la violence, je crois donc qu’il n’y a pas beaucoup de complaisance envers les femmes dans cette histoire, au contraire, elles se trompent de cible en écoutant leurs pulsions puis se remettent en question et réfléchissent à ce qu’est vraiment le féminisme pour elles, aujourd’hui ! C’est à dire des actes concrets à l’échelle de toute la société : égalité des salaires, partage des tâches du foyer, accès aux postes de pouvoir etc. Cette pièce, entre autres, parle du conflit intérieur entre un combat pulsionnel et un combat constructif… A l’adolescence, comme à l’âge adulte d’ailleurs, il est très difficile de trouver l’équilibre : on a besoin d’éprouver une révolte viscérale pour se battre pour une cause, mais la cause ne peut pas légitimer une violence gratuite.

A.B : Avec huit actrices sur scène, évidemment que la femme est très représentée dans cette pièce… Mais il y a tout de même ce personnage masculin et il est très important parce qu’il interroge sur ce rapport homme/femme. Qu’est ce que ces filles ressentent face à UN homme, qu’est ce qu’il représente pour elles ? Et puis ça interroge sur leur lien du coup, est-ce que ce que existe entre elles est vraiment de la sororité ? Est-ce qu’elles sont vraiment des soeurs ? Est-ce que même elles savent ce que cela veut dire ?

L.C : Personnellement, ça m’étonne toujours que personne ne remarque jamais une distribution faite entièrement d’hommes. Aucun.e journaliste n’attachera d’importance au fait qu’il y a huit  hommes sur un plateau ! Mais dès qu’on met en scène huit actrices, tout de suite, cela saute aux yeux. C’est ultra-signifiant et assez injuste quand on y pense… Mettre en avant ce groupe féminin, c’est donc participer à une « habituation » des spectateurs, pour qu’à force, ils ne s’en aperçoivent plus… 

C’était essentiel pour toi que ce soit une femme qui adapte ta pièce au grand écran   ?

L.C : Pas forcément. La pièce revendique une reprise active du dialogue entre les deux sexes, une émancipation partagée, des mécanismes qui s’affranchissent ensemble… Après le mouvement Me Too, j’ai été assez frappée de voir à quel point l’échange pouvait enfin s’ouvrir avec pas mal d’hommes, de proches, qui venaient de se prendre un tsunami de conscience dans la tête. J’ai des potes qui sont vraiment tombés de dix étages en lisant le post #MeToo de leurs soeurs, de leurs cousines et qui voulait du coup tout apprendre… Et puis ce qui compte, ça n’est pas que ce soit une femme qui adapte la pièce, mais que  ce soit Aliénor Barré, cette personne là, avec ce tempérament là, qui a vécu toute cette aventure depuis le tout début. On nous avait déjà proposé de travailler sur une adaptation pour l’image, mais la greffe n’avait pas pris, parce que ce groupe est assez unique dans son fonctionnement, il ne peut être dirigé par personne d’autre que par lui-même.

Et alors Aliénor, le processus d’adaptation, pas trop effrayant ? Quel était le but en amenant cette histoire à l’écran ?

A.B : La création de « Parlons d’autre chose » au théâtre, avec Léonore et Catherine a été très, très contemporaine. En fait, quand tu vois la pièce, tu vois des images cinématographique, ça va très vite, ça clash, ça bourrine, comme les jeunes quoi ! Ça pourrait presque déjà être un scénario de cinéma, mais avec la patte théâtrale de Léonore. Donc ça n’est pas la réécriture qui m’a fait peur, plutôt le nombre de personnages (d’ailleurs, le groupe d’amies a été réduit à 7 pour le court-métrage, NDLR) et la capacité du spectateur à bien identifier et comprendre chacune d’elles.

L.C : Je trouve que pour saisir la pudeur des adolescents, les conflits intérieurs, le cinéma a vraiment un rôle à jouer. Au théâtre, on ne peut pas s’attarder sur une main qui se crispe, une gorge qui se noue… il faut souvent les mots pour traduire ces toutes petites sensations qu’ici, on va pouvoir percevoir par l’image.

A.B : Le court métrage va durer une bonne vingtaine, mais j’ai choisi de m’attarder sur les personnages, d’être hyper précise. Y’a plein de choses à dire qui n’ont jamais été dite, et l’image permet ça. Avec la même histoire du peux faire un court-métrage, tu peux faire plein d’épisodes, tu peux faire un film de 3h… J’ai adapté cette pièce en partant de tout ce que j’avais vécu, de tout ce que ma génération a vécu, des évènements qu’on a surmonté : les joyeux, les moins joyeux… C’est vraiment ces images là, que j’avais en tête, responsables de qui je suis aujourd’hui et de ce qu’est ma génération aujourd’hui, qui m’ont donné envie de réaliser ce court-métrage très actuel. A travers ces huit personnage, dans une histoire où les femmes sont majoritaires, où les rôles s’inversent, je voulais représenter à l’écran ma génération.

Image de la campagne Ulule

Où en est le projet actuellement ?

A.B : Aujourd’hui on a fini le tournage, ça a duré quatre jours et ça a été intense… Mais l’ambiance du tournage était magique, les images sont superbes et tout le monde était heureux, reconnaissant d’être là et à l’écoute les un.e.s des autres. Maintenant, je travaille avec Coline Preher sur le reste de la bande son et on démarre le montage fin août pour que le court-métrage soit terminé d’ici octobre. On espère pouvoir faire une projection à l’automne, dans une vraie salle de cinéma, mais pour ça, on a besoin de fonds. Et puis il faut rembourser tout le tournage pour lequel j’ai avancé l’argent. C’est pour ça qu’actuellement je fais aussi beaucoup de promotion pour notre campagne Ululue. On a pour l’instant atteint 28% de l’objectif final (6 700 €) et il reste deux petites semaines…

As-tu un dernier petit mot à passer à celles qui, comme toi, rêve de se lancer dans la réalisation mais craignent le manque de représentation des femmes dans ce milieu ?

A.B : Là, en direct de ma petite bulle de bonheur qui s’est créée autour du tournage, le conseil que je donnerais aux filles et pas seulement celles qui rêvent d’être réalisatrices, c’est juste : n’attend pas. Débrouille toi pour faire ce que t’as envie de faire. Si t’es sympa et si tu t’entoures des bonnes personnes ça marchera. Fonce en fait ! Fonce et ne recule pas. Surtout ne te pose pas trop de question ; si c’est évident pour toi, alors faut y aller.

Pour donner un petit coup de pouce financier au projet et lui permettre d’exister à l’écran : participer à la campagne de crowdfunding sur Ulule

Clotilde Boudet
Clotilde Boudet

Tu vois la meuf qui parle de cul hyper fort en terrasse en mettant parfois ses voisins méga mal à l'aise ? C'est moi. Je m'appelle Clotilde, j'ai 27 ans, je suis parisienne et journaliste spécialisée dans le lifestyle (le style de la life quoi).

A 17 ans je pensais être une rebelle et finalement, je suis devenue un vrai cliché : j'aime plus Paris, je jardine, cuisine, médite, voyage. J'aime mon chat (sauf à 5h du mat, les proprio de félins savent...). Mais SURTOUT, j'aime écrire et débattre et croire qu'avec pas grand chose, chacun à son échelle, on peut changer le monde.

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