“Not all men”, vraiment ?

Lorsque l’on est une femme et que l’on évoque les violences dont on a été victime, on se heurte toujours à la même réaction : not all men ; tous les hommes ne sont pas comme ça. Ce témoignage interroge : est-ce que, vraiment, tous les hommes ne profitent pas à un moment ou un autre de ce système qui excuse leur violence ?

Trigger warning : violences, agressions sexuelles, injures, viol, grossophobie

Not all men, illustration par Emma Kraemer
Illustration par Emma Kraemer

Durant toute mon enfance, j’ai entendu ma mère s’épuiser à expliquer que le chef de famille, c’était elle. A 8 ans, j’ai vu le conjoint de ma mère la frapper et la traiter de folle quand elle essayait de se défendre. J’ai vu deux flics, hommes, rire avec lui de ma mère “juste un peu hystérique”.

A 12 ans, au collège, le prof de techno donnait de meilleures notes aux filles si elles portaient une jupe les jours de contrôle. Et les filles portaient des jupes ces jours-là.
A 13 ans, sur le chemin du collège, un homme qui aurait pu être mon père m’a arrêtée dans la rue pour me déshabiller du regard et me dire que j’avais “l’air fertile”.
A 14 ans, un homme, la cinquantaine, m’a suivi jusqu’à chez moi, m’a attrapé le bras, m’a dit “tu suces ?”. J’ai poussé un cri, il m’a lâchée. Cette nuit-là et pendant plusieurs mois, j’ai régulièrement fait des cauchemars. A 14 ans toujours, le prof de sport faisait des blagues sur les filles de la classe qui avaient leurs règles.

A 15 ans, je suis allée au cinéma seule. Dans la salle presque vide, un homme s’est assis à côté de moi et à commencer à se masturber.
Cette année-là, j’ai également appris que ma demi-sœur a été agressée sexuellement dans son enfance par un membre de sa famille.

A 16 ans, des camarades de classe ont raconté à tout le lycée que j’avais fait un pari avec une amie sur laquelle coucherait avec le plus de garçons avant la fin de la terminale. C’était faux.
La même année, le garçon que j’aimais bien à raconter à son meilleur pote que j’avais des poils au pubis. Ils s’en sont moqués ouvertement devant moi, à plusieurs reprises.

Depuis mes 16 ans, je ne compte plus le nombre de remarques et agressions subies dans l’espace public : du mec qui te dévisage de haut en bas, à celui qui t’empêche de continuer ton chemin et te caresse la cuisse, en passant par celui qui te traite de “salope”. Ils avaient 20, 30, 50 ans. En costard ou en jogging, à toute heure du jour ou de la nuit.

A 19 ans, un homme à peine plus âgé que moi m’a suivi pendant 15 minutes en faisant des remarques sur mon physique, me disant qu’il aimait mes formes et qu’il aimerait me “découvrir à l’horizontale”. Je lui ai exprimé plusieurs fois mon malaise, je lui ai demandé plusieurs fois d’arrêter de me suivre. Il m’a bloqué la route et a essayé de m’embrasser de force.

Entre mes 19 et 23 ans, j’ai regardé mes potes continuer d’inviter aux soirées un violeur. Ils étaient tous au courant. Ils ont arrêté d’inviter sa victime.
A 20 ans, j’avais trop bu lors d’une soirée dans une coloc. On m’a aidé à me coucher dans un lit. Le coloc dont c’était le lit a fini par se coucher avec moi. J’ai des bribes de relation sexuelle en tête, je ne me rappelle pas des détails. Le matin, quand je me suis levée pour partir, il m’a demandé “tu veux qu’on se revoit ?”. J’ai mis 7 ans à réaliser que je n’étais pas en état de réagir, que je n’avais rien demandé, que c’était un viol et que ce n’était pas normal.

