L. a rencontré son gynéco pour se renseigner sur la stérilisation à visée contraceptive. Elle te raconte ces 45 minutes entre infantilisation et grossophobie.
Cher docteur,
Cet après-midi, j’avais rendez-vous avec vous pour parler des possibilités de stérilisation à visée contraceptive. Je vous l’ai dit, ça fait 15 ans que je sais ne pas vouloir d’enfant et ne pas vouloir être enceinte. Ça fait 1 an maintenant que je me renseigne et réfléchis à cette stérilisation.
Comme le précise la loi, pendant notre rendez-vous, vous deviez écouter les motifs de ma demande, m’informer sur les méthodes contraceptives alternatives, me donner des informations sur toutes les méthodes de stérilisation possibles et leurs risques, me remettre un livret d’information et, le cas échéant, m’informer de votre refus de pratiquer cet acte.
Par contre, il n’est nulle part mentionné que vous pouviez remettre en question mon choix, me forcer la main pour accepter une méthode de contraception dont je ne veux pas, ni faire preuve d’une grossophobie crasse.
Une question d’éthique
Je vous ai expliqué l’enfer que j’ai vécu avec la pilule (classique et micro-dosée). Je vous ai dit que ne je souhaitais pas m’orienter vers une autre contraception hormonale, et je vous ai aussi affirmé que l’idée même du stérilet m’angoissait. Mais surtout, je vous ai répété que mon choix était fait, que ma décision était mûrement réfléchie, et que je ne reviendrai pas dessus.
Peu importe ce que je vous disais. Pour vous, mes motivations n’étaient pas entendables. Elles étaient basées sur de “fausses croyances”.
Bah oui, ce n’est pas parce que je connais au moins 5 femmes qui ont eu des grossesses non-désirées sous stérilet que ça va m’arriver. Ce n’est pas non plus parce que la majorité des femmes de mon entourage ont eu des douleurs horribles pendant 48h suite à la pose du stérilet que ça va m’arriver aussi. Ce n’est pas parce que je ne connais aucune femme qui supporte l’implant que ça va être mon cas.
Ce n’est pas parce que j’ai enduré des migraines à répétition, la perte totale de ma libido, des sautes d’humeur à ne plus me reconnaître et un calcul dans la vésicule biliaire en prenant la pilule que ce sont des raisons suffisantes pour dire que les hormones pour moi, c’est non.
Et ce ne sont pas non plus les heures que j’ai passées à me renseigner et à peser le pour et le contre de chaque méthode de contraception qui font que mon choix est le bon. Pardon. Je pensais que c’était mon choix.
A vous entendre, non. Et “éthiquement parlant” vous n’êtes pas à l’aise avec le fait de m’opérer “sachant qu’on n’a pas essayé toutes les alternatives avant”. On aurait pu s’arrêter là. Vous auriez pu simplement me dire que vous refusiez “au nom de l’éthique”. C’est votre droit et je l’aurais entendu. C’est votre choix.
Mais ce n’était pas suffisant. Vous avez passé la moitié du rendez-vous à tenter de me convaincre d’essayer le stérilet hormonal ou l’implant parce que “tant qu’on n’a pas essayé on ne peut pas savoir”.
Donc au nom de l’éthique, vous ne prenez pas en compte le choix éclairé et renseigné de vos patient·es. Au nom de l’éthique, vous forcez la main de vos patient·es en leur disant que vous ne les opérerez qu’une fois qu’iels auront essayé toutes les autres options “pour être sûr que ça ne convient pas”. Au nom de l’éthique, vous demandez 3 fois à une patiente si vous pouvez lui prescrire l’implant ou le stérilet, alors qu’elle vous a déjà dit non.
Au nom de l’éthique enfin, vous remettez en question son vécu, ses choix et son rapport au corps en lui répétant que ses croyances sont fausses et qu’elle a tort, sans sourciller.
Mes fausses croyances et les vôtres
Si vous avez beaucoup parlé de mes “fausses croyances” sur la contraception hormonale, je pense qu’il est nécessaire d’évoquer les vôtres.
Pendant notre rendez-vous, vous avez insisté sur mon surpoids et le danger supplémentaire qu’il représente lors d’une opération de stérilisation. Vous savez quoi ? Me l’expliquer une fois suffisait.
Je sais que je suis grosse, je comprends le risque supplémentaire que cela peut représenter lors d’une intervention chirurgicale. Je le répète : me l’expliquer une fois suffisait. Pas deux, pas trois, et sûrement pas une douzaine de fois comme vous l’avez fait.
Par contre, je ne vous ai pas entendu me demander si j’avais des problèmes de santé liés à mon poids, une quelconque maladie chronique, une allergie médicamenteuse ou même ce que disaient mes bilans sanguins.
Vous avez lu dans mon dossier qu’on m’a retiré la vésicule biliaire il y a quelques années. Etrangement, vous ne m’avez pas demandé si l’opération s’était bien passée, malgré mon surpoids. Étrange oui, puisque cette opération utilise la même méthode que celle de la stérilisation.
Je ne suis pas médecin, c’est vrai. Mais savoir comment mon gros corps réagit face à l’anesthésie générale, à la cœlioscopie, aux douleurs post-opératoires, et à la cicatrisation, ça me paraît pertinent, non ?
Vous auriez pu me le demander mais visiblement c’était plus important de calculer mon IMC sur votre portable en me disant qu’à cause de mon gras, vous n’alliez pas bien voir et risqueriez de ne pas couper au bon endroit. Que je pouvais mourir pendant l’opération, ou même après. Que vraiment, vraiment, l’opération ça allait être très dangereux parce que je suis en surpoids, vous comprenez ? Et vous, vous ne pouvez pas, éthiquement toujours, me faire courir ce risque.
Là, je pense à cette proche à l’IMC normal qui ne supporte pas les anesthésies, celle à l’IMC idéal qui a failli perdre son bras pendant qu’on lui retirait son implant, et cette autre, à l’IMC normal aussi, qui a mis des semaines à se remettre de son appendicectomie.
Puis je pense à mon IMC obèse. A mon opération qui s’est tellement bien passée que je n’ai pas eu besoin d’anti-douleurs au réveil, n’ai pas subi d’effet secondaire suite à l’anesthésie, ni presque aucune douleur post-opératoire. A mes cicatrices qui ne se voient presque plus.
Mais vous avez raison. Peu importe mon réel état de santé et mes antécédents médicaux, le risque est infiniment plus grand pour moi. C’est votre expertise médicale qui le dit. Oui, vous avez raison, le tiers de la population française obèse ou en surpoids ne mérite pas un accès correct au soin. A quoi bon apprendre à les opérer ? Puis, si un jour j’ai un cancer, je ne devrais pas non plus m’étonner si on refuse de m’opérer ; après tout je suis grosse donc je vais mourir. C’est comme ça que ça marche non ?
Me voilà sortie du cabinet avec un refus, une belle humiliation et un livret d’information.
Maintenant que j’ai digéré ce rendez-vous, je tiens à vous dire ceci : je suis grosse, en bonne santé, et je compte bien aller au bout de ma démarche.
Ce ne sera pas avec vous, c’est pas grave. Je ne vous en veux pas. Par contre, la prochaine fois, au lieu d’infantiliser vos patient·es, écoutez-les. Remettez vos propres croyances en question. Et, si vous n’y arrivez pas, ayez l’éthique de vous en tenir à un simple “non”.