En 2008, la chercheuse féministe afro-américaine Moya Bailey emploie pour la première fois le terme “misogynoir” pour parler du traitement très spécifique que les médias réservent aux femmes noires aux Etats-Unis.
Reposant sur la théorie de l’intersectionnalité, la misogynoir met en avant le fait que les différentes identités sociales, ici être une femme et être noire, se nourrissent au sein d’un système d’oppression. Dans ce contexte, les femmes noires sont victimes de discriminations spécifiques, à la fois sexistes et racistes.
Apparition du terme
Moya Bailey, à qui l’on doit le terme, insiste sur le fait que la représentation et le traitement des femmes noires dans nos société est spécifique à leur couleur de peau, et se ressent particulièrement dans les médias : « Le terme est utilisé pour décrire les façons uniques dont les femmes noires sont marginalisées dans la culture populaire. Ce que vivent les femmes noires dans l’espace public est incomparable avec le quotidien des autres femmes, quelle que soit leur couleur de peau. C’est particulier et concerne les façons dont le racisme anti-noir et la misogynie se combinent pour dénigrer les femmes noires dans le monde. ».

Hypersexualisation, “angry black woman”, “sauvage”, “mama africaine”… En plus d’être sous-représentées, les femmes noires doivent faire face à des clichés bien ancrés dans la culture populaire.
A voir : l’épisode de l’InConfortable consacré à la misogynoir
Misogynoir et représentations médiatiques
Et il ne faut pas chercher bien loin pour trouver des exemples. Récemment élue à la vice-présidence des Etats-Unis, Kamala Harris est victime de misogynoir.
Depuis sa nomination en tant que colistière de Joe Biden, une étude de Times UP Now révèle que “25% de la couverture médiatique autour du sénateur Harris contiennent un langage qui évoque des stéréotypes racistes et sexistes”. Si on élargit aux commentaires nondiscriminants, ce sont plus de 60% des publications à propos de Kamala Harris qui évoquent son genre ou sa couleur de peau.
En France, les rares femmes politiques noires médiatisées sont systématiquement victimes de misogynoir. On se souvient de la “fiction politique” de Valeurs Actuelles en août 2020 qui dépeint la députée LFI Danièle Obono en esclave.
Les nombreux tweets concernant la tenue et la coiffure de Sibeth Ndiaye, après sa nomination en tant que porte-parole du gouvernement.
Ou encore les nombreuses injures qui comparent Christiane Taubira à un “singe”, comme le journal d’extrême-droite Minute qui titrait une photo de l’ancienne garde des sceaux en Une “Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane”.
Au-delà de la politique, les artistes noires sont également victimes de propos misogynoiristes, proportionnellement à leur couverture médiatique.
En janvier, le journal Fakir publie une caricature de Aya Nakamura, comparant la chanteuse à une “actrice porno” que le journaliste a “envie de tuer”.
Victime d’une vague de commentaires haineux en ligne, l’actrice Lashana Lynch a dû désactiver ses profils sur les réseaux sociaux quelques jours après l’annonce de son rôle en tant que nouvelle agente 007.
Même son de cloche pour Lous & the Yakuza lors de l’annonce d’une collaboration avec la rappeuse belge Shay : une avalanche de commentaires racistes et sexistes sur les réseaux.
Si l’on parle là de femmes noires médiatisées, n’oublions pas que, dans nos sociétés majoritairement blanches, le traitement médiatique des femmes noires en dit long sur les discriminations qu’elles vivent au quotidien.
Pour aller plus loin :
- Le compte Instagram @tetonsmarrons
- Le compte Instagram @decolonisonslefeminisme
- Le compte Instagram @femmesnoirevs_datingapps
- Le compte Instagram @thegreatunlearn, par Rache E. Cargle (en anglais)
- Le blog de Moya Bailey (en anglais)
- La vidéo “Racisme et sexisme en politique, la députée Danièle Obono réagit aux commentaires sur Sibeth Ndiaye”