Cinéma : où sont les réalisatrices ?

En septembre 2019, l’actrice, productrice et scénariste Geena Davis (la fantastique Thelma, de « Thelma et Louise »), déclarait au festival du cinéma américain de Deauville : « Les choses ne s’améliorent absolument pas pour les réalisatrices femmes. Les chiffres aux États-Unis sont en baisse ». Venue présenter le documentaire « Tout peut changer, et si les femmes comptaient à Hollywood ? », elle ajoutait :

En Amérique, seuls environ 4% des films produits sont réalisés par des femmes.

Une étude de l’Université de Californie du Sud (USC) publiée début 2020 a cependant démontré une légère augmentation : 11 % des 100 premiers films du box-office américain de 2019 étaient réalisés par des femmes (contre 4,5 % en 2018). Les réalisatrices racisées restant quant à elles complètement sous-représentées, avec moins d’1 % des 1 300 films couverts par l’étude (les 100 premiers du box-office annuel, sur 13 ans), contre 83 % pour les réalisateurs blancs.

11%. Triste constat, alors que l’on croyait l’industrie hollywoodienne en pleine mutation en cette ère post #MeToo. Mais alors, qu’en est-il en France ?

82 actrices, productrices, distributrices, techniciennes du cinéma sur les marches du Festival de Cannes, protestant contre le manque des réalisatrices récompensées depuis la création du festival, lors du 71ème Festival de Cannes, le 12 mai 2018. Seuls 82 films réalisés par des femmes ont sélectionnés en compétition depuis 1946 (contre 1688 films réalisés par des hommes). Photo : Loic Venance / AFP

Des chiffres accablants

Selon le rapport du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) sur « La place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle », 27% des films français ont été réalisés par des femmes en 2017, contre 21 % en 2008.

Pour Geneviève Sellier, professeure émérite en études cinématographiques à l’Université Bordeaux Montaigne, la situation n’a que peu évolué depuis les années 1990 :

C’est grâce aux mouvements féministes des années 1970 que les femmes ont pu émerger dans le monde de la réalisation mais depuis les années 1990, on est autour de 20% de films réalisés par des femmes et cela ne bouge quasiment plus.

Le CNC observe cependant qu’une nouvelle génération de jeunes réalisatrices de longs métrages s’est établie entre 2008 et 2017, et que 39 femmes ont ainsi réalisé au moins trois films durant cette période.

Iris Brey, critique, autrice et porte-parole du Collectif 50/50, le soulignait en mai 2019 :

On est encore loin de la parité. Je me réjouis que 26% de femmes soumettent leurs films, mais je pense que ce n’est vraiment pas assez. Il faut que plus de femmes aient les moyens de faire leurs films et osent les soumettre. Je m’interroge aussi sur ce qui se passe entre les écoles (où les étudiantes en cinéma sont à parité) et le passage à l’acte. Où est-ce que les femmes disparaissent ?

Et la télé, alors ?

Et si l’on observe de plus près la réalisation de fictions pour la télé, les chiffres dégringolent. Une étude de 2020 menée par les équipes de la Recherche de l’INA, et en collaboration avec l’association « Pour les Femmes dans les Médias », a montré que seulement 12 % des fictions diffusées sur les chaînes de télé entre 2008 et 2018 avaient été réalisées par des femmes. Pourquoi une telle différence entre la télévision et le cinéma ? Pour Geneviève Sellier :

La réalisation à la télévision française est une chasse gardée masculine à un niveau que l’on n’imagine pas. On est dans un système de cooptation qui exclut systématiquement les femmes sous prétexte que l’on n’est jamais sûr qu’elles pourront maîtriser les équipes, ces stéréotypes habituels sur l’incapacité des femmes à commander des hommes ou commander des groupes, ce qui permet de continuer à les exclure.

Contre toute attente, on constate également une plus forte proportion de fictions réalisées par des femmes sur les chaînes privées que sur les chaînes publiques (15 %, contre 9 %). En revanche, la part de documentaires réalisés par des femmes est en forte hausse, avec 45 % des longs métrages documentaires produits en 2019, contre 27 % en 2010.

Table ronde sur la diversité au cinéma, animée par Iris Brey, porte-parole du Collectif 50/50. De gauche à droite : Dr Iris Brey, Alice Diop, Laurence Lascary, Carole Bienaimé Besse, Dame Heather Rabbatts, Me Isabelle Laratte.
Festival de Cannes, 17 mai 2019. Photo : Eric Bonté

Où les femmes disparaissent-elles ?

Rappelons qu’en 2016, selon un rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, les écoles de cinéma formaient une majorité de femmes (55% des élèves), et que 44% des personnes diplômées à la réalisation étaient des réalisatrices. Une fois leur diplôme en poche, ces réalisatrices sont cependant rémunérées 42% de moins que leurs pairs masculins, en salaire horaire. 

Représentation des femmes dans le cinéma français, les chiffres. Source : Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes

Elles font face à des sociétés de production très majoritairement dirigées par des hommes (79% en 2014), reçoivent moins de budget, moins de subventions et sont moins programmées. Selon le CNC, le budget des films réalisés par des femmes reste en effet bien inférieur à celui des films réalisés par des hommes : sur la période 2008-2017, il était 1,7 fois moins élevé.

