Dans La fille dans l’écran, Manon Desveaux et Lou Lubie, deux autrices et dessinatrices françaises, racontent l’histoire de deux femmes dont les vies vont être bouleversées par leur rencontre virtuelle. Un récit qui chamboule et qui met du baume au cœur.
Publié en 2019 chez Marabout, La fille dans l’écran semble être passé inaperçu dans la sphère féministe comme référence en matière de relation queer. BD construite à quatre mains, ce sont deux tranches de vie qui se mêlent à travers une romance naturelle et spontanée entre deux femmes cis. Ce roman graphique est atypique dans sa forme : les styles ne se mélangent pas. Chaque autrice travaille indépendamment sur ses planches, l’une depuis le Québec, l’autre depuis la France, pour la majeure partie de l’écriture.
Deux autrices, deux styles, une histoire commune
Lorsqu’on voit deux noms sur la couverture, on pourrait s’attendre à voir le travail d’une scénariste et celui d’une illustratrice. Et ce n’est absolument pas le cas, pour le plus grand bonheur des yeux.
Les pages de gauche sont écrites et dessinées par Manon Desveaux en noir et blanc et racontent l’histoire de Coline, une dessinatrice de 20 ans vivant en France. Pour les pages de droite, il s’agit du travail coloré de Lou Lubie qui nous parle de Marley, une barista de 27 ans ayant abandonné sa passion pour la photographie et qui habite au Québec.
Le style y est à la fois détaillé et simple, ce qui permet de se concentrer sur l’histoire ou de prendre le temps d’admirer chaque planche. La collaboration de Manon Desveaux et de Lou Lubie, tant sur le scénario que sur la partie graphique, offre un résultat plein d’émotions, d’une grande vraisemblance et d’une grande douceur.

L’hétéronormativité cliché
Coline est une jeune femme qui souffre d’anxiété et de phobie sociale. Elle vit avec ses grands-parents, dans la campagne autour de Périgueux. Rêvant de devenir illustratrice, elle travaille sur un projet de livre illustré. Alors qu’elle fait des recherches pour trouver l’inspiration, elle découvre par hasard de vieilles photos de Marley sur internet. Subjuguée par les photos, Coline contacte la photographe pour obtenir sa permission pour les utiliser comme référence.

De son côté, Marley est une française expatriée au Canada depuis plusieurs années. Son appareil photo est rangé depuis bien longtemps dans des cartons. Son emploi du temps se divise entre son travail de barista, ses contacts avec sa famille et ses amis outre-Atlantique et sa relation avec son petit ami québécois. Ce dernier a d’ailleurs une vision très précise de la vie qu’il veut pour iels deux : un travail stable qui rapporte de l’argent, un crédit au meilleur taux pour l’achat d’un appartement, et du temps seul pour lui avec ses ami·e·s.

Cette rencontre, qui va bouleverser ces deux femmes, est le fruit d’une coïncidence, presque anodine. Elles échangent autour des photos de Marley, puis du projet de Coline. Petit à petit, une complicité se crée entre les deux protagonistes, les rapprochant l’une de l’autre. Elles se livrent de plus en plus, apprennent à se connaître et deviennent amies.

Que ce soit Marley ou Coline, aucune de ces deux femmes ne semblent penser, à un seul instant, que la relation puisse être romantique. La distance, évidemment, complique les choses, mais c’est plutôt l’hétéronormativité qui semble tenir cette idée à l’écart. Si on n’a jamais pensé qu’on peut être autre chose qu’hétéro, il est difficile de se rendre compte de ses propres sentiments, surtout dans une société hétérocentrée et par trop souvent homophobe.
Le regard posé sur deux personnages touchants et les prémices de leur relation fait l’effet d’une bouffée d’oxygène, mais peut également se révéler révélatrice pour certain·e·s. Beaucoup de tendresse se dégage de cette histoire paisible.
Phobie sociale et relation toxique en filigrane
La Fille dans l’écran aborde également d’autres sujets en toile de fond. Coline a dû arrêter ses études à cause de sa phobie scolaire, de son anxiété et semble également souffrir de phobie sociale généralisée. Une partie de sa famille attend d’elle qu’elle fasse des études, alors qu’elle souhaite poursuivre ses propres rêves.

Marley vit avec son compagnon, sur le papier parfait. Mais comme la famille de Coline, il pousse Marley à faire des choix qui lui conviennent à lui, tout en ignorant même par moment de la respecter en tant que personne. La photo n’est qu’un hobby insignifiant auquel elle devrait renoncer facilement.

Chaque femme, en dehors de la romance, va également pousser l’autre à aller de l’avant, ou à se souvenir de ce qui compte vraiment. C’est un roman graphique qui est à la fois intéressant, simple, tendre et feel good. Une lecture facile, appropriée à tou·te·s, et qui pourrait même être comparée à un de ces films de Noël kitsch, en mieux.