Ce texte est un récit que nous avons reçu il y a quelques temps, sa rédactrice a souhaité garder l’anonymat. Il est brut, sans artifice. Il vous arrive en pleine gueule, vous couche au sol et il est difficile de s’en relever. Merci à son autrice pour le courage dont elle a fait preuve et merci pour ce témoignage bouleversant. Nos pensées vont vers toi, nous t’envoyons toute notre force.
La peur doit changer de camps, les mœurs doivent évoluer. Aujourd’hui plus que jamais, les femmes doivent se faire entendre. Alors racontons, relatons, décrivons, pointons du doigt. Car aujourd’hui plus que jamais, nous ne nous tairons plus.
La Rédaction
TW : viol, violence psychologique et physique
On était au mois de septembre, j’avais 20 ans. Je le connaissais à peine, c’était la deuxième fois qu’on se voyait.
On allait boire un verre et on descendait vers la vieille ville quand il a voulu s’arrêter pour aller aux toilettes. Une fois qu’il a eu fini sa petite affaire il m’a tiré à l’intérieur de ces fameuses toilettes, m’a collé au mur et a commencé à m’embrasser. J’ai répondu à son baiser, c’était sympa, et puis j’ai senti ses mains glisser sous ma robe. Je lui ai demandé d’arrêter, j’ai voulu enlever ses mains de mon corps et partir mais il a été plus fort que moi. Il a bloqué mes mains et m’a forcé lui faire une fellation. J’ai résisté comme j’ai pu mais il appuyait tellement fort sur ma tête que mes genoux ont fini par céder et il m’a fourré son sexe dans la bouche en maintenant ma tête pour que je ne puisse pas arrêter. Puis il m’a relevé, m’a retourné pour que je sois dos à lui et à essayer de me pénétrer. Comme il n’y arrivait pas par le vagin, il a essayé par l’anus. Ni arrivant toujours pas, il m’a mis par terre, m’a craché sur les parties et à réessayé d’entrer par les deux côtés. Au moment où il allait réussir la porte des toilettes s’est ouverte et une femme est apparue.
Elle s’est excusée, sûrement parce qu’elle pensait interrompre un couple en pleine ébats. Elle n’a pas eu conscience qu’elle venait de me sauver.
On s’est rhabillés et on est partis vers un restaurant-kebab parce qu’il avait faim. Il faut croire que violer donne faim. Je suis allée avec lui. Quand sa commande est arrivée, je suis partie prendre mon train pour rentrer chez moi. J’avais mal partout, je me sentais sale et j’essayais de retenir mes larmes. Au moment où je me suis assise dans le train mon téléphone a vibré : c’était lui. Il me demandait pourquoi j’étais partie « comme ça ». J’ai juste répondu que j’étais fatiguée et je me suis effondrée en larmes. Quand mon train est arrivé à son terminus, j’ai arrêté de pleurer et je me suis promis de ne plus en parler. Ce que j’ai fait jusqu’à ce que ma mère me parle de son viol.
Tout m’est revenu en mémoire. Les sons venant de la rue, l’odeur de pisse de ces putains de toilettes publiques, le poids de son corps sur le mien et surtout ces trois mots. Ceux qu’il a prononcé quand j’ai commencé à me débattre : « Fais pas chier. ». J’ai compris à ce moment-là ce qui m’était arrivé. J’en ai parlé à ma mère quelques mois plus tard quand j’ai réussi à trouver la force en moi pour aborder ce sujet avec elle. Elle était si fière d’avoir fait en sorte que ce ne nous arrive pas à ma soeur et à moi. Sa réaction a été la suivante : « Si ça t’est arrivé, c’est que tu as fait quelque chose pour provoquer ce garçon. Et puis tu étais habillé comment aussi ? Et puis pourquoi tu n’es pas rentrée tout de suite après les cours aussi… Voilà ce qui arrive quand on se ballade à des heures pas possible dehors. Et puis avec ce que tu dégages faut pas t’étonner que tu attires les problèmes. »
Mais ce n’est pas ça le pire. Le pire ça a été le sentiment de culpabilité, le fait de savoir que même si j’avais voulu me débattre, hurler et m’enfuir je n’aurais pas pu. Mon cerveau m’avait mis dans un tel état de sidération pour me protéger. Je travaille dans le milieu de la santé, je le sais, je l’ai appris pendant ma formation. Pourtant, le vivre ce n’est pas la même chose. Quand vous avez peur pour votre vie, vous faites tout ce que vous pouvez pour rester en vie, même si cela implique de ne rien faire.
Alors encore fois, ça n’arrive pas qu’aux autres. 94% des victimes de viol connaissent leur violeur. Et la victime n’est jamais responsable. En Suisse, 22% des femmes de plus de 16 ans ont déjà subi des actes sexuels non consentis, et elles sont 12% à avoir eu un rapport sexuel contre leur gré. Il est urgent que les choses changent.
Léonora Miano écrivait : « On ne se fait pas violer. On est violé. On est, on est, on est violé. On ne fait rien. On est. C’est l’autre qui fait. Le viol, c’est l’autre qui le fait ».
Témoignage anonyme