De plus, « le coût moyen de distribution des films réalisés par des femmes est d’un tiers inférieur à celui des films réalisés par des hommes ». En cause, des sorties en salle plus réduites pour les films réalisés par des femmes : toujours entre 2008 et 2017, « les films réalisés par des femmes [sortaient] en moyenne dans 118 établissements en première semaine, contre 170 établissements pour ceux réalisés par des hommes ».

Mais alors, comment faire évoluer la place des femmes dans la réalisation cinématographique ? Et dans le monde du cinéma de manière plus générale ?

Le Collectif 50/50

C’est une question sur laquelle travaille le Collectif 50/50, qui « œuvre à la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel, avec la conviction qu’ouvrir le champ du pouvoir favorisera en profondeur le renouvellement de la création ». Créé début 2018, dans le sillage de l’affaire Weinstein, ce collectif regroupe à présent plus de 1500 professionnelles du cinéma.

Il est à l’origine de trois chartes d’engagement : la Charte pour la parité et la diversité dans les festivals de cinéma, la Charte pour l’inclusion dans le cinéma et l’audiovisuel, et la Charte pour la parité et la diversité dans les sociétés d’édition-distribution de films et d’exploitation cinématographique . Des Assises pour la parité, l’égalité et la diversité sont d’ailleurs organisées par le collectif chaque année depuis 2018.

En novembre 2020, le discours féministe de la comédienne et cinéaste Agnès Jaoui n’a pas manqué d’interpeller la profession et le grand public. Si vous l’avez manqué, le voici.

Le collectif propose différentes études, dont l’observation de l’ensemble des nommées et césarisées sur les 42 dernières cérémonies des César. Cette étude révèle que sur les 219 personnes nommées dans la catégorie « César de la meilleure réalisation » entre 1976 et 2017, seulement 21 sont des femmes (10%). Quant aux césarisées, c’est bien simple, il n’y en a eu qu’une : la regrettée Tonie Marshall, pour « Vénus beauté (institut) » (2000). A noter que la récompense en question était intitulée « César du meilleur réalisateur » jusqu’en 2016.

Le regard féminin

Une autre étude concerne l’analyse des 49 films les mieux financés en 2019 au travers du fameux test de Bechdel. Pour rappel, pour réussir ce test, un film doit répondre à trois conditions plutôt simples : deux femmes sont nommées dans le film, ces femmes parlent entre elles, et elles parlent d’autre chose que d’un homme. Sur ces 49 films, dont 14% étaient réalisés par des femmes, 52% échouent au test de Bechdel.

Pourtant, la représentation des femmes au cinéma et sur les écrans influence notre perception de la réalité. C’est d’ailleurs un angle largement abordé par l’universitaire et critique cinématographique Iris Brey, autrice d’une thèse sur la « représentation des mères déchaînées dans le cinéma français contemporain ». Dans son essai « Le regard féminin – Une révolution à l’écran » (Éd. de l’Olivier), Iris Brey interroge la façon dont les femmes ont été filmées à travers l’histoire du cinéma, et théorise le concept de « regard féminin ». 

Comme expliqué dans un précédent article de Meufer, il s’agit d’une façon de filmer les femmes sans les objectifier, en opposition au « male gaze ». Bien sûr, le male gaze n’est pas l’apanage des réalisateurs hommes, ni le female gaze celui des réalisatrices. Mais accéder à davantage de parité derrière la caméra, promouvoir et récompenser davantage de réalisatrices, c’est aussi permettre une évolution de la représentation des femmes à l’écran. Une quête de diversité qui s’étend d’ailleurs au-delà du genre.

Et pourtant, elles tournent

Quelques initiatives se développent ces dernières années, avec pour objectif d’insuffler de la parité et de la diversité dans le cinéma français. Parmi elles, le concours « Et pourtant elles tournent », lancé par ARTE afin de permettre aux réalisatrices de s’exprimer « sans être circonscrites aux sujets ou aux problématiques « féminines ».

Pour sa première édition, ce concours du court-métrage documentaire au féminin a pour thème « Besoin de personne », et les candidates ont jusqu’au 15 mars 2021 pour envoyer leur documentaire, d’une durée comprise entre 7 et 12 minutes. A la clef, la diffusion des cinq meilleurs films sélectionnés sur ARTE et ARTE.TV. Mais aussi un contrat de développement pour un projet de documentaire de 52 min pour le 1er prix, et une somme de 3000 euros pour le 2ème prix.

Une initiative encouragée par Meufer, et dont les règles sont à retrouver ici. Alors, avis à nos lectrices passionnées de cinéma et de réalisation, lancez-vous !

Daphné V.
Daphné V.

Scientifique le jour, littéraire la nuit, je suis férue de lecture, d'arts et d'écriture.

Fraîchement débarquée à Nantes après 5 ans à Washington D.C. J'aime le ping-pong, les concerts et les apéros en terrasse. Toujours un podcast à te conseiller.

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