Tw : mention de viol

« T’étonne pas de te faire violer sur le Bosphore avec cette tenue »
Te souviens-tu Régine ? J’ai 17 ans, nous sommes au Lycée à Istanbul, je porte un short avec des collants noirs. Un peu en retard je rentre en classe, et, devant tout le monde, tu me lances cette phrase « t’étonne pas de te faire violer sur le Bosphore avec cette tenue », alors que je rejoins mon bureau. Je ne te réponds pas choquée, et je ne prononce pas un seul mot du cours.
A cette époque je suis déjà féministe, je sais que tu as tort, que tu participes à la culture du viol en me disant une chose pareille. Mais pas mes camarades. Tous et toutes ne sont pas aussi sensibilisées.
Un peu plus tard dans l’année, tu décides de nous donner un cours sur le féminisme. Il consiste à lire des blagues sexistes. Pendant une heure tu fais lire ces blagues à tous les élèves. Pas pour les déconstruire et expliquer en quoi elles sont problématiques. Non juste pour plaisanter. Je m’indigne et tu me ris au nez, me sors l’argument du « on peut plus rien dire », et me dis que je suis trop radicale.
Bien sûr, quand ça a été mon tour d’en lire une, j’ai refusé. La plupart des élèves riaient. Faire des blagues sexistes avec l’appui d’une figure d’autorité, quelle aubaine pour ces garçons qui n’avaient aucune idée de ce qu’était le sexisme ! Ils avaient ton approbation. Tu n’avais pas la moindre idée des dommages que tu causais.
Durant toute ta carrière combien de remarques similaires as-tu faite ? Combien d’élèves ont lu et relu d’années en années les mêmes blagues sexistes dans ton vieux fichier mal imprimé ? Combien de garçons se sont sentis tout puissant d’harceler, commenter les tenues et slut-shamer leurs camarades ? Combien de jeunes filles ont intégré que la longueur de leur jupe ou de leur short était une raison de se faire violer ?
Tu n’étais pas la seule bien sûr, professeurs comme membres de l’administration étaient plus concernés par la vision de nos épaules, de nos tétons, nos piercings et nos couleurs de cheveux que du sexisme ambiant.
Je ne te jette pas la pierre. Moi aussi j’ai fait des choses dont je ne suis pas fière. Mon cheminement féministe a été long et j’apprends encore aujourd’hui. Moi aussi j’ai participé à cette culture du viol.
Un ou deux ans avant de t’avoir comme prof, des garçons avaient filmé les filles qui se changeaient dans les vestiaires. Pour une fois l’administration avait très bien réagi et sévèrement puni les concernés. Ça avait fait une grosse histoire, on en avait parlé pendant des semaines. Je n’étais pas sur les vidéos, je n’étais pas dans ce vestiaire, je n’allais même pas en cours de sport ce trimestre-là (toute excuse était bonne pour me faire dispenser, je haïssais ça). Et je n’ai pas soutenu ces filles. A l’inverse j’ai minimisé la chose. Je trouvais qu’elles en faisaient trop, que ce n’était pas si grave, qu’elles en riraient dans quelques années. Si, c’était grave. J’aurais dû m’indigner et les soutenir.
Cependant j’avais 15 ans, j’étais en pleine construction, ou plutôt déconstruction. Je me suis éduquée seule au féminisme, sur des groupes Facebook sur lesquels je lisais des dizaines d’articles et témoignages. Je n’ai jamais rien appris sur le féminisme en cours que soit avec toi ou avec d’autres prof. J’ai appris l’Histoire blanche des hommes. Aujourd’hui je comble mes lacunes grâce aux militantes féministes qui fournissent un travail phénoménal pour rétablir un tant soit peu l’équilibre.
Le féminisme intersectionnel devrait à mon avis être enseigné dès le plus jeune âge. Ce n’était pas à toi, simple professeure d’anglais de nous éduquer à la cause. Oui tu as empiré la situation, mais je pense aussi que vos formations et nos programmes scolaires sont simplement inadaptés. Je n’ai pas la solution, mais je sais que toi comme de nombreux adultes que j’ai croisé durant ma scolarité aviez tort.
Alors Régine, à ce jour, tu n’enseignes plus mais il n’est pas trop tard pour t’instruire. Il n’y a pas d’âge pour lutter contre le patriarcat. Lis des livres, des articles, suis des pages, écoute des podcasts, regarde des documentaires, APPRENDS.
Bien à toi,
Mahé