Notre histoire débute en novembre 2017. Il faisait froid, c’était une soirée dans une vieille maison d’avocats en plein centre-ville de Marmande. Il était à la buvette, ses cheveux bouclés ébouriffés comme à son habitude, des baskets en sale état aux pieds, le sourire aux lèvres. Il était à l’aise. Toi aussi, tu sais, que n’importe où qu’il soit, il est à l’aise. Au milieu d’une forêt, dans un vieux bar, au centre de l’attention ou devant son ordinateur. Il est bien. Et toi, toi, tu ne sais pas pourquoi, mais tu te sens mal.
Notre relation n’a duré que quelques mois. En troisième année de fac, il m’arrivait souvent de quitter l’université en pleine journée, pour faire deux heures de route dans ma petite clio. Et débouler chez lui, en larmes, dans la maison de son père qui ne m’adressait jamais la parole, pour le supplier de rester avec moi. Quelques heures plus tôt, il m’avait envoyé pour la dixième fois qu’il me quittait. Je restais plantée là, devant lui, le visage gonflé de tristesse pendant qu’il me disait qu’il ne pouvait plus m’aimer, que c’était trop dur. Je ne pensais jamais supplier personne. Pourtant, avec lui, toutes les semaines, je m’arrachais les cheveux “d’amour”. J’étais terrorisée qu’il me laisse.
Vous avez dû, comme nous, beaucoup discuter. Dans sa chambre, presque tanière, sale, étouffante, sous les toits, sans lumière, nous parlions pendant des heures. Et comme moi tu as dû te dire que c’était les meilleurs moments de ta vie. Il m’expliquait souvent qu’il avait un ami extra-terrestre, qu’il était différent des autres. Que moi aussi j’étais différente et que nous avions ce lien indestructible qui nous reliait. Plusieurs fois, chez moi, je regardais mon ventre, me demandant ce qu’il pouvait bien sentir, car moi, je ne sentais rien. Pas de fil invisible qui me retenait à lui. Pas de cordon de pensée qui me permettait de savoir à quoi il pensait. Pourtant, lui, était déjà rentrée dans ma tête. La toile était tissée. Souvent, à toute heure de la journée ou de la nuit, il m’envoyait “Je sens que tu t’éloignes de moi”. Et j’accourais. Puis je pleurais, suppliais. “Non, je suis là, pour toi, proche de toi, je t’aime plus que tout, plus que moi”.
J’étais persuadée qu’il était l’homme de ma vie. Sans doute est-il aussi le tien ? Je me voyais arrêter mes études pour vivre avec lui, faire un enfant et juste, être là. Nos soirées dans son grand salon, devant la cheminée, entourée de ses amis étaient magiques. J’avais l’impression d’être enfin à ma place. Un jour, je suis descendue de sa chambre en short. Il est parti furieux, m’accusant de draguer ses amis. Je suis partie me changer, confuse d’avoir pu laisser imaginer être attirée par quelqu’un d’autre que lui.
Au mois d’avril, un de ses amis – nous l’appelerons Raph – à loger chez moi, dans ma coloc. J’étais heureuse d’avoir un petit bout de lui dans mon quotidien. Lui qui ne venait presque jamais chez moi. Pendant une soirée, énervée que j’étais qu’il m’ait fait à nouveau faux bond pour rencontrer mes parents, nous avons parlé de lui avec Raph. Je m’estime chanceuse d’avoir été dans le bon état d’esprit pour entendre ce que ce gars qui le connaissait depuis 10 ans me disait. Un autre jour, j’aurais sans doute tout balayé d’un revers de main : “Mais non, il n’est pas comme ça, je le connais, on est liés”. Manipulation, destruction, mensonge, parasite, tout ce qu’il me révélait m’a fait l’effet d’une claque.
Cette ex dont il ne cessait de me rebattre les oreilles : “Un jour je suis allée chez lui, elle avait perdu dix kilos, elle était accroupie dans un coin du salon, comme morte”. Cet argent qui lui permettait de vivre dont il gardait secret la source : “Il fraude l’assurance maladie, il se fait passer pour handicapé”. Son mode de vie, si attirant : “Il passe de maison en maison, vide les frigos, se fait virer, puis il retourne chez son père et ainsi de suite”. Ses expériences incroyables : “Il n’a jamais travaillé de toute sa vie”.
Je me rappelle très bien de mon état second en apprenant qui il était. Je me suis lentement levée de mon fauteuil puis j’ai dit “Alors je peux le quitter, parce que ce n’est pas avec lui que je suis. Je ne connais pas cette personne”. J’étais complètement dépersonnalisée, sous le choc. J’ai pris mon téléphone, envoyé un texto et c’était fini. Bien sûr, il m’a inondé de messages, m’a appelé 5 fois par jour, m’insultait, me disait qu’il m’aimait puis m’insultait à nouveau. J’ai bloqué son numéro et tous les mois, pendant un an, je recevais un message de sa part. Souvent complètement déconnecté de la réalité. J’avais l’impression qu’il était fou. Je n’ai jamais répondu. Jamais. Mon texto de rupture était le dernier.
Ma réhabilitation à la vie normale a été plus difficile. Entretemps, j’avais planté mon semestre et perdu des amis. J’ai écrit une lettre à mes parents pour leur expliquer ce qu’il s’était passé pendant 6 mois de ma vie. Je dis souvent que nous avons tous.tes nos casseroles, certaines font juste plus de bruit que d’autres. Après ma rupture, je me suis engouffrée dans une relation qui n’était pas beaucoup plus saine. Pendant un an, des morceaux de moi volaient autour de mon corps. J’ai dû réapprendre à faire confiance, à aimer et surtout, à être aimé. Aujourd’hui, 3 ans après cette histoire, j’apprends encore.
Cette lettre, je l’écris pour toi. Toi qui ne comprend sans doute pas ce qu’il t’arrive. Toi qui dois te sentir tellement seule. J’aimerais tant te prendre dans mes bras pour te consoler et te dire que ça va aller, qu’il peut aller se faire foutre. Le chemin, je l’ai fait seule, mais tu ne l’es pas. Les manipulateurs, les personnes toxiques, chacun.e à notre tour, nous les pointons du doigt. Tu sais, ils sont un peu comme les démons dans les films d’horreur. Une fois que tu as trouvé leur nom et que tu le dis à voix haute, ils meurent. Notre rôle, c’est de leur crier à la figure.
Le mien, il s’appelait Eric. Et toi, c’était quoi ?