Unplanned et désinformation : qu’en est-il vraiment de l’IVG ?

Entre le Heartbeat Act promulgué le 1er septembre au Texas et la diffusion cet été du film mi-navet mi-daube Unplanned, le sujet de l’IVG est revenu sur la table. Avec Potiches, nous revenons sur ce à quoi consiste réellement un avortement en France en parallèle de ce qui nous est présenté dans le film de Cary Solomon et Chuck Konzelman.

Lundi 16 août, le film Unplanned est diffusé en prime time sur C8. Un film ouvertement anti-IVG qui avait divisé les Etats-Unis à sa sortie en 2019. Le long-métrage est produit par la société de production évangéliste Soli Deo Gloria (A la Gloire de Dieu) et a engrangé 15 millions de dollars de bénéfices. Avant même sa diffusion sur la chaîne française, la toile s’était déchirée sur ce choix éditorial problématique à l’opposé de la politique française sur l’avortement. Après ce remue-ménage pré-diffusion, le film a attiré 304 000 téléspectateurices et une pluie de signalements au CSA

Marlène Schiappa et Elisabeth Moreno se sont prononcées contre l’initiative de la chaîne du groupe Bolloré de diffuser un tel film. 

La ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes avait caractérisé le film d’”outil de propagande anti-avortement abjecte” alors même que l’IVG est un “droit fondamental” et “inaliénable pour toutes les femmes”. 


Des réactions bienvenues alors même que l’IVG/IMG avait fait polémique  il n’y a pas si longtemps, au moment du vote en juillet 2021 en faveur de la loi bioéthique.

Pourtant, résumer Unplanned et surtout C8 à ces polémiques serait réducteur. Si l’on se penche un peu plus sur ce que dit la loi française, le groupe Bolloré pourrait être accusé de délit d’entrave. Ce délit pénal, puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 7 500e d’amende, consiste à toute action positive ou négative qui empêche l’accès à un droit légal. Ici on parle de délit d’entrave à l’IVG. Reconnu par la loi depuis 2017, le délit d’entrave à l’IVG c’est « désinformer sur les pratiques et possibilité de l’avortement » selon le site LégiFrance. Un point important qui peine à être reconnu devant un tribunal malgré des faisceaux de preuves (le flot de signalements auprès du CSA lors de la diffusion d’Unplanned par exemple).

Une vraie daube cinématographique

Capture d’écran du film Unplanned – Pinnade Peak Pictures – TerraFemina

L’histoire de Unplanned est inspirée de la vie d’Abby Johnson racontée dans son livre publié en 2010 sous le même titre. On y suit le parcours de cette jeune femme texane, issue d’une famille évangéliste profondément contre l’avortement, qui s’est retrouvée embrigadée à la fac pour travailler bénévolement dans un Planning Familial. Après 8 ans de bons et loyaux services dans le centre, Abby assiste à une scène d’avortement surréaliste qui la traumatise (elle voit sur l’échographie le foetus se débattre). Elle décide alors de passer de l’autre côté de la barrière et de rejoindre les évangélistes “pro-vie” qui passaient leurs journées à prier devant la grille du centre.

Au-delà de cette histoire qui donne un peu la gerbe, le film est pétri (on s’en serait douté) de sexisme et de mensonges tous plus gros les uns que les autres. Si les plus averti·es d’entre nous sauront faire la part de vrai et de faux, il est important de remettre ce film en perspective.

L’IVG en France, une réalité bien différente

C’est un film à la Dracula. On hésite entre le fantastique et le réel. Ici, le parti pris est bien de l’ordre du film fantastique.” C’est en tout cas l’avis d’Annie Carraretto, militante et co-présidente du Planning Familial (PF) de Bordeaux. Droit législatif entré en vigueur en 1975 grâce à la loi Veil, l’avortement est possible en France jusqu’à 9 semaines par voie médicamenteuse et 14 par intervention médicale. Nous vous proposons de revenir ensemble sur quelques scènes marquantes du long-métrage.

  • Un foetus qui se débat pour éviter d’être aspiré lors d’un avortement

C’est la première scène du film, dans une salle d’opération une jeune femme se fait avorter par aspiration (pratique courante dans le monde médical :ndlr: méthode de Karman). Sur l’échographie on voit un foetus qui se débat avant d’être aspiré. Un plan qui peut être soit largement traumatisant pour des personnes non-informées soit à mourir de rire pour un public plus averti. La co-présidente du PF de Bordeaux insiste quant à elle sur l’appellation “amas de cellule” pour parler de foetus. “L’IVG par aspiration peut être brutal pour la femme qui le pratique, mais il n’y a pas de formation de conscience à ce stade”. Donc, NON il ne va pas se débattre et NON il n’a pas de conscience propre.

  • Des femmes qui sont livrées à elles-mêmes après une IVG 

Des salles de réveil aseptisées, quelques chaises en métal, des infirmières qui n’adressent pas un mot aux patientes après avoir distribué une barre de céréales… L’ambiance post-opératoire de Unplanned fait froid dans le dos. Un aspect encore bien loin de la réalité selon Annie Carraretto : “Nous accompagnons le choix des patientes dans un cadre de libre écoute. Les femmes en France sont accompagnées jusqu’au bout même si chacune choisit comment faire” et ce jusqu’à 15 jours après un avortement, qu’il soit médicamenteux ou instrumental (chirurgical). Un numéro vert d’urgence national est disponible 24h/24* et une ligne de conduite ainsi qu’une ordonnance sont distribuées. La militante précise toutefois que si une expérience avec un·e médecin ou un centre s’est mal passée, il est toujours possible de faire un retour auprès de son ou sa gynécologue, d’un centre de planification ou du PF. 

  • C’est le Planning Familial qui décide à partir de combien de semaine il est possible d’avorter

Maintenant nous allons passer à 24 semaines de grossesse”, clame tranquillement Cheryl, la CEO du Planned Parenthood américain, devant une assemblée de bénévoles et praticiennes de santé. Bon là, on t’avoue qu’on a pas mal rigolé quand on a assisté à cette scène. En France, comme aux Etats-Unis et comme partout ailleurs dans le monde, le délai légal possible d’IVG est fixé en fonction de la loi d’un pays. Point à la ligne. 

Pour Annie Carraretto, “On empêchera pas quelqu’un d’avorter”. Avant sa législation, les “faiseuses d’anges” exerçaient déjà dans un coin sombre d’appartement, ce qui amenait à de nombreux avortements à risque, “Dans le monde, une femme meurt toute les 9 minutes d’un avortement clandestin”. La seule solution pour la militante est sa légalisation dans tous les pays.


*0800 08 11 11 : numéro vert national “Sexualité, contraception, IVG”

Jade Bourgery
Jade Bourgery
Co-fondatrice de Potiches, j'ai fait l'école de journalisme de l'ESJ, travaillé pendant un an à Mediapart et je pige pour plein de médias très cool. Mes dadas : les inégalités femmes/hommes, l'écologie et le monde du streaming. En secret, je suis passionnée de polar, j'écoute en boucle "Holding out for a hero" de Bonnie Tyler et je suis tatouée de partout.

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