J’ai eu une discussion avec une amie. Une de ces discussions vraiment tard avec peu de lumière et un fond musical qui nous maintient éveillés autant qu’il nous plonge dans une drôle de léthargie. On parlait de nos pronoms. Comment, elle, se reconnaît dans des qualificatifs comme « heureux » ou « beau ». Et comment, moi, je ne tique pas une seconde si, au détour d’une conversation, on me saisit le poignet en glissant un « Meuf, j’t’ai pas dit… ». On a longtemps divagué sur ce qui faisait de nous qui nous étions et on s’est dit qu’on était probablement pas aux extrémités du spectre du genre et qu’on s’en foutait un peu de nos pronoms, de nos fringues, de nos organes génitaux.
C’est quand même des sujets intéressants à creuser. Et c’est d’autant plus libérateur d’en parler avec quelqu’un de manière décomplexée. Tu fais une sorte d’inventaire de ce que fait de toi, un homme, une femme, une personne. Par exemple, je me suis longtemps fait la réflexion que je me sentais garçon. J’suis un garçon qui aime les garçons. Les hommes et les garçons. En revanche, du haut de mes 19 ans, je ne me vois pas comme un homme. J’ai même pas l’impression de me diriger vers cette identité-là. Alors est-ce que le problème vient d’une peur de vieillir ou d’un refus de me ranger dans cette case genrée ? C’est pas une réponse que je suis en mesure de donner. En revanche, c’est une question qui vaut la peine d’être posée.

Mon pénis, il est très bien là où il est. Je l’aime. J’aime le corps que j’ai reçu. J’aime ma pilosité. J’aime les caractères qui font de moi un individu mâle au sein de la race humaine (ça fait étrange quand je dis ça, hein). Dans la vie je suis un boy qui se présente comme un boy et qui a des attributs physiques et sexuels de cis boy. Dans la logique des choses, j’ai pas de légitimité a prétendre que je suis pas un homme cis. Mais je m’interroge. Si le genre c’est juste des codes sociaux et que, d’après moi, ces codes sociaux puent la merde, peut être que je veux pas me définir du tout. Moi, je veux juste être capable de mettre du vernis à ongles, du fard à paupières et porter des crop tops sans avoir à me poser de questions et sans que ça devienne un geste politique. Pour revenir au point que j’abordais au début : je pense que je m’en tamponne un peu. Que tu me perçoives comme un cisdude, genderfluid ou bien comme une fille un peu masc qui chausse du 44, ça me fait une belle jambe.
Ou pas. Bien essayé, mon grand. J’aurais aimé être aussi détaché, dans la vraie vie. J’aime croire que je suis quelqu’un de super ouvert, distant de toutes sortes de stéréotypes, mais ce serait un peu me mentir à moi-même. Ça demande une déconstruction qui durera sûrement toute une vie. J’ai grandi garçon et j’ai d’office été considéré hétéro. Pour simplifier grossièrement, j’ai vite compris que je n’avais pas trop le choix de faire des trucs de garçon si je voulais m’en sortir au collège sans être trop embêté. Je me suis conformé tout seul et ensuite ça a été dur de se défaire des codes que je me suis imposés toute ma vie. Ça l’est toujours et ça le sera probablement pendant un bon moment encore, je crois.
Récemment je suis sorti faire mes courses avec du violet au coin des yeux. Croyez-le ou non, c’est un HUGE step. Et pourtant j’avais aucune chance de croiser qui que ce soit que je connais. J’enjambe vraiment les premières marches d’un long escalier jusqu’à l’effacement des traits toxiques de ma masculinité. Que je le veuille ou non, je me plie toujours à une injonction à la virilité qui ne me plaît pas toujours. Pour citer quelques exemples, j’ai retiré le vernis que j’avais sur les doigts pour aller à ma dernière date Tinder. Parce que j’avais peur de paraître trop fem. Parce que j’avais le sentiment que ça réduisait mes chances de plaire. Autre anecdote, j’ai mis du temps avant de partager du contenu féministe dans ma story insta parce que, au lycée, j’avais l’impression que ça venait porter atteinte à ma masculinité. Et pas la peine de préciser que, quand on est un ado closeted, on se bat griffes et ongles pour se présenter de la manière la moins efféminée possible parmi ses pairs. Encore une fois, on avance à petits pas.
Je pense que je pourrais écrire des pages et des pages tant le sujet ne s’épuise jamais dans ma tête. La morale de cette histoire, je crois, c’est que c’est bon de s’intéresser à soi, pour vrai. Sans jugement et sans s’autoflageller, ça n’engage à rien et c’est nécessaire. Avoir un regard bienveillant sur ta propre personne, écouter ce qu’il y a en dedans, en éliminant miette à miette tous les éléments parasites du dehors. À mes jeunes ami.e.s queer. Vous êtes belles. Vous êtes beaux. Vous rendez la face du monde moins pénible à regarder. Je vous aime.