A l’ère du « féminisme washing », les marques de fast fashion comme les grandes maisons exposent leur féminisme comme moyen de communication. Mais quelle est la place de cette industrie aux multiples diktats dans les luttes pour les droits des femmes ? Alliée ou fausse-amie ?
La robe, histoire d’une libération

XIVème siècle en France, époque sombre de famine et de guerre durant laquelle la mode n’est qu’un truc de bourgeois.es. La coquetterie touche tous les genres et d’ailleurs, côté maquillage ce sont les hommes qui sont les plus accros ! Corsets, jupons, armatures, tissus qui recouvrent les pieds… Les femmes quant à elles s’engoncent dans des tenues froufroutées et sont contraintes à une beauté immobile. Des codes esthétiques qui évoluent pour le pire à en croire le témoignage du chirurgien Ambroise Paré qui, deux siècles plus tard, relate l’autopsie d’une dame de cour. Parce que la mode était au corps grêle et bien dessiné, elle « se faisait serrer de sorte que je trouvais les fausses côtes (les côtes flottantes, ndlr) chevauchant les unes par-dessus les autres qui faisaient que son estomac étant pressé ne pouvait s’étendre pour contenir la viande, et après avoir mangé et bu, était contrainte de le rejeter, et le corps n’étant nourri devint maigre. »
L’habit court masculin est opposé à l’habit long féminin. C’est l’insensible différence entre l’homme confronté au travail et la femme confrontée au décor, les unes vers l’esthétique, les autres vers la fonctionnalité.
GEORGES VIGARELLO, HISTORIEN
Le siècle des Lumières, sans pour autant apporter de réel répit aux corps féminins, offre de l’extravagance au style. Durant la Régence de Philippe d’Orléans, les dames veulent être plus désirables et la « robe à panier » fait son apparition.

Si le corset à baleines emprisonne toujours la taille, les paniers apportent du volume aux hanches et surtout, laissent apparaître les pieds (chose impensable avant cette époque). Les hanches, atout majeur de séduction qui vous établit tout autant en femme désirable qu’en porteuse d’enfant, deviennent faussement plantureuses et l’espace créé par le panier entre le corps de la femme et sa robe échaudent les esprits. D’ailleurs, l’Encyclopédie de 1765 révèle dans sa définition le scandale que fit naître au départ cet accoutrement :
Panier, (Mode) : Ce vêtement a scandalisé dans les commencements : les ministres de l’Eglise l’ont regardé comme un encouragement à la débauche, par la facilité qu’on avait au moyen de cet ajustement, d’en dérober les suites. Ils ont beaucoup prêché ; on les a laissé dire, on a porté des paniers, et à la fin ils ont laissé faire.
Les mœurs s’assouplissent donc, mais cette robe à panier reste un moyen d’imposer des normes à la silhouette des femmes… Des normes qui, comme souvent, deviennent excessives. Certains paniers sont si larges, ressemblant à des ailes de chauve-souris géantes qui auraient poussé du bassin de ces dames, qu’elles peuvent s’en servir comme accoudoir ! Malheureusement, c’est le seul confort qu’offre cette robe encombrante qui rendait difficile tout mouvement.
1789, la Révolution s’opère aussi dans nos garde-robes
Quatre siècles plus tard, la Révolution marque un tournant dans l’histoire de l’émancipation des femmes, notamment avec La Marche des femmes sur Versailles en octobre 1789. Les femmes réalisent qu’elles peuvent affirmer leurs opinions et (re)prendre le pouvoir de leur corps, de leur vie… Et de leur garde-robe ! Sous le régime de la Convention nationale – qui gouverne la France entre 1792 et 1795 et est à l’origine de la Ière République – il est décrété que « nulle personne de l’un ou l’autre sexe ne pourra contraindre aucun citoyen ni citoyenne à se vêtir d’une manière particulière. » Les femmes, qui ont déjà adopté des robes plus fluides, décident donc de s’approprier le pantalon. George Sand en fait sa signature vestimentaire, mais c’est en toute illégalité qu’elle le porte avant de demander une dérogation exceptionnelle à la préfecture de l’Indre.
En effet, en novembre 1800, coup de frein dans l’émancipation féminine / le préfet de police de Paris promulgue un décret – d’ailleurs toujours pas abrogé – qui annonce que « toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la Préfecture de police pour en obtenir l’autorisation ». Seule une raison médicale justifiait alors qu’une femme se travestisse, car c’est ce qu’on pensait à l’époque de ces « mauvaises filles » qui délaissaient les robes et jupes. Clémentine Delait, la célèbre « fée à barbe de Thaon-les-Vosges », a été l’exception qui confirme la règle. Elle affirmait qu’une « pilosité abondante est assumée ne serait pas l’apanage des mâles » et, parce qu’elle avait du bagou et un grand cœur, elle devint une célébrité locale. A elle, on autorisa le port du pantalon.
En 1892 et 1909 les règles s’assouplissent un peu : le pantalon devient mixte, mais uniquement pour la pratique du vélo ou de l’équitation. La petite graine est plantée… De cette graine, cent ans plus tard, naîtra le mouvement des Suffragettes.