A 21 ans, j’étais standardiste chez un concessionnaire automobile. On était 8 femmes à travailler sur le plateau téléphonique. Les commerciaux, tous des hommes, “s’amusaient” régulièrement à classer les standardistes, d’après leur physique.
A 24 ans, lors d’un rapport sexuel, mon partenaire a essayé plusieurs fois de me pénétrer sans préservatif, malgré mon refus. J’ai dû m’énerver et le pousser violemment pour qu’il arrête. A 24 ans toujours, un homme que je fréquentais m’a dit “j’adore passer du temps avec toi, mais je ne sais pas si j’assumerais d’être avec une grosse”. Le pire ? C’est que je l’ai compris. Parce que, depuis longtemps, des hommes se permettent régulièrement des remarques sur mon poids, d’évaluer de ma valeur par rapport à mon corps. Encore aujourd’hui, je ne l’aime pas.

A 25 ans d’ailleurs, lors de mon entretien individuel annuel, mon patron m’a « conseillé » de faire attention à mon poids. Il disait aussi aux femmes de l’équipe “vous êtes fragiles les filles” quand elles étaient malades, seulement aux femmes. La même année, après une relation sexuelle pendant laquelle la capote a craqué, mon partenaire m’a dit “bah m’appelle pas dans deux semaines pour dire que t’es enceinte hein”.

A 26 ans, j’ai accompagné mon patron à un rendez-vous professionnel avec trois hommes entre 40 et 60 ans. J’ai dû écouter les blagues sur leurs femmes et ne rien dire lorsqu’ils me faisaient des clins d’œil. La même année, après ma rupture, mon ex m’a dit que de toute façon j’étais “bonne qu’à baiser”.

A 27 ans, pendant une relation sexuelle, mon partenaire m’a violemment giflée, sans mon consentement. Je me rappelle m’être dit “si ça tourne mal, t’es foutue”. Je n’ai pas réussi à bouger et je me suis mise à pleurer. Quand je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça il m’a répondu : « Bah je le fais tout le temps, c’est la première fois qu’une meuf réagit comme ça. Tu dois avoir un passif.« .

La même année, j’apprends que je connais deux violeurs.

A 28 ans, un partenaire a essayé de me pénétrer analement, d’abord avec son doigt, sans mon accord. Puis avec son sexe, toujours sans mon accord. J’ai prétexté l’envie d’aller aux toilettes pour stopper le rapport. Une fois dans la salle de bain, j’ai fondu en larmes.


C’était dans la rue, dans un bar, dans les transports, en soirée, à l’école, au travail et même chez moi. En public, en privé, dans toutes les sphères de ma vie. Ces hommes, ce sont des inconnus, mes profs, mes amis, mes partenaires. Ce sont des hommes que je ne connaissais pas, des hommes à qui je faisais confiance, des hommes que j’aimais et d’autres que j’aimais moins. C’était peut-être toi.

Je ne parle pas des fois où on m’a expliqué mon métier, mon ressenti ou comment “mieux défendre ma cause”. Je ne parle pas de tous les autres moments dont je me souviens ni de ceux que j’ai très probablement oubliés. Je ne parle pas non plus de toutes les femmes de mon entourage qui auraient pu écrire ce témoignage. Ce n’est pas de la malchance. Ce sont des exemples parmi tant d’autres.

Chaque “not all men” nous renvoie à cette violence. La violence des mots, des actes, des situations. Cette violence que toutes les femmes connaissent, qu’elles ont en commun. Chaque “not all men”, nous rappelle que le politiquement correct est plus important qu’en finir avec elle.

Il n’y a pas “ces hommes-là” et les autres. Il y a un système qui a et continue d’autoriser n’importe quel homme à faire preuve de violence sans que ce soit vu comme tel, parfois même par la victime.

Si vous voulez nous prouvez que, vraiment, “not all men” : commencez par admettre, à vous-même et aux autres, que oui, parfois, vous êtes ces hommes.

Mathilde
Mathilde
Féministe depuis toujours je m'engage depuis plusieurs années dans différentes associations et collectifs. J'aime la couleur menthe, le Gin to', décorer ma maison et rire très fort à mes propres blagues. J'écris des papiers pour aborder des sujets de société qui me tiennent à cœur, faire des déclarations d'amour ou pousser un bon coup de gueule ! ☀️♎ ↗️♉ 🌑♎

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