« Le jeu de la dame » : l’ascension d’une jeune prodige

« Le jeu de la dame » est l’un des derniers gros succès de Netflix. La minisérie, titrée The Queen’s Gambit en version originale, retrace l’histoire de Beth Harmon, une jeune orpheline prodige des échecs, et son ascension au sein de ce milieu très masculin.

Affiche Le jeu de la dame Netflix
Photo : Netflix

L’intrigue, adaptée du roman éponyme de Walter Tevis publié en 1983, prend place dans les années 1950-1960 aux États-Unis. À travers sept épisodes de près d’une heure, on suit le destin extraordinaire de Beth. Placée très jeune dans un orphelinat après la mort de sa mère, la jeune fille découvre les échecs alors qu’elle surprend le concierge de l’établissement y jouer. Elle réussit à le convaincre de lui apprendre et ce dernier se rend vite compte qu’il fait face à une joueuse hors-norme. La série dépeint ensuite l’adolescence de la protagoniste alors qu’elle est introduite aux tournois d’échecs et à l’exaltation de la victoire.

Un personnage féminin haut en couleurs

Regarder évoluer Beth, brillamment interprétée par l’actrice Anya Taylor-Joy, est extrêmement satisfaisant. Protagoniste obstinée et indépendante, la jeune fille n’attend pas qu’on l’accompagne pour faire ce dont elle a envie. Son désir obsessionnel de jouer aux échecs et de devenir la meilleure joueuse de son temps est presque contagieux. Netflix nous propose ainsi une héroïne tenace, passionnée, qui ne doit son succès qu’à elle-même.

De la même manière qu’elle est accro aux échecs, Beth Harmon est aussi atteinte d’un certain nombre d’autres dépendances. On la voit consommer des tranquillisants depuis l’enfance, de l’alcool un peu plus tard, mais surtout, on constate que ce sont ces addictions qui l’empêchent de réaliser ses objectifs. Une morale que l’on pourrait juger un peu simpliste, mais un thème essentiel à l’histoire, qui vient ajouter de la profondeur à un personnage qui ne laisse transparaître que peu d’émotions. De plus, même si ce n’est pas évoqué dans la séries, certaines personnes soulèvent l’hypothèse que Beth est un personnage neuroatipique. C’est à dire qu’elle se situe sur le spectre de l’autisme. On a ainsi une représentation positive sur les écrans mais peut être un poil trop subtil. On aurait aimé s’y attarder davantage.

Quel regard sur le destin de la jeune prodige ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Beth Harmon a du style. Avec son carré roux, son regard intense et sa garde-robe qui devient de plus en plus chic à mesure qu’elle vieillit, l’héroïne a une identité visuelle soignée qui ajoute une prestance et une singularité au personnage. Son esthétique, accompagnée de sa tendance à l’emporter sur tous les hommes qui l’affrontent sur l’échiquier, en font une figure qui se rapproche de l’imaginaire de la “femme fatale”. A la différence près que Beth n’utilise à aucun moment son pouvoir de séduction pour parvenir à ses fins. Il est appréciable de constater que la lentille des réalisateurs Scott Franck et Allan Scott, ne sexualise pas la jeune femme.

La photographie et le scénario de la série ne s’inscrivent pas dans un male gaze. En d’autres mots, l’image n’est pas pensée pour satisfaire une vision masculine et hétéronormée. Le male gaze, par ses plans, ses dialogues ou bien les rapports entre ses personnages, impose un regard qui situe les hommes en position de pouvoir et les femmes en position d’objet. Dans « Le jeu de la dame », on constate que ce n’est pas le cas. L’héroïne est sujet et le regard qui est porté sur elle est rempli d’admiration et de fascination plutôt que de désir. À titre d’exemple, on voit souvent que le focus se fait sur le regard de la jeune femme pour mettre en avant l’aspect cérébral de son pouvoir.

Un souci de réalisme

Dire que Beth Harmon est perdue au milieu d’une foule d’hommes serait probablement une erreur. Loin de l’être, elle se démarque par son genre et son intellect qui semblent perturber tout le monde, sauf elle. Toutefois, si l’univers des échecs est dépeint avec fidélité, cette vision d’une jeune fille qui fait sa place dans le milieu sans recevoir de critiques misogynes est certainement utopique. Judit Polgar, championne d’échec originaire de Hongrie, salue la performance d’Anya Taylor-Joy, mais ne peut s’empêcher de penser que l’expérience de la protagoniste n’est pas en adéquation avec la réalité. « [ses adversaires masculins] étaient trop gentils avec elle », témoigne-t-elle pour le New York Times. La Hongroise, qui en a fini avec le milieu des échecs depuis 2014, a dû faire face à des remarques déplacées de ses confrères, et même des refus de lui serrer la main. À l’inverse, la joueuse Irina Krush, qui en est à son 8e titre de championne des États-Unis, se retrouve dans l’expérience de Beth. Pour elle, les hommes qui l’ont entourée l’ont toujours supportée.

Ce qui ne peut être débattu, en revanche, c’est le fait que les femmes sont sous-représentées au sein de cette discipline. Sur plus de 1700 grands maîtres internationaux, Polgar et Krush font partie des 37 femmes qui portent le prestigieux titre. On espère ainsi que la série en motivera plus d’une à faire avancer ses pions sur le plateau de 64 cases pour rééquilibrer la balance !

Marius
Marius

Moi c'est Marius, journaliste en herbe qui étudie le métier à l'Université du Québec à Montréal. Originaire de Touraine, j'ai aujourd'hui la chance d'étudier à l'étranger et de manger des poutines.

J'suis ton pote qui graille le dernier gâteau apéro sans scrupule, qui fait DJ en soirée et qui reproduit des TikToks un peu cringe. J'écoute jamais de podcasts mais j'aimerais vraiment en tenir un.
Pro-black, pro-queer, pro-hoe, procrastinateur et tous les autres.

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