Le XIXème siècle voit également naître la Haute Couture, alors que le designer franco-britannique Charles Frederick Worth organise le premier défilé de mode de l’Histoire. Vers 1920, Coco Chanel reprend les ensembles en jersey souple autrefois utilisés comme sous-vêtements : les corps se libèrent et la colère gronde. Dans un article de l’époque rédigé par d’anciens militaires, on peut lire : « Est-il possible qu’une femme, pour céder à la mode, consente à s’enlaidir de cette façon? » Qu’importe… Le salariat féminin émerge en même temps que s’accélère leur émancipation vestimentaire et quarante-cinq ans plus tard, la production d’un pantalon enfin devenu féminin, dépasse pour la première fois celle des jupes.
La mode et la politique, des destins liés
En 1960, la Londonienne Mary Quant crée la mini jupe pour « permettre aux femmes de courir après un bus ». Le succès est immédiat. Cette dernière est présentée en France par le couturier André Courrèges où elle fait immédiatement parler d’elle : en 1964, la présentatrice Noële Noblecourt est licenciée de l’ORTF (L’Office de radiodiffusion-télévision française) pour avoir montré ses genoux à la télévision. Quatre ans plus tard, dans le sillage du Women’s Lib américain et anglais, le Mouvement de libération des femmes (MLF) voit le jour. Le féminisme en France devient officiellement politique.
Parce que la mode est un indice identitaire, des mouvements et des communautés ont décidé de s’en servir pour se démarquer : les gothiques, les punks, les hippies… Ils portent sur eux leurs revendications politiques et leurs valeurs comme des étendards. On retrouve aujourd’hui ces mêmes étendards dans certains Fashion Show et dans certains magasins à travers les décors, les choix des mannequins ou les vêtements eux-mêmes. Pour la Fashion Week 2020 à Paris, Balenciaga noie les trois premiers rangs de son défilé, inonde le podium et envoie sur projecteur des images apocalyptiques ; le message est clair : la Terre va mal ! En 2018 à la Fashion Week de New-York, le designer italien Marco Morante (de la maison Marco Marco) décide de ne faire défiler que des mannequins transgenres pour présenter sa nouvelle collection. Pas de doute sur ses intentions non plus… Car si la mode s’engage parfois, évolue petit à petit et tend à plus d’inclusivité, elle est encore une industrie ultra polluante pleine de standards désuets.

La naissance du « féminisme washing »
Côté féminisme, il y a les marques sérieusement engagées comme Meuf Paris qui reverse à chaque commande 1€ à la Maison des Femmes ou Antia’N’Co qui à chaque achat reverse la même somme à l’association Osez le Féminisme ! … Et puis il y a les autres qui se servent du féminisme comme d’un simple outil marketing. On parle alors de « féminisme washing » ou de « femvertising » (son pendant publicitaire). Parce que oui, le féminisme est à la mode !
Vers 2015, les premières marques à comprendre que le féminisme est bankable se mettent à véhiculer des messages valorisant les femmes : Always, Pantene, Nike… Elles ont toutes en commun d’avoir affiché une rupture radicale avec les stéréotypes sexistes. En 2018, la marque Boulangère s’autoproclamait d’ailleurs « première marque à revendiquer son engagement auprès des femmes, pour une répartition des tâches plus juste et plus équitable au sein des foyers ». Si les féministes « cassent l’ambiance en soirée » leur combat fait vendre… Ou plutôt, peut coûter très cher ! Car les consommateurs et consommatrices sont de plus en plus sensibles aux valeurs écologiques et éthiques des produits qu’ils achètent. Ainsi, depuis 2019, le compte instagram Pépite Sexiste épingle les marques qui n’ont pas pris le coche du féminisme.

Un recadrage nécessaire pour faire évoluer les mentalités – et avec certaines marques, ça fonctionne ! – mais une pression qui pousse beaucoup d’entreprises à s’afficher féministe juste pour s’éviter le bad buzz.
La journée internationale des droits des femmes est un parfait exemple de cette tendance du « féminisme washing ». Une date importante pour laquelle les sites de vêtements, bijoux, les supermarchés et diverses entreprises qui se fichent éperdument de la cause le reste de l’année proposent soudain des promotions alléchantes pour célébrer « la journée de la femme ». De quoi s’arracher les cheveux…
Quid des figures politiques ?
La mode et la politique, c’est donc une histoire qui dure, la mode et le féminisme reste un débat en cours… Mais quid des figures politiques ? On constate souvent que lorsqu’une femme politique monte sur scène, passe à la télévision, apparait en public, sa tenue semble importer davantage que ses idées. La toile ne se prive pas de donner son avis (que personne ne lui a pourtant demandé) sur les tenues des First Ladies, ministres, présidentes etc. C’est comme ça qu’en 2018, au cœur de l’affaire Benala, la ministre Marlène Schiappa passait sur MTV et choquait les internautes par… son décolleté ; ou qu’en 2012 Cécile Duflot se faisaient siffler par les députés en pleine Assemblée Nationale à cause…de sa robe à fleurs.
Si les femmes ont la vie dure en politique et que la mode n’est pas toujours tendre avec elles, cette dernière peut être, si utilisée correctement, un outil merveilleux pour faire passer des messages. Et ça, Kamala Harris l’a bien compris ! Lors de l’investiture de Joe Biden en janvier dernier, la vice-présidente américaine arborait un tailleur violet dessiné par un styliste afro-américain, Christopher John Rogers.
Consciente que sa tenue, bien plus que celle du nouveau président, serait pointée du doigt et jugée, Kamala Harris a décidé de donner aux médias et aux critiques une bonne raison de déblatérer sur ses vêtements. Outre le choix d’un créateur racisé, la couleur de son ensemble a marqué les esprits : le violet, en plus d’être LA couleur du féminisme, est un hommage à Shirley Chisholm, première femme noire élue au Congrès des États-Unis et adepte de la couleur pourpre.

Une teinte symbolique que portaient également ce jour-là Hillary Clinton et Michelle Obama. La solidarité féminine comme on l’aime !