“Un Bébé Si Je Peux” : une BD qui lève le tabou de l’infertilité

En France, un couple sur cinq est infertile. Dans un cas sur quatre, la cause de l’infertilité reste inexpliquée. A ne pas confondre avec la stérilité, l’infertilité concerne les couples qui ont des difficultés à concevoir. Avec sa BD Un Bébé Si Je Peux, la journaliste Marie Dubois propose un « voyage en Infertilité » : une contrée méconnue, dont le relief en forme de montagne russe rend la traversée difficile, parfois même impossible. Un pays que Marie Dubois connaît bien puisqu’elle y a passé 7 ans de sa vie…

Un Bébé Si Je Peux, c’est d’abord un témoignage intime que nous livre Marie Dubois sur sa propre expérience de l’infertilité. Pendant 7 ans, l’autrice a connu l’échec à répétition des inséminations artificielles, les piqûres aux hormones, les faux espoirs et les consultations gynécologiques à gogo … Avec humour et tendresse, ce sont toutes les étapes de son propre parcours, depuis le diagnostic de son infertilité à la réussite de sa PMA, qu’elle a retracé dans cette bande dessinée aux couleurs minimalistes.

Un problème de santé publique

C’est aussi une véritable enquête journalistique à la première personne que signe Marie Dubois, en convoquant de nombreux·ses expert·es pour s’attaquer aux sujets les plus tabous comme l’impact des perturbateurs endocriniens sur la fertilité. Depuis 1950, le taux de fécondité mondial a baissé de moitié, et pourtant, l’infertilité reste un sujet peu médiatisé et largement ramené à la sphère privée. À cause du manque d’information, les couples infertiles sont la cible d’idées reçues culpabilisatrices comme « C’est dans ta tête ! » ou « Tu es trop stressé·e, détends toi ! ».

L’autrice dépeint avec brio la pression exercée par une société qui peine à regarder en face le problème de l’infertilité et préfère éluder la question en en faisant un trouble psychosomatique. Avec cette bande dessinée pédagogique et informative, Marie Dubois démonte ces clichés, en montrant comment l’infertilité est en réalité un problème de santé publique à grande échelle.

Une BD féministe

En partant de son point de vue de femme infertile, l’autrice pose également un regard féministe sur le sujet en soulevant par exemple la question des discriminations professionnelles : on apprend notamment qu’une femme sur trois reporte ou renonce à son projet d’enfant pour des raisons professionnelles. La journaliste explique que le délai entre le premier emploi et la fin de l’âge de procréer est très court, ce qui fait que l’âge est la première cause d’infertilité en France. A cause du sexisme dans le monde professionnel et de l’insécurité économique qui en découle, les femmes repoussent le moment d’avoir des enfants et s’y prennent parfois tardivement. Il y a donc des explications que l’on pourrait qualifier de « systémiques » au problème de l’infertilité, d’où l’importance de prendre aussi en compte les considérations féministes pour aborder la question.

Violences Gynécologiques

Autre point lié au féminisme, la question des violences gynécologiques. Soumises à de très nombreux examens, les femmes infertiles sont de fait plus concernées par ces violences. La journaliste a rassemblé des témoignages en un florilège glaçant, qui pointe le retard de la médecine sur les questions de consentement et de respect du corps. Plus largement, elle retranscrit avec justesse cette impression de perte de contrôle et de dépossession de soi qui survient lorsqu’on met le pied dans l’engrenage de la Procréation Médicalement Assistée (PMA): « Le plus dur, c’est le manque d’explication. On me dit juste quoi faire, comme à une enfant. »

Une souffrance indicible

Un Bébé Si Je Peux , c’est aussi l’expression du désir brûlant d’être parent, et de la souffrance qui peut en ressortir en cas d’échec. Peu considérée par les médias, l’autrice montre pourtant à quelle point cette douleur est présente et peut entraîner de graves troubles dépressifs chez les personnes qui n’arrivent pas à avoir d’enfant. Une souffrance qui se passe parfois de mots, et que Marie Dubois retranscrit mieux dans ses dessins, où elle se représente, sombrant dans les abysses d’une mer sans fond ou bien errant dans un désert d’incertitude. C’est lorsque ces émotions sont trop violentes que le soutien des proches, de l’entourage et surtout du/de la partenaire sont importants, car l’infertilité ne se combat pas seul·e. C’est tout au moins une aventure à deux, au mieux un cheminement collectif, à condition de se défaire des idées reçues pour aider la personne à traverser dignement le pays chevronné et inhospitalier de l’infertilité.

Pression sociale et violence médicale, mais aussi histoire d’amour, désir et happy end sont les ingrédients de cette superbe bande dessinée sur le thème de l’infertilité. Le tout saupoudré d’une bonne dose d’humour, Marie Dubois a su rendre accessible un sujet tabou et complexifié par le jargon médical. Une BD utile et profondément humaine.

Scandola Graziani
Scandola Graziani

Étudiante en journalisme, je m’intéresse aux sujets liés au féminisme et à l’environnement, dans une démarche de journalisme d’investigation. Je suis aussi correspondante à Ouest-France depuis 3 ans.

J’ai choisi cette voie parce que je pense que les médias ont un le pouvoir de faire évoluer les mentalités. Et j’y crois !

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