Alors voilà, je suis métisse. C’est la première fois que je ressens à ce point le besoin d’écrire sur le sujet, mais c’est que les évènements actuels rendent douloureuse la question de mon identité.

Ma mère est bretonne, mon père est antillais, de la Martinique et la Guadeloupe. Je suis apparemment le portrait craché de mon père, on me le dit depuis toujours, tandis qu’on a souvent pensé que j’étais adoptée en me voyant auprès de ma mère. Et pourtant, je passe pour blanche.
Je le dis d’emblée : je n’ai jamais été victime de discrimination sur la base de ma couleur de peau. On ne me traque pas dans les supermarchés, on ne me demande pas de présenter mes papiers d’identité à tout bout de champ, je n’ai pas de problème à trouver du travail à cause de mon nom. En bref, je bénéficie souvent de ce qu’on appelle le privilège blanc.
Et pourtant, aux personnes blanches qui m’incluent sciemment dans leurs blagues sur le « white privilege », comme si j’étais l’une des leurs, que je devais moi aussi prendre conscience de la chance que j’ai d’être blanche dans cette société, je voudrais dire : vous ne savez pas de quoi vous parlez.
Vous ne savez pas de quoi vous parlez et surtout, vous me faites mal.
Je suis fatiguée d’avoir à me justifier du racisme que j’ai pu subir au cours de ma vie pour être autorisée à exister telle que je suis, une femme métisse, racisée, non blanche. De devoir vous raconter que je devais avoir moins de dix ans la première fois qu’on m’a traitée de négresse, qu’on m’a dit que j’étais sale, que mon père était sale, que j’étais différente, qu’on a moqué mes cheveux, les qualifiant de crépus, et quelle preuve d’ignorance quand on sait que j’ai en réalité les cheveux bouclés. Qu’on m’a sexualisée très tôt, une belle métisse, de quoi saliver. Qu’on m’a dit que ça allait, que j’étais presque blanche, des « ça se voit à peine » ou « je n’aurais pas dit » qui se veulent rassurants. Qu’on m’a bien sûr demandé mes origines à tout bout de champ, envié la couleur de ma peau dorée ; “quel beau mélange”, comme si on parlait de races de chiens. Qu’on m’a souvent prise pour maghrébine et dans ce cas observée en plissant le nez.
Vous êtes tellement étonnés quand je vous dis que pour de nombreuses personnes noires je suis des leurs, sans débat, sans devoir justifier d’un certain niveau de souffrance ou discrimination que vous semblez me réclamez. Parfois je me demande aussi : si je n’avais pas un doctorat, si je n’évoluais pas dans un monde privilégié auquel finalement peu de personnes racisées accèdent, ma non-blanchité serait-elle plus visible ?
Nous n’avons jamais vraiment abordé ces sujets-là à la maison, je ne pense pas que mon père s’attendait à ce que je subisse des questions d’identité. Lui-même riait, levant les yeux au ciel d’apprendre qu’il était surnommé Tiger Woods au magasin de bricolage de notre petite ville de province. On avance dans la vie en intégrant le racisme ordinaire, au point de ne plus y payer tant attention, du moins lorsqu’il n’est pas synonyme d’un danger physique.
Alors j’ai été émue aux larmes quand j’ai écouté Nina Dabboussi expliquer le « white passing », dans son podcast « Le cul entre deux chaises ». Un mot sur cette ambiguïté, enfin. Découvrir que je ne suis évidemment pas la seule à souffrir de ce défaut d’identité, ni à éprouver la culpabilité de bénéficier de ces privilèges blancs.
Je sais que cette société est davantage à blâmer que les individus eux-mêmes, mais je ne veux plus trembler de colère ou d’impuissance chaque fois que je dois me battre pour arracher mon identité aux mains de ces personnes qui la manipulent avec tant d’insouciance. De mon côté, j’avance, j’apprends les parcours incroyables de ces générations d’antillais qui ont formé ma famille, je bombe le torse car je suis fière de ces origines qui posent tant de questions. Je sais aussi quels combats je veux mener.
Mais je voudrais le dire une fois pour toutes : personne n’a le droit de décider à ma place si je suis blanche ou noire.