Moi les hommes, je les déteste c’est le titre de l’essai féministe de Pauline Harmange, sorti le 19 août 2020 aux éditions Monstrograph. Pour reprendre les mots de l’autrice, « c’est un livre qui aurait dû être lu par 200, 300 personnes max », pourtant, ce petit ouvrage à la couverture violette est au cœur d’une polémique après qu’un fonctionnaire d’État a tenté de le censurer.
Une volonté d’effacer un discours féministe
Après la lecture du titre et de la quatrième de couverture du livre, Ralph Zurmély, Haut fonctionnaire chargé de mission au ministère délégué à l’Égalité femmes-hommes, juge le contenu de l’œuvre inapproprié à la vente.
Il s’empresse ainsi de rédiger, le jour de sa sortie, un courriel à Martin Page et Coline Pierré, fondatrices de la maison d’édition associative Monstrograph, publiant bénévolement des livres à un public restreint, pour les mettre en garde : « Ce livre est de toute évidence, tant au regard du résumé qui en est fait sur votre site qu’à la lecture de son titre, une ode à la misandrie (= haine des hommes). Or, je me permets de vous rappeler que la provocation à la haine à raison du sexe est un délit pénal ! En conséquence, je vous demande d’immédiatement retirer ce livre de votre catalogue sous peine de poursuites pénales. » rapporte le journal Mediapart qui a eu accès à l’échange.

L’auteur de cette menace est, dans le jargon administratif, un « chargé de mission accès aux droits » au « Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie personnelle et sociale (B2) » à « la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) » du « ministère délégué à l’égalité femmes-hommes, à la diversité et à l’égalité des chances ».
Or, ce statut, dont est signé son mail, ne lui donne en aucun cas l’autorité pour faire pression sur la maison d’édition. Les équipes d’Élisabeth Moreno, la ministre déléguée à l’égalité femmes-hommes, à la diversité et à l’égalité des chances, contactées par Mediapart, ont assuré qu’« il s’agit d’une initiative personnelle et totalement indépendante du ministère. En aucun cas, elle n’engage le ministère ».
Lorsque le journal Mediapart l’approche, Ralph Zurmély maintient ses positions, se justifiant en brandissant l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende toute provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ».
Il ajoute « Pour l’instant je n’ai pas encore transmis au procureur de la République, dans l’attente que l’éditeur procède de lui-même au retrait définitif dudit livre de son catalogue (livre sorti le 19 août dernier et pour l’instant indiqué comme… “épuisé”). Si l’éditeur persiste néanmoins à proposer ce livre à la vente, il se rend directement complice dudit délit et je me verrais alors obligé de transmettre au parquet pour poursuites judiciaires. Le parquet appréciera des suites qu’il conviendra de donner à cette affaire. »
Pour Coline Pierré et Martin Page, cette réaction est à la fois ridicule et alarmante, dans la mesure où elle vient porter atteinte à la liberté d’expression.
D’après les propos de l’éditrice à Mediapart « Ce livre n’est pas du tout une incitation à la haine. Le titre est provocateur mais le propos mesuré. C’est une invitation à ne pas s’obliger à fréquenter les hommes ou à composer avec eux. À aucun moment l’autrice n’incite à la violence. ». Son collègue s’en indigne également,
C’est insensé de laisser penser que les hommes seraient blessés par un tel livre. Les femmes ne font pas régner un climat de terreur ! Accueillons la parole des personnes qui subissent des oppressions. Il ne faut pas oublier que la misandrie est avant tout une réponse à la misogynie.
Une polémique qui donne de la visibilité au livre
Malgré leur décision de ne pas retirer le livre des ventes, la maison d’édition sait qu’en cas de procès, elle n’aura pas les moyens de financer un avocat.
Mais suite à l’intérêt grandissant que suscite l’ouvrage, et l’incapacité pour la microstructure de le distribuer à une plus grande échelle, l’autrice Pauline Harmange a partagé sur son Instagram que le livre sera réédité dans une maison d’édition avec davantage de moyens.
À ce jour, Monstrograph aura vendu près de 2 500 exemplaires dans les deux semaines qui ont suivi sa sortie, avant de devoir mettre fin à sa distribution.
Malheureusement pour l’autrice, la popularité de l’œuvre s’accompagne de nombreuse réponses non-constructives et d’insultes, qu’elle s’amuse parfois à partager sur les réseaux sociaux.
Un essai féministe et misandre
Quand on se penche sur la lecture de ce livre, on apprend que l’autrice définit la misandrie comme « un sentiment négatif à l’égard de la gente masculine dans son ensemble ».
L’objectif de cet essai qui se revendique misandre est donc de valider et rendre légitime ce mépris envers les hommes que les femmes peuvent éprouver, de la simple exaspération, au dégoût le plus intense. « Je revendique la misandrie, je la pratique, mais c’est une haine passive, on ne va pas prendre les armes ! » explique Pauline Harmange.
Dans une entrevue donnée à GQ magazine, l’autrice s’exprime :
Face à l’injustice, la colère est une réponse saine et nécessaire dans laquelle on puise l’énergie pour se battre. Donc je veux montrer qu’être en colère ce n’est pas le bout de la route. Au contraire, c’est le tout début, on s’émancipe d’abord en reconnaissant qu’on est en rogne, et qu’on a de bonnes raisons de l’être.
L’écrivaine est par ailleurs dans une relation hétérosexuelle et ne s’en cache pas puisque cette situation ne remet pas en question ses propos. On retrouve dans le sommaire du livre un chapitre intitulé « Maquée avec un mec » qui aborde le sujet.
Finalement, cet essai constitue principalement une invitation à la sororité, l’adelphité et à la libération d’un système de pensée basée sur l’approbation masculine.
« En tout cas, mon but n’est pas de vexer les hommes. Ils se vexent très bien tout seuls » témoigne-elle.